D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

12/10/2004

Akosombo, Accra, Kokrobite

Nous voilà rendus à Akosombo. Il est 6 heures du matin, le jour se lève juste et, dans ce petit matin, alors que j’ouvre à peine les yeux, je constate que tout le monde est déjà descendu. Pas de temps à perdre pour ces marchandes : il faut trouver les véhicules pour transporter leur marchandises jusqu’à Accra. Je gage que ni le navire ni le port ne vont leur faire grâce d’une journée de stockage … Et, connaissant les transports ghanéens, je me doute qu’il s’agit là d’une partie assez stressante de leur métier. Le pont est vide, les cabines désertées. Si vite ? Etienne est là, encore endormi. Autant ces marchandes ont été bruyantes hier matin, autant là, je n’ai rien entendu et nous ont laissé dormir. Etonnant. Les passagers des cabines sont partis, eux aussi. Idem pour notre ami canadien. La nuit dernière, il n’était pas très bien. Il aura passé une mauvaise nuit et il devait lui tarder de toucher la terre ferme. Pourtant, un ferry sur un lac … C’était peut-être autre chose, après tout. Le couple suisse finit de ranger ses affaires et nous souhaite un bon voyage. Le temps de faire de même et les voilà partis. Finalement, il ne reste plus que les membres d’équipage et nous. Je ne sais si c’est le coutume d’être ainsi pressé à Akosombo, ou bien si c’est un concours de circonstances, ou que sais-je encore, toujours est-il que je n’imaginais pas une hâte à l’arrivée. Etienne se réveille et, sans nous presser, nous fermons nos bagages. Je vais au poste de pilotage pour prendre congé de notre capitaine. Apparemment la manœuvre d’appontage ne lui a pas plu et il souhaite la recommencer. La poupe est relevée, le bateau manœuvre … pour se retrouver encore plus excentré par rapport au quai. Décidément, la logique qui prévaut ici n’est pas celle à laquelle je pourrais m’attendre. Passons.

Nous finissons, Etienne et moi, par descendre du bateau enfin amarré. En ce petit matin déjà chaud nos bagages semblent plus lourd, effet accru par la pente du quai, qui remonte vers la capitainerie et les portes de port. Non loin de l’entrée du quai se trouvent deux personnes qui nous arrêtent. Il faut présenter le ticket de voyage que nous a remis le capitaine. Je présente le mien, mais Etienne n’arrive pas à retrouver le sien. Après une rapide négociation qui tourne à l’affrontement verbal, Etienne (à cours de cigarettes depuis plus de 24 heures …) repart vers le bateau pour demander une attestation au capitane. Un quart d’heure après je le vois revenir, assez remonté. Apparemment, la paperasserie s’est moyennement déroulée, le capitaine ne comprenait pas les raisons des chicaneries administratives au port et mon joyeux camarade de route n’est que fort peu ravi de jouer l’intermédiaire de ce qui ressemble fort à une lutte d’influence. Finalement, le bon sens prend le dessus et nous pouvons passer. Etienne part devant, j’ai un peu de mal à le suivre, étant beaucoup plus chargé que lui. Je le retrouve à la porte du port, en pleine crise avec le responsable des entrepôts. Moi qui comptait y laisser mes bagages le temps de visiter les environs ! Il m’explique que l’homme lui fait le vieux sketch du « On se connaît, la dernière fois tu m’avais donné de l’argent », et étant donné l’état de nerfs d’Etienne, je comprends que la plaisanterie ait eu du mal à passer. Me voilà tentant une médiation diplomatique à laquelle je sens qu’il va falloir m’habituer au plus vite si je veux que la journée se passe à peu près bien. Au bout d’un moment, le « gardien de la porte », dûment flatté, nous laisse passer. Plus le temps de visiter les environs, il nous faut maintenant rejoindre Accra. Quelques tros-tros attendent les derniers voyageurs. J’y retrouve nos amis suisses qui n’ont pas fait mieux que nous. Par contre, plus trace de notre canadien qui avait pour objectif de visiter le pont suspendu et le barrage, les deux attractions de l’endroit. Je n’ose même pas proposer la visite à Etienne tellement je le sens pressé de rejoindre Accra. Nous nous installons dans le tro-tro, en prenant bien soin d’y placer nous-même nos bagages pour éviter la « taxe de bagages » qui peut être supérieure au prix du voyage lui-même. Peine perdue ! Le préposé aux tickets ne nous réclame pas moins de 10000 Cedis par bagage. Ce coup-ci, c’en est trop. Etienne s’emporte, et je dois avouer que je ne suis pas non plus très loin de faire de même. Finalement, je réussis à adopter la seule stratégie possible dans ce cas-là, celle qui m’a fait économiser nombre de négociations houleuses : le mépris. Je me mets tout simplement à ignorer totalement les vociférations du préposé. Cela semble fonctionner, puisqu’au bout d’un moment, il se calme. Je pense alors que l’affaire est close. Las ! Au bout d’une demi-heure (nous sommes toujours serrés au fond du minibus, nos bagages sous le siège, attendant en vain le départ), il revient à la charge en prétendant que le tro-tro ne partira pas avant que nous n’ayons réglé la taxe de bagages. Je me dois de préciser que cette « taxe » est en fait totalement fictive et ne sert qu’à arrondir les fins de mois des préposés de gares. Ce qui la rend particulièrement irritante. Le mépris ne semblant pas fonctionner, et devant les flots de paroles peu amènes que nous déverse le brigand (comment l’appeler autrement ?), Etienne et moi nous mettons spontanément à l’insulter en français. Dialogue de sourds, certes, totalement improductif, mais essentiel à nos nerfs. C’est Etienne qui « craque » le premier et me propose de donner 2000 Cedis chacun pour calmer notre adversaire. J’acquiesce et nous tendons chacun un billet. Apparemment, notre préposé n’apprécie pas la négociation car il repart de plus belle. Il tient deux blancs et compte bien en tirer le maximum. Je ne sais pas ce qui m’a retenu d’en venir aux mains, si c’est le fait d’être coincé au fond du tro-tro ou la brusque prise de conscience de l’absurdité de la situation (après tout, il s’agissait d’un « hold-up » d’un euro …), mais tout à coup, je suis pris d’un fou rire qui a la vertu de désarmer tout le monde. Toujours riant, je mets d’autorité les 4000 cedis dans les mains du préposé qui me lance un regard où se mêlent incompréhension grandissante et colère faiblissante. Le rire a des propriétés désarmantes et se révèle souvent le meilleur négociateur qui soit.

Il est aux environs de 8 heures. Il y a à peine 2 heures que je suis réveillé, et la journée est déjà bien chargée. C’est dramatique de voir à quel point le calme qui m’habitait hier soir, la sérénité avec laquelle je portais un nouveau regard sur la situation dans l’Afrique de l’Ouest, ce calme s’est volatilisé en à peine un couple d’heures. Je me sens vidé, et surtout bien stupide. Comment a-t-on pu entrer en conflit systématiquement depuis la sortie du bateau ? Tandis que le tro-tro avance et que la tension redescend, j’en viens à la conclusion que, pendant le voyage, nous nous sommes relâchés et reposés et que nous n’étions plus préparé au retour à la dure confrontation avec la réalité de ce pays où, peu s’en faut, chaque rencontre se solde par une tentative d’escroquerie. J’en suis là de mes réflexions lorsque Etienne me tire de ma rêverie pour me montrer le barrage devant lequel notre véhicule passe. La vue est suffisante pour s’apercevoir … qu’il n’y a rien à voir. On dirait une mine à ciel ouvert sur laquelle on aurait édifié un mur concave de taille moyenne. C’est ça le barrage d’Akosombo ? C’est ça qui retient les eaux du plus grand lac artificiel du monde ? Impensable. C’est tout petit. Je regarde à nouveau, essaie de prendre une ou deux photos, tout en sachant que ça ne donnera rien d’intéressant. Il n’y a tout simplement rien à voir, ou presque. Incroyable que le guide y consacre plus d’un paragraphe. A peine me suis-je remis de ma déception que nous passons cette fois devant le pont suspendu. Un arc blanc de poutrelles métalliques au-dessus d’une chaussée étroite, c’est tout. Peut-être ce pont est-il lancé au-dessus d’un gouffre qui donne à l’ensemble un intérêt quelconque car, là encore, je suis franchement déçu. Je fais quelques photos, pour la forme. Et dire que je souhaitais y consacrer la matinée ! Nous avons fait la visite en 2 minutes, une pour chaque édifice. Largement suffisant. Je range les appareils et je me cale au fond de la banquette. Il nous reste quelques heures à patienter avant Accra.

Mais dans quel état d’esprit je me trouve ? Pourquoi ce matin tout semble aller de travers ? Pourquoi le voyage en lui-même, à l’inverse de tous les voyages jusqu’ici, me semble d’un ennui terrible ? Je m’aperçois que, pour la première fois, je n’ai pas adressé la parole à qui que ce soit. Je n’ai prononcé que quelques phrases depuis le départ, et encore étaient-elles en français, destinées aux seules oreilles de mon partenaire de voyage et essentiellement négatives et dénigrantes. Il faut que je me ressaisisse. Il y a autour de moi des gens à connaître, des choses à savoir, des sourires à rendre. Je n’ai pas le droit d’être morose comme ça. Je vis une aventure magnifique et j’en oublie l’essentiel : ouvrir mes yeux, mes oreilles et, plus important, mon cœur. Je me tourne vers un groupe de quatre jeunes : « Are you going to Accra ? ». La conversation est lancée. C’est presque pénible. On me montre une curiosité de la région : une croix plantée en haut d’une colline. Un calvaire. Comme on en voit des dizaines en France. Il faut me rendre à l’évidence : je suis blasé. Les voyages à répétition m’ont laissé un goût d’aventure que j’ai du mal à retrouver ici. Un petit effort d’analyse supplémentaire me fournit un début d’explication : pour moi, le voyage sur le Yapei Queen était la dernière grande étape de cette aventure dans l’Ouest Africain. Ce voyage à Accra, ce n’est que le début de mon transit vers Nairobi et le Mont Kenya. C’est donc ça ! Je suis déjà parti. C’est vrai qu’ici, c’est la côte ghanéenne, le guide en parle comme d’une place touristique importante de la région. Je vais donc jouer les touristes pendant quelques jours, en attendant l’avion. Ce n’est plus l’aventure. Ma parole, je suis en train de déprimer ! Ce frisson lorsque s’ébroue le minibus et que défile, à petite allure, certes, le ruban de latérite rouge reliant, à force de trous et de bosses, les quelques cahutes en bois formant les villages perdus dans cette steppe sahélienne qui fut mon quotidien pendant plus d’un mois ; cette douce incertitude, lorsque vient le soir et qu’il faut trouver un endroit pour dormir, puis le lendemain la quête de l’eau de la journée, la recherche d’un minimum d’hygiène à défaut de confort … Tout ça va disparaître au profit d’un confort totalement artificiel et incongru, uniquement mis en place pour le bonheur de touristes refusant de s’infuser dans le bouillon de la culture africaine et préférant la climatisation au ventilateur, le 4x4 au taxi, le car du tour-opérateur au bus local. Je sors de cette Afrique authentique et vais me confronter, du moins je le pense, à cette Afrique pour touristes. C’est ça le mal qui me ronge depuis ce matin. C’est ça qui me rend morose. Je me tourne vers Etienne. Il n’a pas l’air de ressentir la même chose. Il faut dire que pour lui, le Ghana n’est qu’une étape et qu’il va rester dans la sous-région. Pour ma part, je suis déjà en train de lui dire au revoir.

Nous voilà à Accra. Capitale du Ghana. Depuis une demi-heure déjà, nous roulons sur une autoroute à 4 voies, bordée de quartiers résidentiels où poussent les villas de luxe comme poussent, dans nos forêts françaises, les champignons après une bonne averse d’automne. C’est sûr, le pays est prospère et certains y font fortune. Etienne et moi nous interrogeons sur l’origine de ces fortunes dont les signes extérieurs s’étalent devant nous. Les arguments et supputations vont bon train, et comme nous nous exprimons en français, personne dans le tro-tro ne vient nous aider à élucider ce mystère, que nous décidons bientôt d’éviter d’élucider, de peur que la solution nous déplaise. La ville est très animée et le nombre de voitures y circulant beaucoup plus important que ce que l’infrastructure routière peut absorber. Ce qui fait que, pour la première fois depuis Bamako, me voilà pris dans les embouteillages. Nous finissons par arriver dans un immense rond-point dont le centre se trouve être la gare routière. Incroyable de constater l’anarchie qui règne ici. Ca circule sans tenir aucun compte des feux, de la signalisation au sol, voire même des pauvres policiers affectés à la circulation et qui sont totalement débordés et gesticulent sans attirer le moindre regard. Incroyable également de constater à quel point les coups de klaxons sont omniprésents et inefficaces. C’est presque par devoir que notre chauffeur, jusque-là muet, semble tout à coup s’animer et ponctue chaque coup de volant par un coup de son avertisseur surpuissant. Faire le tour de la gare/rond-point prendra plus d’une demi-heure. Chaque mètre gagné sur la route était épuisant et stressant. Je n’étais plus habitué. Je voudrais me concentrer sur les heures d’absolue tranquillité vécues au parc Mole, mais je n’y arrive même pas. Dans le minibus, je ne m’entends même plus penser et je me résous à attendre l’arrêt du véhicule pour faire une nouvelle tentative.

Enfin, notre tro-tro s’immobilise. Nous voilà rendus. Il nous faut maintenant s’orienter dans cette ville et trouver la gare routière pour Kokrobite. Mais tout d’abord, je dois trouver un endroit pour changer de l’argent (il ne me reste que quelques cedis) et Etienne, qui doit encore se faire faire un visa pour le Sénégal, sa prochaine destination, doit se trouver un hôtel. Avec le couple de suisses qui nous a suivi jusque là, nous décidons de partager un taxi, nos destinations respectives étant relativement proches les unes des autres. Bien évidemment, le taxi en question, voyant arriver quatre touristes d’un coup, décide de gagner sa semaine sur cette seule course et ajuste le prix en conséquence. Devant le rire méchant d’Etienne, il revient rapidement à des tarifs abordables. Un quart d’heure plus tard, nous sortons du véhicule et nous nous séparons, les suisses et nous. Nous cherchons une agence de voyages, Etienne pour son billet d’avion pour Dakar, moi pour Nairobi. Pour le paiement par carte bleue, il faut se rendre aux comptoirs de la KLM, propriétaire de la Kenya Airways. Tandis qu’Etienne va chercher de l’argent et à manger, me voilà embarquant dans la voiture du patron de l’agence de voyage, en route vers l’autre côté de la ville. Puis, au comptoir de la KLM, nous attendons une bonne demi-heure. Enfin, je peux régler mon billet. A la sortie de l’agence, plus de voiture, il faut prendre un taxi. La personne qui m’accompagne fait une tentative pour me faire payer la course, que j’esquive en feignant de n’avoir rien entendu. Je finis par être blasé de ces incessantes tentatives d’extorsion. Je m’y suis tellement habitué que le mépris et la surdité passagère sont devenus presque instinctifs. Lorsque Etienne revient, je n’ai plus faim et nous partons à la recherche de son hôtel. Il est 16h30 et j’avoue n’avoir presque plus le courage de repartir pour Kokrobite. Nous prenons une dernière bière ensemble. Je lui donne mon adresse mail. Il me propose de venir me retrouver dans deux jours, lorsqu’il en aura terminé ici. Tout ceci sent un peu la fin de vacances d’été. Je n’aime pas trop les adieux. Etienne a été un très bon compagnon de route et j’ai apprécié ces quelques jours passés ensemble. Peut-être resterons nous en contact, peut-être pas. En tout cas, j’apprécierai de le revoir. Peut-être dans deux jours. Peut-être jamais. C’est ça aussi, le voyage. Il provoque des rencontres aussi facilement que des séparations. A nous de faire en sorte de valoriser tout ce que ça nous apporte. Cette traversée du Ghana aura été à la fois difficile et agréable. Les galères auront été bien amoindries par la présence d’Etienne et en ceci je dois le remercier. L’aventure continue, même si ma destination n’est pas une petite pension pour voyageurs occasionnels mais plutôt un centre de vacances pour touristes européens. Et encore ai-je pris soin de trouver une ville sans attrait touristique particulier et un centre pour petits budgets, afin de préserver encore un peu ce parfum d’aventure qui s’évanouit déjà sous les effluves empoisonnés de la civilisation.

Une fois encore, je me retrouve seul. Je prends un taxi pour la gare routière vers Kokrobite. Le tarif exigé pour la course est, une fois de plus, exorbitant. Je refuse une première fois une proposition à 25000 cedis. Mal m’en prend, car je ne trouverai plus rien à moins de 35000 cedis. Raison invoquée : le trafic impossible à cette heure de la journée. De guerre lasse, et par peur de devoir rester à Accra pour la nuit, j’accepte de partager un taxi avec un ghanéen en complet veston et attaché-case. La course va durer une demi-heure et ne poser quasiment aucun problème de circulation. A l’arrivée, surprise : le complet veston s’est éclipsé avec l’attaché-case, me laissant régler la note. Nouvelle colère. J’essaie de régler la moitié de la note : peine perdue. Le taxi est au moins aussi énervé que moi et un agent de police commence à s’intéresser à nous. Je finis par régler l’intégralité de la note, non sans avoir promis de faire publicité de ce qui vient de se passer (dont acte). Pourquoi les ghanéens essaient-ils tous (quasiment sans exception) de vous soutirer, sous de fallacieux prétextes, les quelques cedis supplémentaires qui vous font garder un mauvais souvenir de votre passage dans leur pays et jurer les Dieux et les Saints que vous n’y reviendrez plus jamais ? Argent facile ? Effet néfaste d’une misère généralisée ? Non, certainement pas. L’explication que je peux en donner est, hélas, beaucoup plus simple. De même que l’Afrique est restée centrée sur les anciens et le village, elle est également restée concentrée sur le futur immédiat : assurer la survie quotidienne. Demain, c’est déjà trop loin. Investir pour l’avenir est un mot qui n’a aucun sens ici, préparer le futur une douce utopie. Mon taxi a décidé qu’il m’extorquerai, il l’a fait. Si je devais rester deux semaines ici, je ne le choisirais pas pour mes déplacements quotidiens, mais il s’en fiche. Ca n’arrivera pas. Je ne suis qu’un météore traversant très haut le ciel de sa vie et je n’aurai aucune incidence sur ses besoins terrestres. Qu’il soit équitable avec moi ou qu’il me laisse un bon souvenir de lui n’est pas son problème. Son problème, c’est de gagner un maximum d’argent avant de me lâcher pour ne plus jamais me revoir. Encore une leçon de pragmatisme africain.

Toutes ces leçons finissent par coûter cher, cependant, et mon budget fond comme neige au soleil. Ces pays dits sous-développés ont en fait développé une capacité étonnante à trouver des moyens inépuisables pour soutirer des fonds à tout ce qui passe à leur portée, du simple touriste à l’ONG la plus puissante. Et le pire, c’est que c’est de notre faute. C’est nous qui avons créé ces conditions de dépendance, nous encore qui leur avons apporté des solutions à des problèmes qu’ils n’avaient pas, nous enfin qui les abreuvons de promesses de développement qui ne sont importantes que pour notre tranquillité d’esprit. Nous les avons regardés à travers nos yeux, et nous leur avons appris à penser à travers nos esprits.

Je monte dans le tro-tro. Il est tard. Il fera nuit à l’arrivée. Il n’y a que 32 km mais la route est en réfection et le trajet va prendre plus d’une heure. Aucune importance, je ne veux pas rester une seule nuit dans cette capitale. J’ai besoin d’air. J’ai besoin de calme. J’ai surtout besoin d’une bonne douche et d’une nuit de sommeil dans un vrai lit. Pourtant, je ne suis pas au bout de mes peines. Arrivé à destination, il fait effectivement nuit noire (doux euphémisme) et je ne sais pas si le centre peut m’accueillir et même où il se trouve. En fait, il existe deux centres. Deux allemands qui ont fait le trajet avec moi vont à l’un de ces centres. Je leur demande s’ils savent où il se trouve et si je peux les suivre. Ils acceptent mais disparaissent alors que je récupère mon sac. Je demande autour de moi. Personne ne les a vu partir. Le chauffeur du tro-tro me propose alors de m’accompagner jusqu’à l’autre centre qui est plus proche. Je lui demande son prix et il me répond simplement de monter. Nous faisons 300 mètres avant d’arriver. C’était juste à côté. Il me demande alors de régler la course, qui coûte le même prix que le voyage depuis Accra. Je m’en doutais. Pire, je le savais. Je descends, prend mon sac et, sans répondre, lui tends une pièce de 10 cedis « Insulte pour insulte », lui dis-je en français. Je soutiens son regard. Il ne me fait pas peur. J’en ai trop vu aujourd’hui, celui-ci ne m’aura pas. Il me lance ses arguments les uns derrière les autres. Je ne réponds pas. Au bout de quelques minutes, il ferme sa porte et repart. Je range ma pièce et me tourne vers l’intérieur du centre. Des lumières un peu partout, de la musique sur la plage, une bonne odeur venant des cuisines toutes proches et, partout où se pose mon regard, plus de blancs que de noirs. Pas de doute, je suis bien dans un club à touristes. Fini l’aventure, comme je le craignais. Je m’avance vers le bar qui fait également office de réception. Tout ici est tourné vers le bar, où les prix pratiqués sont très européens, c’est à dire environ deux à trois fois plus chers que partout ailleurs. D’ailleurs, le règlement stipule qu’il est interdit d’amener de la nourriture ou des boissons de l’extérieur. « Vous êtes ici en autarcie complète », semblent proclamer toutes les pancartes de règlement qui parsèment les chemins du centre. Je demande une chambre. On m’emmène à l’autre bout, tout au fond. A côté de la douche (africaine, avec la citerne juste à côté, c’est déjà ça de gagné) se trouve ma chambre, avec vue sur le mur d’enceinte. Lorsque mon hôte ouvre la porte, la poignée lui reste entre les mains. Je proteste. Il va voir le gérant qui résout l’affaire en quelques secondes : cette nuit, je logerai dans un bungalow pour le même prix. Finalement, il y a quelque avantage à se trouver dans un centre pour touristes : le mode de vie y est beaucoup moins stressant. Tout est fait pour arranger le client, et c’est très exactement ce dont j’ai besoin ce soir : plus de problème. Il est trop tard pour dîner, mais le chef peut me cuire un poulet au prix d’achat de la basse-cour entière. Je ne dînerai donc pas. De toutes façons, je n’ai pas très faim. Je dépose mes affaires dans le bungalow. Serviette, savon, direction la douche. 3 seaux seront nécessaires à me délasser de la journée. Puis je me dirige vers la plage où se déroule un spectacle de danses traditionnelles. C’est très touristique, mais le spectacle est d’une grande qualité. Je m’assois à une table. On y parle français. Deux burkinabés (mais que font-ils ici ?) sirotent une bière. Ce sont des musiciens de l’académie située juste à côté. Justement, j’en ai lu quelques lignes dans mon guide et je leur demande s’ils dispensent des cours. Je souhaiterais apprendre les rudiments du djembé. Nous arrangeons un cours de deux heures pour le lendemain après-midi.

La fatigue commence alors à se faire sentir. Cette journée, qui devait être une simple journée de voyage, m’aura laissé sans forces. Que d’aventures, finalement ! Pas de celles dont j’aurais rêvé, mais ça fait partie de l’aventure africaine, il me semble. Ces réflexions qui me viennent, ces sentiments changeants face à la réalité qui m’assaille, toutes ces émotions qui m’ont traversé, tout ceci doit être assimilé et, aujourd’hui, j’en ai tout simplement trop reçu. Je rentre dans le bungalow. Dehors, la fête continue. Tant pis, ce sera pour demain. J’ai vraiment trop sommeil. Le temps d’installer la moustiquaire et de me glisser dessous, je suis déjà endormi. Dans 3 jours, je partirai pour le Kenya. Je dois tirer profit de ce temps pour faire un premier bilan de cette expérience africaine. Je ne veux rien oublier. Tout est important. C’est l’expérience d’une vie, comme on me l’a souvent répété avant que je ne parte. C’est vrai. Alors autant ne pas la galvauder.