D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

11/05/2004

Elémentaire, mon cher Ouaga !

Trois jours à Ouaga, déjà, et la ville me semble s’ouvrir eu à peu, libérer ses secrets à mes yeux, comme à regret. Comment la décrire ? C’est un mélange très personnel de terre, d’air, d’eau et de feu.

Ville de Terre.
Ouaga est rouge. Rouge de terre saturée de fer, rouge de poussière de l’harmattan, rouge des efforts déployés par ses habitants pour la remuer et lui donner vie. Cette terre, omniprésente, devient vite étouffante lorsque, au passage d’un camion, elle vient obstruer toutes les voies respiratoires d’un seul coup. Quatre heures passées à arpenter les rues, tantôt goudronnées, tantôt terreuses, de cette mégapole, m’ont convaincues de l’intérêt de porter, à l’instar de certains motocyclistes, un bandana. De fait, la latérite rouge est tellement omniprésente que toute construction, hormis les plus récentes, bétonnées, sont construites à partir de ce matériau. Ce qui donne une ville ocre sur fond rouge, brune sur fond rouge ou rouge sur fond rouge. Et, lorsque vient le soir, la terre rouge semble, l’espace d’un instant, envahir le ciel tout entier, avant de laisser la place à une nuit noire, que seuls percent les braseros et la joie dans le cœur de ses habitants.

Ville d’Air.
Ouaga possède un parfum particulier. Selon les quartiers, on passe de fragrances soutenues des arbres surchauffés, à l’odeur indéfinissable des moteurs deux temps des mobylettes omniprésentes, mélangée à celle du diesel émise par les bus et camions. Ici, le mot « antipollution » ne se prononce pas, ne s’envisage même pas. La pollution est, sur les grands axes, tellement présente que le souffle manque. Cet air à 38°C (en moyenne depuis mon arrivée) devient tout-à-coup beaucoup plus frais lorsque, passé la grille de quelque ministère, on se retrouve dans une cour intérieure bordée d’arbres. De l’ombre ! Le seul endroit où l’air lui-même peut respirer. Mais je disais que Ouaga était une ville d’Air, et je le maintient. A la différence d’une ville française où, selon les quartiers, vous pourrez respirer des variations d’un même air, ici, on a parfois l’impression que l’on vient de changer de planète. La façon de respirer n’est plus la même. Et quand vient le soir, cette chaleur qui reste dans l’air devient brutalement moins étouffante lorsque, avec la disparition (tout aussi subite) de la circulation, elle se décharge de toute pollution. Imaginez que cette ville, mégapole de plus de 2 millions d’habitants, bâtie dans son immense majorité de bâtiments de plein pied, renouvelle son air en moins d’une demie-heure, le temps d’un coucher de soleil …

Ville d’Eau.
Au centre de Ouaga se trouve un barrage, capturant l’eau nécessaire à la ville. Pour celui qui n’a jamais vu le barrage, l’imaginer relève de la gageure. C’est un lac artificiel autour duquel se dresse une ville immense, qui ne vit que grâce à lui. Que l’on se trouve d’un côté du lac, et le regard se perd sur une immensité d’eau (en cette saison, le lac et bien rempli), au-delà de laquelle l’on aperçoit comme une ombre de ville. Il s’agit pourtant de la même cité. La distribution de l’eau s’effectue par un classique réseau sous-terrain, complété d’un mon bien classique réseau de porteurs d’eau. Des bicyclettes portant jusqu’à 30 bisons jaunes de 10 litres chacun sillonnent la ville, partant des abords du lac (où les coupures d’eau sont quasi inexistantes) vers le centre ville assoiffé. Selon le conditionnement et la qualité de l’eau proposée, le litre se négocie entre 50CFA (7,5 centimes d’euro) et 1000CFA (1,5 euro). L’eau est d’une telle importance (et d’une telle rareté) que je ne résiste pas à vous raconter deux anecdotes. La première s’est passée hier, lorsque j’arpentais les rues poussiéreuses du centre ville, à la recherche d’une bouteille d’eau. Ce n’est qu’au bout d’une demie-heure, à demander le chemin de l’eau à quelques passants serviables (dont la population de la ville semble uniquement constituée), que je finis par trouver une sorte de buvette, où le patron et les employés, totalement désœuvrés, regardaient une télévision de 36cm diffusant une émission indéfinissable, tantôt en couleur, tantôt en noir et blanc, et dont le son sortait en crachouillis d’un haut-parleur hors d’âge. L’eau ne se vendait que sous forme de berlingots de 500ml, en deux versions : dans la première, le berlingot est scellé, glacé, et contient de l’eau de source (si j’en croyais ce qui était imprimé dessus) ; dans la seconde, le berlingot est noué, l’eau est à température (prête pour la cuisson des pâtes), et ne comporte aucune inscription. Prix respectifs : 50CFA et 20CFA. J’avoue ne pas avoir hésité longtemps …
La seconde anecdote remonte à quelques heures, alors que nous apprêtions à quitter le SIAO (Salon International des Arts de Ouagadougou, l’équivalent de la Foire aux Expositions de Bordeaux) après plus de trois heures de visite. Nous n’étions plus qu’à une dizaine de mètres de la sortie lorsque mes narines, sevrées d’humidité, captèrent l’odeur, indéfinissable mais si particulière, de l’eau. J’eus beau me retournant, chercher partout des yeux l’origine de l’odeur, je devais rapidement me rendre à l’évidence : j’avais été victime d’une hallucination olfactive …

Ville de Feu.
Impossible de décrire Ouaga sans parler de ses habitants. C’est en eux que le Feu réside. Un feu chaleureux (c’est un minimum pour une ville du Sahel), profond, généreux. Du matin au soir, et même au-delà, ces gens bougent, vivent, parlent, hurlent parfois, vitupèrent souvent, se déplacent dans un système de voies où toute règle de circulation semble avoir été abolie (seule règle valable : laisser passer tout véhicule plus gros et plus rapide que vous), semble se fondre dans une masse globale, de la façon que les globules rouges se fondent dans le sang. Et partout ces sourires, ces « bonjours ! » impromptus qui fusent devant, derrière, à droite, à gauche, si bien que, pour leur rendre la politesse, l’on en vient à prononcer ce mot presque à chaque pas. Pour sûr, un parisien en deviendrait fou en moins d’une heure ! Théodore Monod, dont je viens de terminer la lecture d’un livre, disait : « Je me suis senti seul deux fois dans ma vie : dans le désert, et dans le métro parisien ». Pour ma part, je trouve que cette chaleur, ce feu de communication, ces sourires qui s’illuminent à chaque salutation rendue « Bonjour ! Ca va ? Tranquille … », sont le signe de ce que nous, européens, avons perdu, avec notre technologie de la communication hyper pointue : le sens de la relation. En trois jour de visite, j’ai fait la connaissance de plus de monde que je ne pourrais en 3 semaines dans nos villes. Et il n’y a qu’ici pour rencontrer un chanteur se faisant appeler « Rasta Bisou » (sic), prendre son vélo et vous accompagner, pour parler de l’absence de pluie et de la persistance du beau temps pendant près de 10 km, de vous donner ses coordonnées et de vous proposer d’assister à la répétition de son groupe … fait d’autant plus remarquable que je constatai, au fur et à mesure de notre route, que nombre de personnes semblaient le connaître et le saluaient avec importance.

Ouaga est une ville élémentaire, dont la complexité naît de l’écart de chacune de ses composante avec nos standards européens. La découvrir, c’est se remettre en question. C’est aussi l’adopter et l’apprécier, sans réserve.