D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

12/16/2004

Nanyuki et le Mont Kenya

J'ai donc décidé de me mesurer au Mont Kenya. Ambitieux, je le sais, et je ne m'attend pas à un miracle, mais pourquoi pas ? Ce matin, un chauffeur est venu me chercher à l'hôtel. J'ai assez mal dormi et je ne suis pas très bien réveillé, suffisamment quand même pour savoir qu'il me faudra un autre hôtel, plus excentré que celui-ci, pour me reposer à mon retour.
La route choisie pour ce trek de 4 jours (plus un jour pour rejoindre Nanyuki, une ville au pied de la montagne et servant de base de départ pour la route) est la "Sirimon route". Ce n'est pas la plus longue, ni la plus dure, mais apparemment c'est la plus belle. Elle traverse plusieurs vallées avant d'attaquer le sommet par le nord. Elle comprend deux camps de base : Judmeier Camp, à 3300m d'altitude, et Shimpton's Camp, à 4200m (ce qui est déjà fort élevé). Point Lenana, le seul sommet accessible sans équipement spécial, est situé à 4987m, soit 180m de plus que le Mont Blanc ! L'objectif est de grimper sur Point Lenana le matin, aux premières lueurs de l'aube, pour y observer le lever du soleil sur la montagne.
Le trajet vers Nanyuki s'effectue en minibus et n'est pas sans me rappeler l'Afrique de l'ouest. Cette impression se renforce lorsque, sorti du centre ville très européen, nous traversons des quartiers plus "populaires" qui ressemblent à s'y méprendre aux quartiers marchands de Ouagadougou, Bamako ou Accra. Mais une fois sorti de la ville, les différences apparaissent : paysage valloné, champs d'ananas, de manguiers, de papayers, de bananiers, voire d'eucalyptus. Ici, la nature a été apprivoisée, les terres sont pour la plupart cultivées et les propriétés bien délimitées. La route, sans être exceptionnelle, est en assez bon état. Ce n'est pas la route principale du Ghana, il y a bien quelques tronçons chaotiques ou en complète réfection, mais c'est à peu près navigable. Je me relaxe en regardant défiler le paysage devant moi. Pour faire un parallèle avec l'Afrique de l'ouest, j'essaie de lier conversation avec les passagers. Je dois vite déchanter. Ce n'est pas la barrière de la langue, mon anglais est suffisant pour tenir une conversation, mais apparemment, aucune personne ici ne souhaite partager ses expériences avec moi. Chacun est dans son monde, et les 5 heures de route finissent par me sembler bien longues. Il y a bien mon guide, qui fait de louables efforts pour parler avec moi, mais on sent bien que ce n'est pas sa tasse de thé.
Arrivé à Nanyuki, nous descendons dans un hôtel simple et propre, le Joskaki hôtel, dont le nombre de chambres m'étonne : plus de 200 réparties sur 4 étages ! Il faut croire que le Mont Kenya attire beaucoup de monde. Heureusement, il semble relativement vide, et le repas du soir me le confirme : il n'y aura pas foule sur les pentes. Mon guide veut profiter des quelques heures de soleil qu'il nous reste pour me montrer une curiosité : le passage de l'équateur. C'est vrai que le Mont Kenya est en plein sur la tranche de la Terre et que d'Accra à Nairobi, je suis passé du Nord au Sud. L'équateur se situe à la sortie de la ville, au sud. Là, un simple passeau indique la ligne imaginaire. De nombreuses boutiques vendent des souvenirs et, pour quelques shillings kenyan, l'une des nombreuses personnes désoeuvrées qui traînent ici vous fait une démonstration assez intéressante : l'inversion du sens de rotation de l'écoulement de l'eau, autrement dit, la force de Coriolis. le principe de la démonstration est simple : on prend un récipient possédant un trou au centre de sa base, on le remplit d'eau et on ouvre le trou en posant deux alumettes à la surface de l'eau. L'écoulement de l'eau va provoquer un siphon qui va tourner dans un sens ou dans l'autre, suivant l'hémisphère dans laquelle on se trouve. Sur la ligne de l'équateur, l'eau s'écoule sans effet de siphon et les alumettes sembles hésiter sur la direction à prendre. Suivant mon habitude, j'essaie de lier conversation avec les personnes présentes, leur demander ce qu'elles font, le style de vie ici, la montagne, etc. Mais leurs réponses me dépriment, alors qu'ils me récitent par coeur le contenu des dépliants que j'ai pu trouver dès l'aéroport. Apparemment, tout ce qui les intéresse, c'est l'argent que je peux leur donner. Le reste ne les concerne pas. Je suis blanc, donc je suis un touriste, donc j'ai de l'argent, donc leur but est de m'en soutirer le plus possible. Mais je suis maintenant habitué à ce système et je me pique au jeu. Oui, je veux bien entrer dans cette boutique, "pour le plaisir des yeux", mais je préviens : je ne suis pas acheteur. D'accord ? D'accord ! Me dit le vendeur qui croit déjà flairer le pigeon. Déambulant entre les étagères d'articles vus et revus dans toutes les boutiques semblables à celles-ci, Afrique de l'ouest compris, je regarde certains objets, attendant le mouvement qui ne se fait pas attendre : le vendeur prend une bague et me propose de me la vendre "à prix coûtant, pour lui porter chance". La chance du premier client, à 4 heures de l'après-midi ? Oui, bien sûr, mais il n'y a eu aucun client aujourd'hui. Peut-être que grâce à moi, il sauvera sa journée. Je lui rappelle que je ne suis pas acheteur. Il insiste et me donne son premier prix : 600 shillings. Et c'est parti. Devant mes refus successifs, il descend petit à petit le prix. Proposition finale : 30 shillings ! Pour un objet proposé à prix coûtant, un facteur de 1 à 20 ressemble un tout petit peu à une pure escroquerie. Je lui explique mon point de vue et sors de la boutique, sous le regard un rien offensé de mon interlocuteur. Il y a une moralité à tout ça : ne pas être acheteur est le meilleur moyen d'obtenir des prix fracassants pour des objets dont on n'a absolument pas besoin. Il est temps de rentrer, je commence à avoir faim. En chemin, j'explique l'aventure à mon guide, qui s'esclaffe à chaque énnoncé de prix. Mon récit semble le dérider un peu et je décide de pousser l'avantage en lui posant quelques questions simples : connaît-il ces personnes ? Depuis combien de temps fait-il ce métier ? La route Sirimon est-elle difficile, quels sont ses dangers ? Etc. Et le voilà qui commence à répondre, à me donner des détails et, fait plus rare, à sourire. La glace est rompue. Il aura fallu plus de 6 heures pour y arriver. Décidément, côté relationnel en Afrique, l'est ne vaut pas l'ouest.
16 décembre. Premier jour d'ascension. Au matin, après un solide petit déjeuner (mon guide me prévient : il faudra me forcer à manger et à boire en altitude), nous prenons un minibus déjà rempli de quelques randonneurs. Puis nous partons en chercher deux autres, deux écossais avec qui je vais faire la route. Ils ont l'air jeunes et gaillards, je vais certainement avoir du mal à les suivre. Pas de problème, m'explique le guide, on fera deux groupes. Très bien. Le minibus quitte la route et s'engage sur un sentier de terre. Petit à petit, nous montons. Autour de nous, les cultures font place à des terres d'élevage extensif, de "l'herbe à vache", très semblable à celle que l'on rencontre sur nos pentes pyrénéennes. Plus le sentier monte dans la montagne et plus il se rétrécit et devient difficile. Nous sommes sévèrement balottés dans le minibus et celui-ci est même tout près de verser sur le côté. Heureusement, quelques minutes plus tard, nous arrivons à la porte du parc. Un aérodrome longe les derniers mètres de la route. Nous sommes arrivés. En descendant, je ressens une impression que j'avais presque oublié : il fait un peu froid. Oh, pas grand-chose, mais quand même. J'ouvre mon sac-à-dos et consulte le petit thermomètre qu'une collègue m'a offert avant de partir : 22°C. 10 degrés de moins qu'à Nairobi, ça se sent. Heureusement, la marche va rapidement me réchauffer.
Mon guide me fait signe : nous voila parti. Immédiatement, les écossais prennent les devants et adoptent un pas que je sais ne pas pouvoir suivre. Très bien, je marcherai en binôme avec mon guide. Par contre, on m'avait annoncé un porteur et personne n'est venu me proposer de prendre mon sac. Il va ma falloir porter les 10kg pendant toute l'ascension. Mmmmm. Voilà un facteur de difficulté supplémentaire. Bah, on verra bien. Je ne sais ce qui est le plus difficile dans une ascension comme celle-là, si c'est le sentier qui ne semble jamais s'arrêter ou si c'est l'horizon qui semble s'éloigner au fur et à mesure qu'on s'en approche. Certainement une combinaison des deux. Toujours est-il que plus j'avance et plus je sens confusément que la journée va être éprouvante. Combien de kilomètres avant Judmeier Camp ? 9km. Combien de Judmeir à Shimpton's ? 15km. Eh bien, il va falloir que je révise ma notion des distances : il me semblait avoir marché sur des dizaines de kilomètres. Mais ici, 9km de 2500m à 3300m, ça fait beaucoup. Il nous faudra près de 5 heures pour parcourir la distance, arrêts compris. A mi-chemin, nous retrouverons les écossais et leur guide qui, je l'apprendrai à la fin de la descente, étai censé être mon porteur.
Judmeier Camp est un refuge de montagne. Ce qui veut dire dormir sur des paillasses dans des chambrées de 8 lits, manger dans une grande salle commune et ne pas disposer de douches. Pas de chauffage non plus et pas d'eau chaude. Un simple lavabo en fer pour la dizaine de randonneurs que nous sommes. Pour les guides, ce qui ressemble à un lavoir leur sert tant pour leurs ablutions que pour la vaisselle ou la cuisine. Charmant. Par contre, la vue est époustouflante et personne ne s'y trompe, lorsqu'on se retrouve tous sur un petit promontoire à proximité du camp pour y admirer le coucher du soleil. J'avoue que je suis déjà heureux d'être arrivé ici, à plus de 3000m. J'ai mal à la tête, mais c'est dû à la raréfaction de l'air, me dit-on. De fait, tout le monde a mal de tête et ça devrait durer tout le temps de l'ascension. De mieux en mieux. Je suis assez fatigué par les derniers kilomètres de la montée et je n'ai pas très faim. J'ai beau me forcer, je n'y arrive pas. Les écossais, avec lesquels j'ai fini par sympatiser, ont le même problème. A côté de nous, un canadien grand et fort comme un bucheron semble ne pas être à son aise. Il descend du Shimpton's camp et il a marché sous la pluie et l'orage de montagne toute la journée. Pire, il n'a pas pu faire l'ascension de Point Lenana à cause du mauvais temps. Mais il fait contre mauvaise fortune bon coeur et nous raconte ses mésaventures par le menu. La soirée va se passer ainsi, à raconter les souvenirs de galères. Les écossais nous racontent une randonnée cauchemardesque dans les Glenns, et je leur raconte mon trajet de Bobodioulasso à Bamako. Une australienne, venu se joindre à notre groupe, nous raconte une panne du train reliant Sidney à Alice Springs, au millieu du désert australien, qui dura 2 jours. L'ambiance est plutôt détendue et ces mésaventures nous font rire et sourire. Tant mieux, la marche du lendemain risque d'être moins amusante.
17 décembre, deuxième jour d'ascension. Je n'ai pas très bien dormi. Il faisait froid et la sortie du sac de couchage dans la chambre à 16°C m'a plus saisie que revigorée. L'absense de douche a fini de me déprimer. je remet les habits froids et encore humides de la veille et me traîne autour des tables de petit déjeuner. Heureusement, le thé est chaud et à volonté. Oeuf au bacon, suivi d'un plat de spaghettis et de viande viennent constituer un solide petit déjeuner qui me remet d'applomb. Les écossais sont joyeux et me redonnent le moral. Allons ! Ce ne sont pas 15km et 900m de dénivelé qui vont me faire peur ! Mon guide passe la tête à travers la porte : le soleil va se lever, encore une belle journée ... Après quelques photos de l'aube sur le Mont Kenya et la vallée environnante, nous voilà reparti. J'apperçois juste au-dessus de nore camp une station météo. Elle a l'air toute proche. Il nous faudra tout de même plus d'une heure pour atteindre sa hauteur. Dieu, que c'est dur ! Il n'y a pas d'air, j'ai mal à la tête, mes chaussures sont de plomb et mon sac-à-dos semble peser deux fois son poids réel. Après une heure et demie de marche, nous arrivons à un carrefour où nous attendent les écossais et un couple de français qui a dormi sous la tente. L'homme porte un impressionnant paquetage de 25kg. Sa femme porte un sac-à-dos comparable au mien. De quoi vais-je me plaindre ? Regaillardi par ces considérations, je remprends la route. Tout au long de la journée, nous allons grimper et descendre des vallées, longer puis franchir des cours d'eau, longer des a-pics et surplombs, bref, traverser des paysages somptueux qui me font accepter à chaque fois les difficultés grandissantes de la marche. J'en profite pour faire de nombreux arrêts pour prendre des photos. La femme du couple de français est professeur d'éducation physique dans la région parisienne. Ils se sont rencontrés avec son mari il y a quelques mois à peine, lors d'un trek semblable à celui-ci. L'intérêt, c'est qu'elle a à peu près le même rythme que moi. Nous allons ainsi parcourir cetté étape ensemble. Je dois avouer qu'un peu de compagnie me fait du bien en me permettant d'oublier un peu la fatigue grandissante et le manque d'air permanent.
Les heures passent et je commence à avoir faim. Mon guide semble embarassé. Quelque chose le perturbe. C'est après lui avoir posé plusieurs fois directement la question qu'il finit par me répondre : le groupe des écossais devait nous attendre à un point bien en deçà de là où nous sommes. Petit détail qui a son importance : c'est lui qui porte la nourriture. Nous n'avons rien. Superbe. Heureusement, le couple de français faisant la marche en autonome, ils ont emporté leur propre nourriture. Ils sont suffisamment gentil pour partager avec nous. Je leur promet une invitation en retour pour ce soir et nous faison halte. Sitôt assis, je prends conscience de ma fatigue. Je m'allonge pour une sieste qui durera plus d'une heure. Bien évidemment, le réveil sera difficile, car le vent s'est levé et la pluie commence à tomber. Vite, il faut mettre les sacs sous protection de pluie et sortir les affaires adéquates. Et comme il n'y a aucun abri naturel dans les environs, le mieux est encore de continuer la route. Au bout de quelques centaines de mètres, mes chaussures sont recouvertes d'une bonne épaisseur de boue qui vient encore alourdir ma charge. Nous traînons les pieds à présent et même le guide a ralenti le pas. L'ascension devient difficile. Heureusement, nous suivons le lit d'un cours d'eau et la pente est encore douce. Je lève la tête pour regarder autour de moi : au fond, la montagne, impressionnante, domine en la fermant la vallée glaciaire où nous sommes. Il faudra monter tout ça avant de se reposer ce soir. Perspective peu encourageante. Heureusement, il a cessé de pleuvoir mais la température a nettement fraichi.
Il nous faudra finalement 9 heures d'une montée épuisante, avec un final très pentu nous obligeant parfois à nous aider des mains, pour venir à bout d'une deuxième étape froide et humide. Toutes mes affaires sont mouillées et j'ai même du mal à défaire mes chaussures. La température a chuté à 11°C. J'ai vraiment froid. Je sens plus le froid à l'intérieur qu'à l'extérieur de mon corps. Les écossais ne semble pas non plus en grande forme, de même que mon guide. Tout le monde a les traits tirés. La haute montagne ne se gagne pas comme ça. Nous nous retrouvons autour d'un thé bouillant. Seule consolation : la vue. Nous sommes au pied même du sommet du Mont Kenya. Il est là, devant nous, nous dominant de près d'un kilomètre encore. Vraiment impressionnant. Je regarde le chemin que nous devrons parcourrir demain. On peut en voir une grande partie d'ici. Lui aussi est impressionnant : la montée initiale est extrêmement raide. Je commence à frissonner dans le froid de cette finde journée et je décide de rentrer. Pas d'eau chaude. Pas de chauffage. Un dortoir plus grand encore (et donc plus difficile à chauffer) que le précédent. J'ai vraiment froid maintenant. Le thé brûlant n'a fait que m'insensibiliser la langue. Je n'ai plus du tout faim. Mes mains tremblent. De fait, c'est tout mon corps qui semble trembler. Il me faut me réchauffer, et vite. J'enfile tout ce que j'ai comme vêtements de plus chaud et sec et je me glisse dans mon sac de couchage. Incroyable : il me semble que mon corps, loin de réchauffer l'intérieur, le refroidit au contraire. Je tremble de plus en plus. Je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes. Il fait chaud dehors ? Non. Dedans ? Non plus. Mais où alors ? Loin. Très loin. Au sahel il fait chaud. 40° au sahel. Je ne tremblait pas là-bas. Il faut que j'y retourne. Vite, mon portable, je vais les appeler, ils vont venir me chercher. Zut ! Pas de signal. Je me mets à pleurer comme un gamin. Hypothermie, c'est sûr. Il me faut de l'aide. J'entends des voix dehors. J'appelle. L'un des écossais vient aux nouvelles et me trouve en train de grelotter dans mon sac. Il me demande si ça va. Non, ça ne va pas du tout ! Je suis malade. Il me faut de la chaleur. Du thé ? Non ! Je suis en colère à présent. Ils ne comprennent donc pas que j'ai besoin de chaleur ? Finalement, mon guide m'apporte deux bouteilles pleines d'eau bouillante et me les glisse dans le sac de couchage. C'est bon la chaleur. Je mets une bouteille sous chaque bras et je me brûle à leur contact. Au bout d'un moment, les tremblements commencent à cesser et la panique à refluer. Je vais guerir ! Je suis si heureux que je recommence à pleurer. Je vais enfin pouvoir me reposer. Il est à peine 7 heures du soir et je finis par m'endormir. A trois heures du matin, les écossais me réveillent. Vais-je venir avec eux ? Pas question. Je suis trop fatigué et j'ai encore froid. Les bouteilles sont toujours là, cependant, et encore bouillantes. Qu'il est bon, ce sac de couchage ! Il maintient parfaitement la chaleur interne. Je vais pouvoir ôter une ou deux couches de vêtements. Ce faisant, je mets mes bras dehors. Le froid me saisit instantannément. En deux respirations, j'ai les poumons qui se bloquent et les tremblements qui reprennent. Vite, regagner l'intérieur. J'ai tout de même pu vérifier la température dans le dortoir : 6°C. Plus jamais je ne sortirai de mon sac.
18 décembre. 9 heures. On me réveille. Les écossais sont de retour de l'ascension de Point Lenana. ils ont réussi. Pas moi. J'ai échoué au pied de l'ascension finale. Je suis désespéré. Mais j'ai tellement froid, et tellement sommeil ! Il me faut pourtant me lever et m'habiller pour redescendre, nous devons être ce soir à Judmeier Camp. J'ai pu reprendre quelques forces et me reposer un peu. Je ne suis plus malade mais je me sens très faible. Arriverai-je à refaire la route en sens inverse ? Il le faudra bien. c'est en descente, après tout. Le petit déjeuner ne me réveille pas. Je suis comme un zombie. Machinalement, je range mes affaires et referme mon sac. Les français vont rester une journée de plus et monter un peu plus haut, pour passer la nuit dans un refuge juste en dessous de Point Lenana. Peut-être y arriveront-ils. Pour moi, c'est l'échec. Mais on me rassure : un couple de chinois a dû faire demi-tour hier et c'est déjà un exploit de venir ici, sans préparation et hors de forme. Les écossais me permettent de récupérer les photos qu'ils ont faites "en haut". Leur gentillesse me réchauffe le coeur. Allons ! Il est temps de regagner le monde des vivants.
La descente s'avèrera plus terrible encore que la montée. Au bout de quelques heures, je n'avançais plus que machinalement, par simple volonté de ne pas rester là. J'ai du faire un nombre hallucinant de poses. Mon guide, très professionnel, n'a manifesté aucune émotion mais il me pressait de continuer. Finalement, il me faudra 9 heures, autant qu'à l'aller, pour redescendre. Les pentes glissantes, la boue, le froid, la pluie, tout me semblait être programmé pour me faire renoncer. Je ne me souviens plus des derniers kilomètres. Tout ce dont je me rappelle, c'est d'arriver à l'intérieur du Judmeier Camp et de m'effondrer, à bout de forces, sur le banc de la table, devant mon repas fûmant. Il faudra qu'on me réville pour que je finisse par manger et me traîner dans mon lit. 12 heures de sommeil me seront nécessaires pour retrouver quelques forces.
19 décembre. Descente finale. Je me sent bien mieux. Je n'ai plus mal à la tête. Je suis bien moins fatigué. En fait, je me sens même optimiste. Après tout, je me suis mesuré à moi-même, j'ai découvert mes limites physiques et psychologiques et j'ai trouvé de nouvelles ressources où puiser ma volonté. J'en suis plutôt heureux. Il me faudra encore pas mal de temps pour assimiler tout ce que j'ai découvert sur moi-même. Du temps, justement, j'en ai beaucoup, pendant la descente. Tout le monde semble joyeux et marche d'un bon pas. Pour la première fois, j'arrive à suivre celui des écossais. la descente va vite et l'air devient à la fois plus sec et plsu chaud. Le moral remonte. Je n'ai pas réussi à vai,cre la Mont Kenya ? La belle affaire ! Je me rends compte maintenant que ce n'était pas ça que j'étais venu chercher. Ce que je cherchais, je l'ai trouvé. Je connais mes limites. Je connais celles de mon corps mais, plus important, je connais celles de ma volonté.
Le retour à Nairobi, dans la journée, se déroule comme dans un rêve. Arrivé dans les bureaux de l'opérateur, je demande un hôtel moins cher. Moitié prix. Parfait. J'y resterai 4 jours, le temps de découvrir un peu plus la population de cette ville que je n'ai fait qu'apercevoir avant de prendre mon avion pour l'île Maurice. Il me faudra aussi tout ce temps pour me reposer. Je suis vraiment arrivé au bord de ce que je pouvais faire. Il est temps maintenant de profiter un peu de ce que la vie peut proposer ici.