D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

11/23/2004

Mopti, mardi soir

Me voici à Mopti. Il est 17 heures. Il ne me reste plus qu’une heure de lumière pour trouver Papa Fréguet, mon contact ici. A la descente du bus, je suis, comme à l’accoutumée, assailli par les chauffeurs de taxi. Ici, cependant, il faut y rajouter une dizaine de gamins braillant et vociférant des paroles incompréhensibles. La seule chose que je comprends, c’est qu’ils essaient de me vendre quelque chose. Mais à l’énoncé de mon contact, tout s’éclaire. Oui, tout le monde ici connaît Papa Fréguet. Non, le Campement n’est pas loin, pas besoin de taxi (au grand dam de ceux-ci). Oui, on va t’y amener. Non, laisse, on va porter ton sac. Certains mots ici ont des pouvoirs magiques. Papa Fréguet est l’un de ceux-ci.

Je trouve l’homme exactement où l’on m’avait indiqué : assis à une table, en train de siroter une bière. Il m’attendait. Il a été prévenu par Modibo Sagara (le guide pour le Pays Dogon qui m’a arrangé mon voyage à Mopti) et va me prendre en charge. Nous devons l’attendre ici même, au Campement. Il devrait arriver ce soir vers 20 heures. Mais à 20 heures, personne. Nous mangeons en l’attendant. Je profite de cette attente forcée pour passer quelques coups de fil (le téléphone public au Mali doit être l’un des plus cher au monde) et faire la connaissance d’un américain, Chris. Chris est lui aussi en vacances, pour 3 mois. Il vient du Maroc et descend jusqu’à Cotonou. Son programme inclus Tombouctou et Gao, plus au Nord. Pour ma part, je vais m’en tenir au Pays Dogon. J’ai déjà perdu beaucoup de temps avec mes problèmes de visa et j’ai dû remplacer Tombouctou par Bamako. Ce n’est pas très grave. Il y a tant à visiter ici que je projette déjà de revenir.

22 heures. Toujours pas de Modibo. Mon inquiétude doit se lire sur mon visage (je n’ai jamais su réellement masquer mes émotions) car Papa Fréguet commence déjà à me faire des propositions de remplacement, à des tarifs bien évidemment prohibitifs et en tout état de cause absolument inenvisageables. Mais son bon fond refait surface au bon moment et il me propose de m’héberger. J’accepte, d’autant plus que Modibo m’avait dit qu’il le ferait. Nous arrivons dans la vieille ville. Ici, les rues sont étroites et, à l’instar de Djenné, fendues en deux par le caniveau copieusement garni. Le tout se déverse, quelques dizaines de mètres plus bas, dans un étang insalubre bordé de cahutes. Il y a donc des gens pour vivre ici, sur les ordures. Je m’attends presque à voir surgir une de ces sœurs de Calcutta de derrière l’un de ces tas d’immondices. Et c’est dans ce quartier que je passe ma première nuit à Mopti. On me propose de dormir sur le toit, ce que j’accepte volontiers : à l’intérieur, il fait beaucoup trop chaud. On m’installe une paillasse, sur laquelle je pose mon duvet. C’est la première fois que je l’utilise. Ce ne sera certainement pas la dernière, tant les nuits commencent à fraîchir. A la tête de ce lit sommaire, je pose mon sac-à-dos et j’y fixe mon bâton de marche. Ce mât improvisé sert à fixer la moustiquaire. Je me glisse dessous, dans le duvet, et je me prends à rêver à un lit douillet dans une chambre avec une table de nuit et sa lampe de chevet. Quel contraste ! Mais, finalement, lorsqu’on dort, on ne se rend pas bien compte.

C’est le petit matin. Je serre mes affaires dans une demi-conscience. Je n’ai pas très bien dormi. La fraîcheur est bien là, finalement assez bienfaisante. Mais la poussière accumulée sur le toit a rempli tous mes orifices respiratoires et je mouche et tousse comme un grippé. Je comprends maintenant les rhumes à 25°C. Ils ne proviennent pas du froid, mais de la poussière. L’escalier qui descend dans la cour passe le long des toilettes à ciel ouvert et mon regard plonge malgré moi dans le simple trou qui sert de toilettes. Charmant. De toutes façons, je n’ai pas faim. Je prends le seau et la calebasse pour me doucher. La douche se fait dans les toilettes, à côté du trou. Hmmm. Oui, il faut avoir le cœur bien accroché et une bonne habitude pour vivre ici. Heureusement, ce n’était que pour une nuit.

Ce mercredi matin, je suis troublé. Modibo m’avait donné rendez-vous hier soir. Il n’a pas donné signe de vie. Que s’est-il passé ? Normalement, s’il a pris le bus hier après-midi, il devrait être là. Retour au Campement, donc. Personne, si ce n’est Chris, avec lequel je commence à parler. Il a un programme pour ce matin : visiter une école, et suivre un cours d’anglais. Parfait. Papa Fréguet a des courses à faire. Très bien. Moi-même, j’ai une commission à faire : envoyer le bonjour de mon cousin William à Hawa, la grande sœur de la famille de son guide lors de son périple au Pays Dogon. L’adresse devrait se trouver dans le Lonely Planet qu’il m’a prêté. Mince, comme information. Mais ici, tout est possible. Je regarde donc les adresses d’agences de tourisme et je parcours les rues de la ville. « Connaissez-vous une personne nommée Hawa qui travaillerait ici ? » est la phrase clé de cette matinée. Les 2 premières agences ne connaissent pas de Hawa. La troisième a déménagé, mais pas d’Hawa non plus, apparemment. Il y aurait bien cette dernière agence, non signalée dans le guide … Oui, il y a une Hawa. Oui, elle est cuisinière dans les expéditions touristiques. Non, malheureusement, elle n’est pas là. Mais elle est à Mopti, à l’agence près de l’hôtel Doux Rêves (les noms ici sont assez évocateurs). Nous prenons donc un taxi. En route, le gamin qui m’accompagne pousse une exclamation : nous venons de la croiser, qui retourne sur le port. Nous descendons et rentrons à pieds. Après deux heures de recherches, je me retrouve finalement face à une jeune fille au visage rond traversé d’un large sourire : Hawa. Mission accomplie. Il n’y a qu’ici que l’on peut retrouver une personne en ne prononçant que son prénom. Nous discutons. Elle se souvient vaguement d’un garçon correspondant à la description que je lui fais du cousin. Je prends ses coordonnées. Je ne peux faire mieux.

Mon téléphone m’indique que l’on a essayé de m’appeler plusieurs fois. Toujours le même numéro. Je fonce dans un télécentre et rappelle. C’est une cabine téléphonique à Bamako. Oui, un homme est venu ici il y a 10 minutes et a appelé plusieurs fois un numéro qui n’a pas répondu, apparemment. Il s’appelle Sagara. Mon guide. Il est encore à Bamako. Mais que lui est-il arrivé ? Je laisse une commission à la dame du télécentre de Bamako. Il est 10 heures. Au mieux, il ne sera là que ce soir. J’ai donc la journée. Mais ça veut dire aussi que je dois passer une nouvelle nuit ici. Hmmm. Non, il me faut un hôtel. Retour donc au Campement.

C’est fou ce que les gens ici peuvent être « serviables », jusqu’à l’agression, lorsqu’il s’agit d’argent. Je souhaitais aller à l’hôtel Doux Rêves, recommandé par le guide. « Non, il est complet » me dit-on (j’apprendrai plus tard qu’il n’en est rien), « mais je connais un hôtel tenu par un français qui vient d’ouvrir ». Le gamin, pas plus de 10 ans, est même prêt à me payer le taxi. Louche. Ici, un taxi coûte 150 CFA, quelle que soit la destination, pour autant que l’on ne quitte pas le goudron. Sinon, les prix flambent. L’hôtel en question (le « Y’a pas de problème », encore un nom évocateur) se trouve à quelques 250 mètres du goudron et le taxi réclame 2000 CFA. Je refuse, me met en colère et reprend mon sac-à-dos que le chauffeur avait déjà mis (de force) dans son coffre. Le gamin s’énerve. Il est prêt à payer les 2000 CFA. De plus en plus étrange. Un autre garçon, un adolescent, me propose alors de m’amener sur sa mobylette. Il connaît l’endroit. Le gamin et l’adolescent commencent alors à hausser le ton. Je ne comprends pas le Mambara, mais je devine que la conversation n’est pas badine. Je commence à deviner les dessous de l’affaire. Finalement, l’adolescent me fait monter sur sa mobylette et nous partons, sous les cris de rage du gamin.

Nous arrivons dans un quartier en construction. Je commence à avoir l’habitude de ces nouveaux quartiers. On entreprend tout un tas de constructions et elles se finissent … un certain temps plus tard. La construction d’une maison peut ainsi prendre des années. Au milieu de ce chantier, une construction peinte (donc finie), adossée à une construction identique en cours d’achèvement. L’hôtel « Y’a pas de problème ». Tout neuf. Première journée d’ouverture, les chambres sont rutilantes sentent encore la peinture fraîche. La chambre simple : 10000 CFA. Trop cher. Mon budget était de 5000. Jean-Marie, le patron, ne devrait pas tarder à arriver. Je décide de l’attendre. Entre-temps, la discussion véhémente près du Campement reprend. Le gamin nous a suivi. Maintenant, j’ai compris. Ce sont des « rabatteurs » qui sont payés par le patron, vraisemblablement une misère, pour lui procurer ses premiers clients. J’aurais dû comprendre dès le début. Ici, pas de service gratuit. Tout pour se faire un peu d’argent vite fait. Et la satisfaction du « client » n’est qu’une donnée secondaire du problème. Cette impression s’est vue confirmée maintes fois par la suite.

Sur ces considérations, le patron arrive. Discussions. On parle d’Afrique, de voyages, de la difficulté d’entreprendre, de son affaire … Je lui ferai de la publicité, il me fait moitié prix. Le lendemain, j’apprendrai que 5000 CFA est le prix normal. Pour le moment, tout ce qui m’importe est de me doucher, de me raser et de me reposer un peu dans un bon lit. Dont acte.

13 heures. Je suis reposé, et mon accès de mauvaise humeur s’estompe. Je suis prêt à retrouver la ville qui m’avait parue jolie avant d’être insupportable. Retour donc au Campement. Chris est là, qui se préparait à visiter la ville. Nous irons donc ensemble. Vieux port où nous trouvons étalés les blocs de sel que cherchait Chris, repas au bar Bozo sur le fleuve, traversées du port en pinasse, d’où nous pouvons apprécier l’activité fébrile qui règne tout autour de cette petite baie. Visite ensuite du marché, où tout le monde souhaite vous « inviter à entrer », juste pour le « plaisir des yeux », avant de vous proposer un article à prix « sacrifié », parce que vous être son « premier client » (à 15 heures ? Pauvre journée !) et que « le premier client porte chance pour la journée ». Toujours le même discours, toujours les mêmes arguments, toujours la même pression psychologique. Si je n’achète pas, ce sera ma faute si la boutique ne fait pas de chiffre d’affaires de la journée. Nous quittons ce lieu si coloré et pittoresque pour nous retrouver dans les rues de la ville, tout aussi encombrées.

Au détour d’une rue nous nous trouvons en présence d’un étrange photographe qui vous fait des photos d’identité à l’aide d’une boîte à photo tout droit sortie des livres d’histoire. Chris décide de tenter l’expérience et commande des photos d’identité. Il faut alors voir ce photographe du 19° siècle installer cet américain du 21° devant son appareil, passer la main dans la boîte à travers un rideau de velours rouge, regarder à travers une trappe et, de l’autre main, retirer et remettre presque aussitôt le bouchon qui obstrue l’objectif, constitué d’une vielle lentille sertie à la boîte verte à l’aide d’un couvercle de fer blanc … Et ça marche ! il tire une première fois un négatif, qu’il retouche au crayon avant de le placer devant l’appareil et de le rephotographier pour obtenir, cette fois, deux photos d’identité qui donnent à leur propriétaire l’air d’un vampire d’Halloween.

Nous finissons cette journée en déambulant dans les rues du centre ville. Nous ne faisons même plus attention à ces nuées de gamins, de marchands de toute espèce, de ces colporteurs, de ces touaregs qui, tous, vous assaillent et tournent autour de vous en vous proposant absolument n’importe quoi (non, je n’ai pas besoin d’une pompe à vélo ; non, d’une cravate non plus). Un enfant sortant de l’école tourne autour de moi en me réclamant tour à tour de l’argent, des bonbons, des stylos, et reste sourd à mes protestations jusqu’à ce que je finisse par m’énerver et, pour la première fois depuis le début de mon voyage, crier sur lui et le renvoyer chez sa mère. J’ai dû employer une voix forte que certains connaissent car nous n’avons plus été inquiété jusqu’à notre retour au Campement. Mais qu’il est dommage d’être obligé d’en arriver là !

Le soir, je décide d’aller dîner dans un restaurant recommandé par le guide. Chris devait me rejoindre, mais je suppose qu’il était trop fatigué pour me suivre et je ne l’ai pas revu de la soirée. Ce restaurant, tenu par une association de femmes, est propre, frais, et les prix pratiqués sont vraiment raisonnables. On me dit que c’est un repaire d’expatriés et que je ne devrais pas tarder à rencontrer des compatriotes. En effet, une demi-heure plus tard, cinq français passent la porte de la cour intérieure où je suis installé. On entame la conversation. Ils reviennent tout juste d’un circuit de 8 jours au Pays Dogon. Ils sont fatigués et un peu déçus. Apparemment, ils s’attendaient à mieux. Je continue à m’inquiéter en pensant à mon guide toujours absent. De 6 jours, mon périple vient de passer à 5 et je vois le nombre de villages traversés diminuer dans ma tête. Et si j’étais déçu ?

C’est avec cette pensée bien négative que je rejoins mon hôtel. Nous sommes mercredi soir, je suis parti de Bamako depuis deux jours. J’ai l’impression que c’était il y a une semaine.