D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

12/07/2004

Buipe, sur la route de Yeji

Faire 180km prend parfois une journée complète. Ce fut le cas aujourd’hui où, après avoir pris la décision de quitter au plus tôt le parc Mole, Etienne, nouveau compagnon de voyage, et moi, nous nous retrouvons à la gare routière de Damongo. Une fois de plus, c’est la patience et l’attente qui sont les qualités cardinales dans cet exercice. Nous arrivons vers 10 heures du matin pour partir avec le tro-tro de 13 heures … et des poussières (rouges, bien évidemment). 150km de piste plus loin, nous rejoignons l’axe nord-sud à Fufulso. Il est 16 heures et la nuit ne va plus trop tarder à tomber. Restera-t-il des bus ? Apparemment, oui, car demain étant journée d’élections, le carrefour où nous sommes est assez peuplé. Un carrefour entre deux grands axes ne signifie pas qu’une ville s’y trouve, nous ne sommes pas encore à Fulfuso, mais il y a déjà deux panneaux publicitaires et des marchands. C’est déjà ça. Par contre, Etienne et moi commençons à nous poser des questions. Tous les bus, taxis et tro-tros qui passent ne s’arrêtent même pas, tant ils sont bondés. Même les transports routiers font du zèle et sont remplis. On dirait une transhumance. Ma parole, mais personne ne va voter sur son lieu de vie ! Non, en effet, ici, on vote dans son village natal. Pour certains, cela signifie 3 jours de voyage. Ah, bon. Plus d’inquiétude, nous ne serons pas à Yeji ce soir.

Yeji, c’est le port d’attache du seul ferry assurant la liaison nord-sud du lac Volta. Ce lac est le plus grand lac artificiel du monde. Il serait dommage de passer à côté pour parcourir les quelques centaines de kilomètres qui nous séparent d’Accra par bus. Surtout que, après plus d’un mois de ce genre de transport, mes lombaires aspirent à un peu de repos, même si les bus et les routes goudronnées d’ici n’ont franchement rien à voir avec le Burkina Faso ou le Mali. J’ai réussi, avant de partir de Ouagadougou, à réserver une cabine dans le ferry, qui en comporte 3. Un exploit.

Le temps passe au carrefour des routes. Les véhicules se succèdent sans s’arrêter. Une voyageuse patiente tranquillement non loin de nous. Nous lions conversation. Elle va à Accra pour voter demain. Il y aura bien un bus qui passera ici cette nuit, ce n’est pas grave. Belle leçon d’optimisme et de négligence du moindre confort. Tout ça pour accomplir un devoir civique, j’avoue que je suis assez intrigué. Je pousse donc la conversation un peu plus loin. Qu’est-ce qui amène les ¾ de la population à se déplacer pour élire un président ? La liberté, me répond-elle, presque dans un réflexe. Evidemment. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Un pays doté d’une telle liberté, un pays où la stabilité politique est avérée, un pays où le problèmes sont les mêmes que partout ailleurs en Afrique de l’ouest, mais où le droit civique est respecté (du moins en apparence, autant que je puisse voir), un pays où, par ailleurs, les autres libertés (liberté d’entreprendre, liberté d’éducation, liberté de voyage, etc.) sont rares, bref, un tel pays ne peut que trouver un large écho dans la population lorsqu’on lui propose de choisir son représentant suprême. De fait, cette élection est très populaire, dans le sens où le peuple se l’est entièrement approprié, avec des manifestations de foi politique comme je n’en ai jamais vues. Je me rappelle maintenant les démonstrations colorées (chaque parti politique possède son propre drapeau, en plus du drapeau national) de Tamale qui, dimanche, ont fini par des émeutes, tuant 3 personnes et faisant 25 blessés, à cause de l’assassinat, quelques mois plus tôt, du leader politique, opposant au régime, de la région. Je me rappelle également les défilés « bon enfant » de militants accompagnés de gamins et la kermesse de Damongo dimanche.

Tout à mes pensées, j’en oublie de dîner. De toutes façons, rien de ce qui se vent ici ne me tente. Des beignets baignant dans l’huile de karité, des têtes de poissons brûlés, des galettes de mil, du riz et des oranges. Le soleil commence à se coucher et nous nous demandons, Etienne et moi, où nous allons passer la nuit. Au parc Mole, le réceptionniste m’avait parlé d’une possibilité de prendre un bateau marchand de Buipe vers Yeji, le mardi matin. Il met la journée à descendre mais ça change du bus. Nous allons donc essayer d’atteindre Buipe. Ce n’est qu’à une trentaine de kilomètres, après tout. Une fois sur place, il faudra se renseigner sur l’emplacement du port marchand, l’horaire probable de départ, le prix, trouver un endroit pour manger, un autre pour dormir … Rien d’insurmontable. Nous optons donc pour cette solution, en ayant toujours comme solution de repli le parcours par la route de Buipe à Yeji, que malheureusement je ne vois pas sur le plan grossier du guide mais dont on m’a assuré qu’il existait, avec un changement à Kintampo, à 80km au sud de Buipe. Facile … Bah, on verra bien !

Ce n’est que vers 18h30 qu’un tro-tro accepte de nous prendre. Discussion habituelle sur le prix (non, on monte nos bagages nous-même, pas besoin d’aide à 10000 cedis) et départ. Nous arrivons à la nuit tombante. A quelques kilomètres de l’entrée de la ville, on nous signale sur la gauche un hôtel pour touristes. Je tourne la tête et n’en crois pas mes yeux. Là, au milieu de rien, sans le moindre centre d’intérêt touristique à des dizaines de kilomètres à la ronde, se tient un véritable hôtel de luxe : mur d’enceinte, jardin entretenu (une immense tâche de vert sur fond rouge), entouré d’un corps de bâtiment principal et de plusieurs bungalows … Mais que fait-il ici ? Personne ne le sait. Encore l’un des mystères profonds de cette région. Nous le dépassons pour arriver, quelques minutes plus tard, devant le pont à péage qui marque la limite nord du lac. C’est ici que nous descendons. Il fait nuit maintenant, mais je n’aperçois aucune lumière venant de la ville. Normal, nous explique-t-on, il y a coupure d’électricité. Avec le barrage du lac qui fournit suffisamment d’électricité pour tout le pays et permet même quelques exportations, avec cette ville portuaire, marché capital pour la région du nord, qui n’a pas encore fini sa journée, je ne m’explique pas les raisons économiques d’une telle coupure. Encore un mystère. J’allume ma torche. Avec la poussière de la route, de ses abords, du marché en contrebas, sans le moindre repère visuel, nous ne savons où aller. Le seul moyen de s’y retrouver est de demander à quelqu’un et de le suivre. Le tout est de tomber sur la bonne personne. Avec le temps vient l’habitude et le jeune homme qui se propose de nous conduire est très bien. Nous prenons nos bagages et nous voilà traversant la route, descendant un escalier et longeant d’innombrables cases de marchands. Il nous faudra plus de 20 minutes pour le traverser. Puis, ombre au milieu des ombres, nuit dans la nuit, apparaît le bord du lac. Une cahute sur la droite, chichement éclairée, abrite quatre personnes, dont le « boat master ». Renseignements pris, il nous indique le départ demain matin d’au moins deux bateaux pour Yeji. Départ vers 5h30. Nous y serons donc à 5 heures, on ne sait jamais. Il est maintenant temps de trouver de quoi se loger. Au-dessus du marché se trouvent des chambres d’hôtes et, juste à côté, un petit restaurant. Parfait. Notre guide nous y mène. La traversée retour du marché est plus pénible, autant par la fatigue que par la poussière qui se colle partout et que l’on ne peut éviter de respirer. On peut aussi y ajouter la proximité assez fâcheuse d’un marais pullulant d’insectes … Nous finissons par arriver devant un ensemble de bâtiments reliés par un mur. C’est ici. Il faut franchir une porte étroite dans le mur, dépasser une première cour intérieure, pour arriver au niveau des chambres. Deux lampes-tempête éclairent une deuxième cour intérieure où trône en son centre un lit occupé par un vieil homme et un enfant. Au fond, une femme s’approche. C’est la responsable. Elle nous montre les chambres. Une table, une chaise, un lit avec moustiquaire, un ventilateur et du grillage anti-moustiques aux fenêtres … Fonctionnel. A 15000 cedis, nous prenons. De toutes façons, c’est la seule solution. Je m’installe dans ma chambre. A y regarder de plus près, il n’y a pas d’électricité (normal, avec la coupure), donc ni éclairage, ni ventilateur. La température dans la chambre est montée à 35°C. Je vais avoir chaud. Le lit est en fait une paillasse sur cadre, avec un matelas de mousse déformé. La moustiquaire est trouée d’à peu près partout et le grillage aux fenêtres est défoncé. Etienne n’a pas perdu son temps. Il a fait apporter une bougie avec une boite d’allumettes pour chacun. Bon réflexe. Je sors pour m’inquiéter de la douche et des toilettes. Il y a, au fond de la cour, un réservoir d’eau du lac et des seaux. Contre le mur, 2 douches et un trou d’aisance. L’inspection n’est pas encourageante et je décide de manger du riz ce soir pour me constiper … Quant à la douche, Etienne y entre en faisant exploser sous ses pieds un margouillat. Ce sont deux petites pièces d’un mètre cinquante de côté pour moins de deux mètres de haut, avec un trou à la base du mur et un autre vers le haut pour l’aération. On y sort plus suant qu’en y entrant. L’odeur de l’eau croupie n’est pas engageante et la couleur du sol, éclairé par ma lampe torche, ne m’inspire que moyennement confiance. Je me dis que j’ai connu pire, à Mopti, que je n’ai pas d’autre choix et que tout ceci n’est que pour une nuit. Il n’empêche, je ne peux me sortir de l’esprit que ceci représente le standard des gens qui vivent ici …

Avec Etienne, nous décidons d’aller nous rafraîchir autour d’une bière et d’un dîner. Le « restaurant » dont on nous avait parlé se trouve effectivement à quelques dizaines de mètres. Une vieille cabane en bois couverte de tôles ondulées, avec une terrasse clôturée d’une palissade précaire, une porte qu’il ne faut pas bouger si l’on ne veut pas tout faire tomber, une cuisine externe où fument les restes de mil, de riz et de plats indéfinissables de poisson et de viande … Pour la boisson, il faudra se contenter de bière tiède, la glacière électrique ne fonctionnant plus depuis des heures. Gros avantage : ce n’est pas cher et la pénombre nous permet de mieux nous reposer en prévision de l’heure matutinale du réveil. Gros inconvénient : il y fait très chaud et l’atmosphère est infestée de moustiques. Mais nous n’y prêtons plus attention, ni Etienne ni moi, depuis longtemps. Les moustiques ici sont omniprésents. Y faire attention, c’est devenir fou. Au final, le repas se trouve être passablement bon, la bière agréablement fraîche compte tenu de la température extérieure (sous la tôle ondulée, qui garde étonnamment bien la chaleur, il peut faire 40°C la nuit) et les gens agréables. Par gentillesse, la conversation s’oriente sur les voyages et ce que nous avons vu, Etienne et moi, plutôt que sur les élections de demain. J’apprécie le geste. Partout les gens sourient. Il s’agit ici d’une ville marchande et non d’un pôle touristique. Voila toute la différence. Après dîner, nous nous installons devant le restaurant pour goûter un peu de (relative) fraîcheur et regarder les étoiles à la faveur de ce couvre-feu électrique. Devant nous, de rares taxis et tro-tros retardataires essaient de manœuvrer aux seules lumières de leurs phares cassés. Je me sens étonnamment bien, compte tenu du cadre et des conditions sanitaire. Je pense que c’est le fait de voyager avec quelqu’un. Lorsque j’ai un doute, une interrogation, ou tout simplement envie de partager une pensée, j’ai une oreille pour m’écouter et une personne derrière cette oreille pour me donner la réplique. On dira ce qu’on voudra, mais c’est essentiel. La solitude m’a permis de m’ouvrir grandement à mon entourage, je m’en rends compte à présent, mais il faut tout de même un exutoire pour éviter de se faire submerger par toutes ces émotions, ces peurs, ces violences tues, ces regards d’envie … Raconter des blagues, des expériences cocasses, des événement du voyage, donner son avis sur une question futile, rire des galères passées, voila ce qu’il faut pour recharger les batteries. C’est tellement évident, lorsqu’on s’en rend compte. Mais je sais que je commençais à voir mon entourage selon un angle plus cynique, moins compatissant, plus froid, par pur besoin de me protéger. A deux, ce n’est plus pareil.

Etienne sort un mouchoir de sa poche. C’est à ce moment que je me rends compte d’une sensation que je n’avais plus ressentie depuis très longtemps : l’humidité. Partout, l’air est chaud et humide. C’était donc ça cette impression bizarre de suer au sortir de ma douche. C’était donc ça cette fatigue en traversant le marché. C’est donc ça le retour à l’humidité. Au Burkina, il fait 38° et 15% d’humidité. Ici, elle doit monter au moins à 50%. Maintenant que j’en ai conscience, je peux la respirer, la palper. Mais ce n’est pas l’humidité de chez moi, celle qui sent l’iode et qui picote le nez, non. C’est une humidité sourde, lourde, qui colle à la peau et attire les moustiques du marais voisin. Il n’est que temps de partir se mettre sous la moustiquaire. Nous nous réveillons dans 5 heures et le repos, je le sais maintenant, ne sera pas bénéfique.

Arrivé dans ma chambre, je suis surpris par la chaleur qui y règne. Etienne fait le même constat et décide de dormir dehors. Il s’installe deux tables, 4 chaises, y dépose sa paillasse. Je vais rester plus classique. La chaleur ne me dérange pas beaucoup, après tout, j’en ai pris l’habitude. Un coup d’œil au thermomètre : 35°C. Ca n’a pas bougé. J’installe moustiquaire sur le lit. Rapide tour d’horizon : elle est trouée de partout et les moustiques s’ils arrivent à y entrer sans problème, ne parviennent plus à en ressortir. Je vais donc passer une heure à patiemment recoudre les trous les plus petits, défaire mes lacets pour condamner les plus gros, accrocher mes vêtements au bas de la résille pour qu’elle tombe à peu près droit … Vers une heure du matin, je m’écroule sur mon lit trempé, suant, soufflant, prêt à me reposer 3 heures …

Je m’allonge. Je ferme les yeux. Le réveil sonne. Je viens de dormir 3 heures ? Impossible, je viens à peine de m’allonger. Je regarde l’heure : 4h. Il est temps. Habillage dans le noir, fermeture des sacs. Pas de toilette, cela prendrait trop de temps. De toutes façons, je n’ai pas séché d’une goutte. Ce n’est donc pas la peine. Une dernière vérification. Je n’ai rien oublié, apparemment. Je referme ma chambre. Je regarde dehors : Etienne a fini par rentrer se coucher. Il doit être dans un drôle d’état. Pas un bruit dans sa chambre. J’appelle. Je frappe. Il finit par répondre. Il est 4h45. Il s’est rendormi. Plus dur sera le réveil … Et la course vers le port pour arriver avant le départ du bateau. Il fait encore nuit lorsque nous arrivons au port. Il est 5 heures. Nous avons presque couru pour arriver à l’heure. Malheureusement, pas de « boat master » en vue. Nous demandons à une dame qui, comme nous, a l’air de chercher un transport. Les informations nous arrivent de plusieurs sources, toutes contradictoires. Ce n’est pas bon signe. Oui, il y a bien un bateau, montez dessus on va partir. C’est combien ? Combien de temps pour Yeji ? Pas de réponse. Montez, c’est tout ce qu’on nous dit. C’est au moment où une main se tend pour prendre mon sac que je réagis. Pas question de partir sans s’assurer de la destination, du temps de parcours et du prix. Destination : Yeji. Temps de traversée : indéterminé. Prix ? Indéterminé. Aïe ! Un prix de base ? 150.000 ! 600.000 ! C’est n’importe quoi. Personne ne peut nous donner un prix réaliste. Tout à coup, Etienne éclate de rire : il vient de se réveiller et commence à réagir à son tour. Il élève la voix et clame à la ronde qu’un prix de 2 millions de cedis est tout aussi ridicule, que le prix annoncé est plus important que tout l’argent que le batelier n’aura jamais dans sa vie, que le blanc est parfois riche, mais qu’il est loin d’être stupide et qu’il ne comprend pas comment des gens aussi peu scrupuleux réussissent à faire du commerce. Clairement, 5h30 du matin, ce n’est pas son heure. Cet éclat de voix effectué, je me sens à mon tour remonté. Plus question de partir par bateau. Le trajet par la route est plus sûr, plus « organisé » et près de 10 fois moins cher. Seul problème : les horaires. Mais un jour comme celui-là, jour des élections présidentielles au Ghana, jour chômé, les véhicules qui circulent sont légion. Demi-tour, sans un regard, avec une grosse dose de mépris dans nos réflexions mutuelles, heureusement en français et donc incompréhensibles à notre entourage. Je gage d’ailleurs qu’ils en ont autant à notre encontre.

Et, comme toujours, tout finit par un retour à la normale : un trajet par la route.