D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

Ma photo
Nom :

Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

11/10/2004

Gaoua, pays Lobi

Gaoua. 5 heures de route au départ de Bobo. Gaoua, entrée du pays Lobi. Gaoua, petite ville de province enfoncée dans une vallée dominée par les colinnes environnantes. Gaoua, où je suis accueilli à la descente du bus par un nouvel ami : Williams Hien. C’est le beau-frère de Jean Bado. La famille est étendue ici, comme je vous l’avais dit. Il est venu me chercher avec son véhicule : une mobylette P50 de Peugeot. Avec mon sac à dos, mon chapeau sur la tête, mon appareil photo en bandoulière, je m’installe sur le porte-bagages et nous voila parti. Doucement, à cause de la pente, faible mais bien présente. La gare routière est, me dit Williams, éloignée de la ville. En effet, il faut passer une école, la Maison de la Femme et quelques faubourgs avant d’arriver au centre ville. Nous nous arrêtons directement devant un bar où je fais la connaissance du conservateur du musée Lobi que je suis venu voir. Puis nous pénétrons dans le bar et nous asseyons dans un préau.

Le bar ressemble à une ancienne école, ce qu’il devait être auparavant. Il y a d’abord une grande salle, toute en longueur, qui ne contient guère qu’un bar et un babyfoot. Ce n’est pas la place qui manque, c’est le mobilier. Derrière cette salle, une cour bordée de chaque côté par deux préaux. Derrière la cour, 3 salles de classes transformées en chambres d’hôtes.

Mon hôte me laisse le choix. Il m’a amené ici uniquement pour me proposer de loger chez lui. Si j’avais refusé, il m’aurait installé ici. Mais j’ai accepté. Nous repartons. Williams est un professeur d’anglais au lycée public de Gaoua. Avec sa femme, sa fille et deux petits cousins, ils occupent une petite maison au bout d’un chemin mal défini. Le jardin s’ouvre sur les toilettes externes et un robinet. L’eau courante a été installée il y a peu et ni les toilettes, ni la douche ne fonctionnent. Seul, le lavabo est connecté. Pour la douche, il faut aller chercher un seau au robinet et s’installer dans la salle de bains, en éclaboussant copieusement les murs. La salle de bains est réservée aux adultes. Les enfants se nettoient dehors. Ma chambre sert de remise et ne possède pas de lit. Il y aura un matelas ce soir, et l’installation de ma moustiquaire posera problème, mais rien d’insoluble. Seul luxe dans cette maison au confort spartiate, une télévision et une radio. Le repas est simple : riz et poulet. L’après-midi, Williams me mène sur la colline du Commandant, qui domine la ville et n’est occupée que par des bâtiments administratifs : mairie, préfecture, musée Lobi. C’est ici qu’il me laisse, pour aller donner son cours. Il est 14h30 et viendra me chercher vers 17 heures.

Le musée est fermé. Sur le balcon, une jeune femme blanche lit un livre, étendue sur un matelas devant lequel tourne un ventilateur. Elle s’appelle Pascale, est toulousaine et est ici pour accompagner son père qui fait partie d’une organisation humanitaire. Elle est infirmière et souhaitait découvrir l’hôpital de Gaoua. Ce qu’elle a vu l’a ébranlée. Nous parlons de nos expériences personnelles. Elle connaît la guide du musée. Elle repart dans 15 jours en France. Elle m’envie de rester si longtemps. Lorsque la guide arrive, Pascale part et me laisse dans le musée.

La visite passe par 4 salles : la femme, l’homme, les rituels et l’art, ainsi que la reproduction à l’identique d’une maison Lobi et de cases Gan, une ethnie du pays Lobi. En pays Lobi, apprend-je, la femme est au centre de la communauté, bien que le régime matrimonial usuel soit la polygamie. La maison est construite par strates et comporte une chambre par femme. L’homme ne possède pas de chambre propre et passe ses nuits tour à tour dans la chambre de chaque femme. Celle-ci est la nourricière, la gardienne du foyer, la semeuse, celle grâce à qui la vie apparaît. Une femme féconde est la gloire d’une maison. Ménopausée, elle devient gardienne de la tradition et fabrique les fétiches. Plus une femme a été chanceuse dans sa vie « active », plus les fétiches qu’elle construit sont puissants. L’homme est le guerrier, le chasseur, le cultivateur. Les Lobi utilisent des arcs aux flèches empoisonnées, possèdent le contrepoison, et partent à la chasse ou à la guerre en soufflant dans des sifflets de bois, d’os ou de terre cuite. Tous les 7 ans, les hommes et les femmes qui n’ont pas encore suivi l’initiation sont pris en charge par les anciens. Ils subissent alors des épreuves et suivent l’enseignement des traditions. A l’issue de l’initiation, ils reviennent au village, parés de petits coquillages blancs, symbole de leur réussite. Ces traditions sont toujours d’actualité, et ici des mots comme avancée technologique, progrès, changement, évolution n’ont pas cours. Pourquoi changer un mode de vie parfaitement adapté au monde qui vous entoure ? Ces idées-là sont bonnes pour nous autres européens. Ici, la nature fait partie de l’homme, et l’homme fait partie de la nature.

Deux heures et demie plus tard, je suis toujours dans l’enceinte du musée. Williams est là, qui m’attend patiemment. Même Pascale est revenue de l’hôpital. Il est vraiment temps de partir. Cette immersion m’a coupé de la réalité. Je n’ai rien vu passer. Williams me mène en haut de la colline du Commandant pour photographier le soir tomber sur la ville, puis nous passons prendre un verre avec ses amis professeurs. Grandes discussions. On parle bien évidemment des événements en Côte d’Ivoire, du sort malheureux des réfugiés burkinabés, qui reviennent ici mettre femmes et enfants en sécurité avant de redescendre défendre leurs intérêts. Au fur et à mesure de la conversation, je fais le rapprochement de ce qui se passe ici et maintenant avec ce qui s’est passé il y a 50 ans en Algérie … L’heure est grave, mais pas suffisamment pour gâcher la soirée.

Vers 20 heures, nous rentrons chez Williams pour le repas. C’est un peu tard pour dîner (le repas se prend vers 19 heures ; n’oubliez pas qu’il y a une heure de différence avec la France, alors que nous partageons normalement le même fuseau horaire), mais aucune réflexion ne sors de la bouche de madame. Le repas est frugal mais bon. Le riz sauce est un plat bien fait, solide à l’estomac et assaisonné de mille façons. La chambre est parée, un matelas m’attend. Il est temps de dormir. Demain la route vers Bobo sera longue. En m’endormant, je me fais la réflexion qu’une fois de plus, le Burkina Faso est un pays magique, où il suffit de dire bonjour à quelqu’un pour qu’il ouvre toutes grandes les portes de son cœur hypertrophié. J’ai, une fois encore, reçu une leçon d’humanité.