D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

12/13/2004

Adieux à l'Afrique de l'Ouest

Voilà trois jours que je suis à Kokrobite. Aujourd'hui, un avion va partir d'Accra et m'emmener à Nairobi, au Kenya. Pendant ces quelques jours, je me suis reposé et j'ai pu commencer à établir un premier bilan de mon voyage. J'ai eu aussi le temps de subir, plus d'un mois après mon arrivée dans la sous-région, ma première tourista. Une journée et demie de diète complète en est venue à bout facilement. Le troisième jour, Etienne est venu me rejoindre pour me redire au revoir. C'est gentil de sa part et j'apprécie le geste.
Le bilan de cette première partie de voyage est essentiellement humain. Si l'on juge cette région selon les critères occidentaux, cette terre est loin d'être accueillante et facile à vivre. Il y fait chaud et sec, en saison des pluies les routes sont détruites et les communications coupées, en saison sèche l'harmatan vient tout recouvrir de cette poussière fine et acre qui vient assécher jusqu'à votre gorge. Mais la juger selon nos critères est une erreur, car alors nous ne la comprenons pas. Il faut, pour l'apprécier et en comprendre les valeurs, la juger selon les critères africains. Il faut s'imprégner de cette latérite rouge, il faut se laisser porter par ce vent, il faut rencontrer ces gens qui habitent ici depuis toujours et se défaire de nos préjugés et alors, alors seulement, toute sa richesse se dévoile. Aller à la rencontre de ces populations, c’est se défaire de ses propres préjugés, c’est également porter un regard critique sur nos propores faiblesses.
Ici, rien ne semble devoir changer. L’équillibre est basé sur une certaine harmonie entre la terre et ses habitants. Evoluer, c’est prendre le risque de détruire cette harmonie. Cependant, l’introduction de notre civilisation occidentale est venue changer la donne. Nous avons créé dans ces pays un nouveau mode de vie inadapté aux ressources existantes. Par un accroissement de la qualité de vie, l’arrivée de vaccinations massives, l’apport de médicaments, nous prolongeons une espérance de vie particulièrement faible (autour de 45 ans). Parallèlement, le nombre de décès à la naissance diminue. en conséquence, la population s'accroit de façon dramatique. Les méthodes traditionnelles d’agriculture ne permettent plus de supporter ce brutal accroissement. Or, cette agriculture est le fondement même de la culture africaine, qui repose sur des traditions très fortes et le pouvoir absolu des chefs de villages. Faire évoluer les mentalités pour accepter ce changement doit donc passer par l’éducation des populations, c'est à dire par l’école. Les gouvernements en place ont compris ces enjeux et mettent en place d’ambitieux programmes de scolarisation. Mais les besoins sont énormes et les moyens insuffisants. Le taux de scolarisation est très faible, surtout dans les villages où les mentalités ont le plus besoin d’évoluer. Il est donc normal qu’en une génération d’« efforts », nous n' ayons rien vu changer. En effet, nous leur demandons d’opérer une révolution culturelle qui nous a demandé plusieurs siècles.

Comment ne pas comprendre alors l’histoire de cet ingénieur burkinabé qui, lors d’un de mes nombreux voyages au Burkina Faso, m’a raconté être rentré de France, son diplôme en poche, prêt à révolutionner l’agriculture chez lui et rencontrer dans son propre village l’inflexibilité d’un chef qui tire son propre pouvoir de cette même tradition qu’il était venu changer ? Comment ne pas comprendre la détresse de cet enseignant de primaire, au Pays Dogon, me demandant s’il est possible de lui envoyer quelques crayons et cahiers ? Comment enfin ne pas comprendre que, sous l’impulsion des investissements massifs des pays occidentaux, abreuvant ces populations de Cola et tentant (heureusement en vain, mais pour combien de temps encore ?), à coup de hamburgers, de transformer ces peuples fiers et intègres en mendiants dépendants et obèses, nous voyons apparaître une Afrique à deux vitesses, où la ville, dépendante de la campagne, précède celle-ci sur un chemin qu’elle se refuse à prendre ?

Il est une règle que j’ai fini, à force de la contempler, par comprendre : un pays où mon pouvoir d’achat est grand est un pays où beaucoup ne gagnent pas assez pour survivre. Je suis un privilégié. J’ai traversé des pays où je pouvais, si je le pouvais, m’offrir (à vil prix, il est vrai, mais encore une fois, comment ne pas le comprendre ?) une nuit d’hôtel climatisé avec cabinet de toilette individuel et douche chaude avec flexible ? De même, j’ai toujours la ressource, si je sens le moment venir, d’arrêter l’expérience et de rentrer chez moi. Ce privilège, ce luxe, l’immense majorité des gens vivant ici ne l’a pas. Ils connaissent maintenant le niveau de vie qui est le notre, et nous l’envient. A tord. Combien de fois, lors de conversations, ai-je entendu la même question : « comment faire pour aller en France ? ». A chaque fois, ma réponse a été la même : « posséder beaucoup d’argent et accepter de perdre son humanité ». L’enfer, ce doit être ça : prendre tout à coup conscience de sa condition de vie en voyant débarquer quelqu’un qui vous dit « mon pauvre ami, dans quelles conditions vis-tu ? » et le voir repartir sans pouvoir le suivre.

Je viens de passer 6 semaines au millieu de personnes sachant dire « bonjour » et sourire. J’ai fini par comprendre le mal que nous leur avons fait, en pensant les aider. Nous n’avons finalement pas fait beaucoup mieux que les espagnols et portugais en Amérique du Sud et il est à crainde que nous ne voyons un jour disparaitre une culture millénaire basée sur l’harmonie avec la Terre, cette qualité qui nous fait tant défaut et que nous avons sciemment immolée sur l’autel d’une culture vouée à une rentabilité et un confort qui sont autant d’utopies destinées à nous faire croire que nous sommes plus heureux. J’ai donc appris que nous vivons, nous aussi, dans un enfer : un enfer où tout est fait pour nous transformer en rouage bien huilé d’une mécanique broyeuse de mentalités. Nous pensons être libre, mais cette liberté ne peut s'exercer qu'à condition de sortir de ce système qui nous formate et nous rend si individualistes, si attachés à nos biens durement acquis, si effrayés enfin par la crainte d’un vol ou de la simple perte d’acquis culturels ou sociaux. Je parcourre les rues en saluant les gens autour de moi et ce simple plaisir me paraît tellement inaccessible dans nos pays occidentaux prétenduments évolués … Oui, notre enfer est très confortable, très sécurisant, très prévisible, tellement impersonnalisé, tellement égocentré, tellement nettoyé de toute relation humaine. Nous disons bonjour plus facilement par internet qu’en ouvrant la porte pour aller frapper à celle du voisin. Ici aussi, internet est arrivé. Mais il est utilisé pour faire rêver une nouvelle génération d’africains cherchant à vivre virtuellement un rêve que nous leur avons promis et que nous ne tiendrons jamais.

Ceci dit, je ne voudrais pas jeter la piere sur ceux qui essaient de faire avancer les choses dans le bon sens. J’ai dit que la population africaine était en pleine expansion. Les besoins nés de cette expansion sont immenses et urgents dans des pays où ce mot ne veut rien dire. Il faudra beaucoup de temps pour que les nouvelles mentalités prennent le pas sur les anciennes et pour qu’apparaisse une nouvelle culture africaine viable, un nouvel état de stabilité remplaçant l’ancien que nous avons si imprudemment rompu en pensant bien faire. Nous avons voulu leur apporter notre mode de vie et maintenant, nous ne pouvons en supporter l’inévitable charge. Tous les efforts faits pour « aider », au sens occidental du terme, ces populations qui n’avaient jamais rien demandé, sont loin d’être suffisants. C’est une boîte de Pandore qui a été ouverte quelques siècles auparavant et que personne ne peut désormais refermer. Des solutions ? Il en existe certainement, mais elles ne satisferaient personne. Par exemple, que dirait un maître d’école français si on lui annonçait qu’il part pour le Mali, enseigner dans une classe de 50 élèves sont pas un ne possède de livre de classe et où les cahiers servent plusieurs années d’affilée ? Que dirait un professeur de lycée si on lui annonçait qu’il doit prendre en main une classe de seconde comprenant pas moins de 120 élèves ? Mais le pire, c’est que si ce professeur, si ce maître d’école acceptait finalement, il se verrait mal reçu par une population qui voit en un professeur un concurrent du chef de village.

Alors, faut-il ne rien faire et laisser les africains se débrouiller par eux-même ? Il est déjà trop tard pour ça. Tout ce dont l’Afrique de l’Ouest a besoin maintenant, c’est de temps pour opérer une révolution culturelle qui nous a pris, à nous occidentaux, plus de 4 siècles. La machine ne peut s’emballer au même rythme que celui, effrayant, de notre civilisation occidentale en surcharge permanente et qui laisse chaque jour quelques laissés pour compte de plus sur le bas-côté.

J’aime l’Afrique de l’Ouest. Elle m’a renvoyé une image de moi-même qui m’a laissé un goût amer dans la bouche. Mais en même temps, cette image ne me jugeait pas. Au contraire, elle m’a accepté comme jamais je n’aurais pu le faire moi-même. Elle m’a accueilli, m’a hébergé, m’a nourri. Elle m’a éduqué aussi, comme jamais je n’aurais pu l’être en restant dans mon propre millieu si artificiel. Elle m’a finalement montré cette réalité tangible que jamais auparavant je n’avais vraiment comprise : ce n’est pas l’argent qui rend heureux, c’est l’Homme. Il y a en Afrique beaucoup de gens heureux, des gens qui vivent une vie simple, sans artifice, une vie où la richesse ne se mesure pas au nombre de biens possédés mais à celui des gens qui vous saluent en faisant de grands gestes lorsque vous les croisez dans la rue.

Mon avion est anoncé. Je vais rentrer dans cet engin qui me fera parcourir quelques 3500 kilomètres en 4 heures, au prix de la destruction de milliers de litres d’une énergie fossile qui a mis des millions d’années à se constituer. Je souris à cette comparaison saugrenue mais tellement facile : nous avons lancé une machine qui, pour continuer à fonctionner, doit tout détruire sur son passage, tel cet avion qui, dans moins d’un siècle maintenant, devra rester au sol faute de pétrole. Nous avons tellement à apprendre des africains et de la façon dont ils ont réussi à survivre avec peu de ressources, mais notre orgueil sans borne nous fait les ignorer et leur donner des leçons dans des domaines où nous ne sommes encore que des apprentis sorciers. Notre arrogance n'a de limite que celle des ressources de la Terre. Combien de cultures allons-nous encore détruire avant de nous rendre compte que nous avons besoin de leur savoir, de leur sagesse ?
Merci à l'Afrique de l'Ouest de m'avoir fait comprendre tout cela. Merci de m'avoir appris la patience, la persévérence, l'humilité. Merci à tous ces nouveaux amis de m'avoir permis de les fréquenter. J'ai beaucoup appris d'eux. Je suis prêt maintenant à digérer tout ce que j'ai appris à leur contact. Ma prochaine étape, le Kenya, me permettra de juger de toutes ces nouvelles expériences à l'aune d'une autre culture. Je vais également refaire connaissance avec moi-même, une personne que je croyais connaître et qui a certainement changé sans que je m'en aperçoive.