D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

11/09/2004

Sindhou et Banji

Après la cascade, nous revenons à Banfora. Le Lonely Planet indique que cette ville est célèbre pour ses brochettes de capitaine. Après discussion autour d’une bonne bière rafraîchissante, notre chauffeur nous conduit dans un restaurant à l’ambiance très calme et reposante, le Calypso. C’est le refuge d’un cuisinier français échoué là, ayant fui la vie européenne trop stressante à son goût. Mais, hélas, point de brochette de capitaine. Il n’y en a pas dans tout Banfora, nous explique-t-on. Les pêcheurs sont en rupture. C’est bien dommage. On nous présente la carte. La nourriture proposée est très française et je décide de me risquer sur du foie de veau persillade. Jean opte pour un steak. Les deux autres prendront du riz gras, un plat burkinabé. Surprise : la serveuse est très stylée, les plats bien présentés et, pour couronner le tout, c’est délicieux ! Ah, la France, quand même …

Il est 15h30 lorsque nous sortons de table. Nous partons pour les pics de Sindhou. C’est une curiosité géologique située à 45 km de là. Sitôt le début de la piste, je comprends que nous ne pourrons pas tout faire. Elle est impraticable. Les pluies de la saison précédente et le passage répété des camions de ravitaillement ont transformé cette paisible route secondaire en champ de bataille. Ornières, trous, immenses flaques d’eau nous barrent constamment le passage. Il faut toute la détermination d’un Emmanuel bien décidé à me montrer les merveilles de son pays pour venir à bout de la piste. Mais ce n’est qu’une heure et demie après notre départ que nous arrivons enfin à destination. Il est 17h15, le soleil se couche dans un quart d’heure. Nous ne verrons pas les hippopotames. Pour me consoler, je laisse mon regard se poser ça et là sur ces cheminées de pierre qui forment une chaîne discontinue : les pics de Sindhou. Je réalise alors que, dans notre malheur, nous avons de la chance : la lumière du soir est exceptionnelle et ces pics qui, la journée, doivent être bien sages, semblent le soir prendre vie et se jeter leur ombre les uns sur les autres. Une gigantesque bataille, faite d’ombre et de lumière, se déroule sous mes yeux. Fasciné par le spectacle, j’en oublie presque mon appareil photo. Dans un dernier élan de lucidité, je l’attrape dans la voiture et cours plonger au milieu de la bataille. Je me fais l’effet d’un reporter de guerre. La lumière baisse, il me faut faire vite. Je n’ai pas emporté ma genouillère et ma blessure me rappelle à l’ordre : il faudra faire un peu moins vite. Je n’en grimpe pas moins les volées de marches naturelles qui se présentent devant moi, pour arriver à une espèce de col, un petit cirque tout plat fait d’herbe, miraculeusement épargnée au milieu du champ de bataille. Là, j’ai l’impression d’être dans l’œil d’un cyclone. Tout y est calme. Le soleil n’illumine plus ce plateau. Toute la nature s’est tue, dans l’attente de la nuit. Nulle photo ne pourra jamais rendre l’impression de vide immense et de paix qui m’habite à ce moment. Je suis seul au monde, un monde de quelques acres, entouré par des géants protecteurs. Je m’identifie alors aux premiers habitants de ces régions, qui ont trouvé ici un probable sanctuaire.

Mais déjà ; j’entends au loin le klaxon de la voiture qui me rappelle. La nuit est en train de tomber, il nous faut partir. Si la route à l’aller était impossible, de nuit, elle sera infernale. Je plains par avance notre chauffeur qui, de son air placide, me réconforte : « Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude ». Bah, on verra bien. Je suis venu ici aussi pour ça, n’est-ce pas ? Nous progressons donc le plus rapidement possible tant que la luminosité le permet. Mais ici, c’est l’Afrique, et en Afrique, le temps ne s’écoule pas de la même manière qu’ailleurs. Et c’est ainsi que, une demi-heure après notre départ, nous décidons de nous arrêter. Au bord du chemin, Jean a aperçu un groupe de paysans sous un manguier. Un peu plus loin, des hommes, perchés au sommet de palmiers royaux, récoltent la sève de l’arbre : des bouilleurs de banji, l’alcool de palmier. C’est ainsi, ici : une expérience en chasse une autre. Je ne verrai pas les hippopotames ? Qu’importe, je goûterai le banji. A l’instar du dolo, il existe deux formes de banji : le sucré et le fermenté. Je goûte aux deux et fait la même constatation : le fermenté est légèrement aigre et piquant, le sucré est doux et, malgré sa tiédeur (il a passé toute la journée au soleil), rafraîchissant. Mes amis parlent avec les paysans. Je ne comprends rien, mais les sonorités des voix, ajoutées au banji qui coule dans ma gorge et à la fatigue qui m’envahit, me laissent une agréable sensation de sérénité. Il fait nuit, la route promet d’être épique, les phares de la 405 sont faiblards et tout le monde est fatigué, mais qu’importe ! Nous sommes heureux.

Une heure et demie à l’aller, autant au retour. Emmanuel a fait fort. Nous déposons l’ami de Jean chez lui, disons au revoir à sa famille (qui a préparé un dîner fait de poulet accompagné de dolo) et rentrons sur Bobo. Il est 23 heures. Je suis dans mon lit, fatigué d’une journée commencée à 6 heures ce matin, mais les yeux pleins d’images inoubliables. Mon appareil photo affiche 148. C’est le nombre de photos que j’ai prises aujourd’hui. 148. C’est un millième de ce que j’aurais voulu prendre. Je repasse ces milliers d’images dans ma tête en m’endormant.