D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

12/23/2004

Départ pour l'île Maurice

Ca fait maintenant 3 jours que je suis à Nairobi. Hormis la première journée où j'ai arpenté les rues du centre ville, je n'ai opccupé les autres qu'à écrire. Tout juste ai-je pris le temps de m'arrêter dans une librairie pour acheter deux livres, "Alice in Wonderlands" et sa suite, "Behind the looking glass". Le pub est mon repaire du soir. De la bonne musique, mis à part une fois où les écrans diffusaient un match de football anglais. Ce pub est en fait un repaire de fans d'Arsenal et l'ambiance était excellente ce soir-là. Arsenal a gagné, et les tournées de bière se sont enchaînées. J'ai été gentiment invité plusieurs fois, en tant que compatriote de Henri et Pires. S'ils connaissaient mon intérêt pour ce sport, ils m'auraient laissé dans mon coin. Un autre soir, une jeune fille m'ayant apperçu en train de boire seul a décidé de se joindre à moi. Elle est revenue les autres soirs. Et pour le prix de quelques bières, j'ai pu entretenir mon anglais et faire un peu de conversation. Après plusieurs heures passées sur l'ordinateur, un peu de compagnie est la bienvenue. Au début, elle m'a joué une comédie assez bien tournée sur une rupture récente et sa tristesse actuelle. Mais au bout de quelques heures, elle a fini par laisser tomber tout ça et nous avons pu parler réellement. Je lui ai raconté l'Afrique de l'ouest, mes déboires au Mont Kenya. Elle m'a parlé de ses études de droit, de son ami qui la maltraite, des femmes kenyanes en général. La vie ici n'est pas facile. Le travail est dur, dans les campagnes, et les femmes n'ont pas le beau rôle. En ville, c'est un peu différent. La communauté estudiantine est assez libérale et, contrairement à l'Afrique de l'ouest, peu inféodée à un système gérontocratique où l'ancêtre du village a tout pouvoir. Il y a une nette différence entre ces deux afriques. Mais à quel prix ! Il faut se retrouver dans des circonstances sociales précises (soir, bar, étudiant, baroudeur) et gratter un peu pour obtenir une franchise que, d'un seul regard, j'obtenais de n'importe quel burkinabé.

Aujourd'hui est un jour spécial. Je quitte le continent pour l'île Maurice. Je vais passer les fêtes en famille, puis le début de l'année 2005 en France, à La Réunion, toute proche de l'île Maurice. Noël et le Nouvel An au chaud, les pieds dans l'eau. Une première pour moi. Et après un mois et demi de chaleur sèche et de froid intense en haute montagne, je suis curieux de voir comment je vais vivre ce retour à la vie facile et au luxe. Mes cousins m'attendent, la photo qu'ils m'avaient envoyée est éloquente : de l'herbe à l'ombre des cocotiers, et puis la plage et l'eau aux quatres teintes de bleu. Je vais m'y reposer, c'est sûr. Ce seront des vacances au milleu de mes voyages.

Autres lieux, autres habitudes, autres personnes. Tout un monde à découvrir. Je n'ai fait qu'entr'appercevoir l'Afrique. Je n'y ai pris que des impressions, des moments fugitifs, que j'ai consignés ici. L'intensité des journées que j'y ai vécues n'est que la promesse d'autres expériences à venir, d'autres émotions, d'autres amitiés. Je n'ai pu que toucher du doigt certaines réalités, mais je ne peux concevoir de ne pas y retourner, revoir mes amis, retrouver ces paysages, cette terre rouge que j'ai maudit tant de fois et qui, je le sais maintenant, va me manquer.

Au revoir, donc. Et alors que la porte de l'avion se referme, je ne suis sûr que d'une chose : j'ai vécu l'histoire merveilleuse que j'étais venue chercher.

12/20/2004

Derniers jours en Afrique

Le soleil est haut dans le ciel. La matinée est déjà bien avancée et je n'arrive toujours pas à me lever. Je suis dans ma chambre d'hôtel, à Nairobi. Il fait 26°C et tout va mieux à cette température. Je suis encore fatigué de ce périple sur le deuxième sommet d'Afrique. Que vais-je faire de ces quelques jours qui me séparent de mon départ ? Visiter la ville, qui ressemble à toutes les villes des pays développés ? Certes, car il faut que j'ailles chercher mes billets d'avion. Mais après ? Déjeuner en ville, dîner en ville, sortir le soir ? Mauvaise idée, le soir, à moins d'avoir recours aux taxis. Il y a aussi ce parc national aux portes de la ville, où l'on peut croiser les grands mammifères d'Afrique ... Mais pas aujourd'hui. Je suis plus fatigué que je ne veux bien l'admettre et je ne suis pas prêt à reprendre le sac-à-dos.

Aujourd'hui nous sommes lundi. Le comptoir Air Mauritius est donc ouvert. Il est situé en plein centre ville. Je vais y aller à pieds, en passant par l'ambassade française, il y a une bibliothèque là-bas. Puis j'irai faire un tour sur internet, que j'ai négligé depuis une semaine. Le soir, j'irai dans cette boîte de jazz que m'ont indiqué les écossais. Bon plan. Je commence dès que j'ai pris mon petit déjeuner.

11 heures. Je sors du restaurant. J'ai vraiment pris tout mon temps. Ca fait du bien une douche, même froide. Il faut dire que tout est relatif et le terme "froide" ne correspond pas à la même chose entre le Kenya et la France. Et puis, après l'eau à 2° du Mont Kenya, n'importe quelle eau paraît chaude. Idem pour le petit déjeuner. J'ai retrouvé mon appétit, mais je n'arrive pas à savoir si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Par conre, la perspective de marcher sur terrain plat et par une température d'environ 25° me ravit. C'est donc avec le sourire aux lèvres que je sors du restaurant. Mon plan en poche, me voila parti pour la première destination : l'ambassade de France. Elle se trouve dans un quartier riche de nombreux buildings où sont regroupées de nombreuses délégations diplomatiques. Ce n'est pas très loin, à peine 500m. J'en profite pour compter le nombre de taxis qui me proposent leurs services. Quatorze. Quatorze fois, j'ai entendu la phrase "taxi, Sir ?". Quatorze fois, j'ai répondu par la négative. Au début, poliment, à la fin, par un simple geste d'agacement. Vais-je finir par regretter le calme des montagnes, dès mes premiers pas en ville ? Pour éviter de passer une mauvaise journée, je décide de fermer mon esprit à toutes ces sollicitations. Au bout de quelques minutes, je suis au pieds du bâtiment, en nage. J'avais presque oublié que la chaleur provoque ce genre de désagrément. Mais compte tenu de ce que je viens de vivre, c'est presque avec joie que je sens l'eau ruisseler sous mon T-shirt. Je pénètre dans le grand hall. Il est glacé. Comme d'habitude, les climatisations sont poussées au maximum. Combien d'énergie est-elle dépensée ici chaque jour dans ce grand hall vide ? Je n'ose pas imaginer le gaspillage. Un planton est là, derrière son comptoir. Je m'adresse à lui en Français. Il me regarde d'un air ahuri. Ca commence bien. Je recommence, en anglais cette fois. Ce coup-ci, son visage s'éclaire et il me répond. Non, ce n'est pas l'ambassade de France ici (je comprends mieux) mais oui, il y a bien une bibliothèque francophone, qui appartient à l'Alliance française. C'est au premier étage. Négligeant les ascenceurs, je monte les quelques marches qui me conduisent à un second hall, plus petit mais aussi glacé que le premier. La bibliothèque est là. Il n'y a personne. J'ouvre la porte, et une femme toute menue vient vers moi, l'air contrarié. Pardon ? Non, je n'ai pas vu le panneau. Fermé pour inventaire ? Pour 3 jours ? Bon, tant pis. De toutes façons, m'indique la femme, cette bibliothèque n'est ouverte qu'aux résidents membres de l'Alliance. Dépité, je redescends les marches et, passant la porte du grand hall du rez-de-chaussée, je me retrouve dans un four. C'est incroyable la puissance de ces climatieurs. Il doit faire 15° dans le bâtiment. L'énergie ne doit pas être chère ici. Heureusement, je n'ai pas eu le temps de me refroidir et le coup de chaud provoqué par la différence de température ne dure que quelques secondes. Me voila de nouveau arpentant les rues en direction du bâtiment abritant Air Mauritius, ma seconde étape. Chemin faisant, je raverse le quartier des délégations, dont les rues sont remplies de voitures de luxe en stationnement pour le moins aléatoire. A côté, une horde de chauffeurs en costume discutent à voix passe. Puis j'arrive dans un quartier commerçant. Partout, des vitrines et des publicités aux étages attirent l'oeil. Comme partout en Afrique, je ne comprends rien à l'organisation des magasins. Les bijoutiers côtoient les épiceries, les marchands de journaux les coiffeurs. Peut-être qu'en y réfléchissant un peu ... Mais je suis déjà dans un autre quartier. Devant moi, la cathédrale, à sa gauche la mairie et derrière, rivalisant de hauteur avec la tour de l'édifice, le minaret où un muezzin appelle une nouvelle fois à la prière. Je décide de fuir pour quelques temps le bruit et l'agitation pour me réfugier dans la cathédrale. Dès l'entrée je sens la fraicheur
et le silence bienfaisants. Par contre, je comprends que le Kenya n'a pas une grande histoire chrétienne : la cathédrale est un grand bâtiment de briques rouges, dont les murs s'ouvrent sur toute leur hauteur pour laisser entrer la lumière. Pas de vitraux, pas de recherche artistique, aucune âme. Les architectes ont "traité" ce bâtiment comme ils l'auraient fait pour une administration. C'est fonctionnel, sans plus. Deuxième déception de la journée. Je ressors dans la lumière et la chaleur de midi. Air Mauritius est à quelques blocs d'ici. En marchant, je change encore de quartier. Ici, la vie est plus dense, les rues plus animées. C'est le quartier des affaires. A ma droite : les compagnies aériennes. A ma gauche : les banques. Devant moi : les restaurants. Je suis dans une rue semi-piétone. Ne vous méprenez pas, ça n'a pas grand-chose à voir avec les notres. Ici, le piéton est roi, tant qu'il n'y a pas de voiture. La portion de la rue où la circulation automobile est autorisée devient une enciero dès qu'arrive un véhicule. Les gens se mettent à courir, le véhicule ne freine pas. Surprenant, au début. On s'y fait, question de survie. Je ne plaisante pas : ici, mieux vaut tuer un piéton que de le blesser, ça coûte moins cher. Le civisme est une notion très accessoire et définitivement inintéressante. Je longe les bâtiments pour arriver devant l'enseigne "Air Mauritius". Pour entrer dans la tour, il faut passer un barrage de gardiens. Vérification d'identité, fouille, but de la visite : ici, on ne plaisante pas avec la sécurité. Etrange, je n'ai jusqu'ici pas eu l'impression d'une ville criminelle. Peut-être qu'au fil des heures et des jours ... Frisonnant à l'entrée du hall, où les climatiseurs maintiennent une température polaire, je monte au premier étage où se trouvent les bureaux. Fermé. Je redescends et me renseigne auprès du gardien. Dans un anglais très approximatif (mais quelle langue parlent-ils donc ici ?), il m'explique que le personnel est parti déjeuner. Evidemment. J'ai complètement perdu le sens des réalités adminisratives et du travail, et la pause déjeuner ne m'est plus familière. J'ai donc deux heures à attendre. Dans ma liste des choses à faire, vient l'envoi de cartes postales. Très bien. En deux heures, j'ai largement le temps. Je reviens sur mes pas, où j'ai croisé tout-à-l'heure une petite librairie. Après avoir choisi quelques cartes, je me dirige vers la poste locale. Elle se situe de l'autre côté d'une autoroute citadine. Je passe sur un pont et découvre la cour des miracles. Ce pont est le seul moyen de passer d'un côté à l'autre du quartier des affaires, et il semble être le rendez-vous de tout ce que Nairobi compte d'infirmes et de mendiants. Au concert des avertisseurs des voitures prises dans le trafic sous mes pieds se superpose un autre concert, celui des voix suppliantes longtemps travaillées des mendiants professionnels. L'oeil larmoyant, la main frêle tendue désespérépent, le gamin jouant avec les haillons de sa mère, jusqu'au chien couvert de puces qui lance un regard suppliant. Mieux que dans Notre-Dame de Paris. Et au millieu de tout ça, fendant cette faune dans une superbe ignorance, les cohortes des personnels en costumes ou tailleurs vont et viennent, pressés d'arriver à destination. J'ai l'impression d'assister à une représentation théâtrale. Richesse et Pauvreté. A mesure que j'avance sur le pont, je me surprends à penser à la réalité de tout ceci. Ces gens sont les descendants des guerriers Massaïs ! Ceux-là même que j'ai vu, longeant l'autoroute, lance à la main, lors de mon arrivée au Kenya. Etrange, comme l'occident exporte plus facilement ses tares que ses bienfaits. Je suis dans une Afrique moderne, où l'eau chaude n'est pas encore répandue, mais où la pauvreté et la mendicité sont déjà banalisés.

J'arrive à la poste. C'est un bâtiment immense, et il me faut plusieurs demandes pour enfin trouver l'entrée du service que je recherche. A l'intérieur, des arbres de Noël entièrement décorés me prouvent que les fêtes ne sont pas loin. Guirlandes, boules miroitantes, faux cadeaux sous les arbres, il ne manque rien. Ah, si ! Le Père Noël. Pourtant, la température à l'intérieur de l'édifice devrait lui convenir ... Je m'assoie à un bureau et commence à rédiger mes cartes. Une musique d'ambiance coubre les quelques conversations étouffées des usagers, et ce silence relatif me fait du bien. Je suis à quelques jours de Noël, dans un pays d'Afrique de l'est, 30°C à l'ombre, loin de tout le monde. Ces cartes sont mon seul lien avec ce qui était ma vie il y a moins de deux mois. Il y a une éternité. L'Afrique est bien mystérieuse, où l'unité de temps est la journée et l'espérance de vie si courte. Chaque journée est vécue lentement et intensément. Ces deux adjectifs ne peuvent s'appliquer ensemble à nos civilisations. C'est une sensation très étrange de se dire, le soir venu, que l'on a pas fait grand-chose mais que c'était le maximum que l'on pouvait faire.

Je poste mes cartes. Dans un quart d'heure, je dois récupérer mon billet d'avion. Le trajet retour sur le "Pont des Miracles" me confirme ce que je pensais : il y a ici plus d'opportunistes que de brais nécessiteux. Témoin cette femme que j'ai vu pleurer il y a une heure et qui à présent me bouscule presque avec la petite motocyclette flambant neuve. Décidément, l'occident n'a pas exporté le meilleur de lui-même. Mis à part ce pont, déambuler dans le coeur de Nairobi n'est pas différent de mes expériences similaires dans des villes comme Paris ou Bruxelles, si ce n'est la sécheresse et la chaleur. Des hommes et des femmes affairées dont le regard se perd dans le vague me croisent sans même me remarquer. Un agent de police me regarde, dans une totale indifférence, traverser la rue en évitant les voitures qui foncent sur moi. Un bus de ville lance un coup d'avertisseur avant de frôler un groupe d'enfants au bord du troittoir. Un illuminé en haillons harrangue une foule de costume-trois-pièces qui ne lui adressent pas même un regard ...

Abandonnant les rues, je m'egouffre dans la grotte glaciale qu'est le hall de la compagnie. Tout le monde est là, sourire au lèvres et café à la main. En un quart d'heure, j'ai mon billet, deux tasses de thé, les photos du petit dernier qui fait ses dents et une critique appuyée du système, responsable du fait que je doive repayer mes billets perdus mais que voulez-vous, on n'y peut rien. C'est ma deuxième visite ici en une semaine, et j'ai l'impression d'être devenu un ami. Impressionnant. Si ces gens sont sincères, alors je dois à ce pays de reconnaître la chaleur de leur accueil. Si ce n'est pas le cas, ils ont un sens théâtral très développé. Quoi qu'il en soit, je ressors du bureau satisfait et mentalement revigoré. Je n'ai plus l'impression d'être seul. La journée semble plus belle. J'ai même faim. Il est trois heures de l'après-midi et je m'engouffre dans le premier restaurant venu. On y fait au choix du poulet, du poulet ou même du poulet. Je ressors aussitôt, sous l'oeil médusé de la serveuse qui n'a pas eu le temps d'articuler la première syllabe de son discours de bienvenue. Dans le restaurant suivant, les gens mangent des hamburgers. Je passe. Finalement, j'arrive à langle de la rue. Là, plusieurs petits restaurants vendent des plats à emporter. Principalement du poulet, mais également du poisson et même des pizzas. A l'étage, un espace rempli de tables et de chaises sert de salle de restaurant. On commande en bas et on monte manger. Simple. Je commande donc une pizza. Les noms ne me sont pas familier, et la serveuse ne parle pas anglais. Par signes, je finis par me faire comprendre. Cette pizza, taille moyenne, avec de l'eau plate. Incapable de déterminer le contenu de la dite pizza, j'ai choisi au hasard. Je monte et m'installe au fond de la salle. Lorsque j'ouvre le carton de ma pizza (les pizzas poussent dans des cartons dans tous les coins du globe, apparemment), une délicieuse odeur vient régaler mon odorat. Du poulet. Tant pis. Ce soir, c'est décidé, je mangerai chinois ou mexicain. Les spécialités kenyanes sont délicieuses, paraît-il. Le seul problème, c'est que l'on ne les trouve que dans des restaurants pour touristes, où les prix pratiqués sont dix fois supérieurs à ce que l'on trouve ailleurs. La nourriture kenyane attendra une autre fois. Pendant que je mange, mes yeux se promènent le lng des enseignes de la rue, en face de moi. Restaurant, restaurant, restaurant. Ah ! Internet café. Justement, j'en cherchais un. Mon repas fini, je monte au quatrième étage de l'immeuble où se trouve la salle. Sur le palier, en face, des cabines téléphoniques spécialisées dans les appels internationnaux. De mieux en mieux. Je vais pouvoir passer une bonne partie de l'après-midi ici.

Ce n'est que le soir venu que je suis sorti de l'immeuble. J'ai à peine commencé à rattraper mon retard sur le récit du voyage. Mais promis, je reviendrai demain. Ce soir, j'ai rendez-vous avec les écossais dans le club de jazz. Je remonte la rue. Le club est à mi-chemin entre la boutique internet et mon hôtel. Tout est proche, finalement, lorsque l'on reste en centre ville. Lorsque j'arrive, une hôtesse vient me proposer une place sur le balcon, au premier étage. Puis elle prends ma commande. Très serviable. Un peu trop, même. Un grand sourire, court vêtue ... Mais non, je divague, cet établissement semble très soigné. Pas de petite queue de lapin aux fesses des serveuses. Juste un peu provoquant, c'est tout. Quelques minutes plus tard, un serveur (pour changer) passe avec un plateau garni d'amuse-gueules. J'en commande quelques uns. Je n'ai pas très faim et j'attends toujours. Finalement, mes compagnions de marche me rejoignent. Ils ont passé la journée à dormir et se réveillent juste. Ils ont mangé et ont soif. Me voila pris entre deux écossais assoiffés dans un pub de jazz où d'accortes jeunes filles servent de grandes bouteilles de bière. La soirée sera courte. Déjà je ressens la fatigue. Pour tenir un peu plus, je mange quelques amuse-gueules supplémentaires. Mon anglais devient plus laborieux. Je paie une tournée sur trois et j'en suis déjà à ma seconde. J'ai bu deux litres de bière. Il est minuit et demie. J'ai sommeil. Les écossais proposent de me raccompagner, mais ils sont au moins aussi atteints que moi et vont continuer à faire la fête toute la nuit, car leur avion repart vers 5 heures du matin. C'est trop pour moi. Je sors du pub. La musique et l'alcool me tournent la tête. Ca fait un moment que je ne me suis pas senti comme ça. Heureusement, je trouve assez vite la station de taxi et la course est rapide, ce qui fait que je me trouve allongé sur le lit juste le temps de deux ou trois pensées cohérentes.

Demain, je sais ce que je vais faire : la journée à écrire, le soir au pub de jazz. Il est bien, ce pub.

12/16/2004

Nanyuki et le Mont Kenya

J'ai donc décidé de me mesurer au Mont Kenya. Ambitieux, je le sais, et je ne m'attend pas à un miracle, mais pourquoi pas ? Ce matin, un chauffeur est venu me chercher à l'hôtel. J'ai assez mal dormi et je ne suis pas très bien réveillé, suffisamment quand même pour savoir qu'il me faudra un autre hôtel, plus excentré que celui-ci, pour me reposer à mon retour.
La route choisie pour ce trek de 4 jours (plus un jour pour rejoindre Nanyuki, une ville au pied de la montagne et servant de base de départ pour la route) est la "Sirimon route". Ce n'est pas la plus longue, ni la plus dure, mais apparemment c'est la plus belle. Elle traverse plusieurs vallées avant d'attaquer le sommet par le nord. Elle comprend deux camps de base : Judmeier Camp, à 3300m d'altitude, et Shimpton's Camp, à 4200m (ce qui est déjà fort élevé). Point Lenana, le seul sommet accessible sans équipement spécial, est situé à 4987m, soit 180m de plus que le Mont Blanc ! L'objectif est de grimper sur Point Lenana le matin, aux premières lueurs de l'aube, pour y observer le lever du soleil sur la montagne.
Le trajet vers Nanyuki s'effectue en minibus et n'est pas sans me rappeler l'Afrique de l'ouest. Cette impression se renforce lorsque, sorti du centre ville très européen, nous traversons des quartiers plus "populaires" qui ressemblent à s'y méprendre aux quartiers marchands de Ouagadougou, Bamako ou Accra. Mais une fois sorti de la ville, les différences apparaissent : paysage valloné, champs d'ananas, de manguiers, de papayers, de bananiers, voire d'eucalyptus. Ici, la nature a été apprivoisée, les terres sont pour la plupart cultivées et les propriétés bien délimitées. La route, sans être exceptionnelle, est en assez bon état. Ce n'est pas la route principale du Ghana, il y a bien quelques tronçons chaotiques ou en complète réfection, mais c'est à peu près navigable. Je me relaxe en regardant défiler le paysage devant moi. Pour faire un parallèle avec l'Afrique de l'ouest, j'essaie de lier conversation avec les passagers. Je dois vite déchanter. Ce n'est pas la barrière de la langue, mon anglais est suffisant pour tenir une conversation, mais apparemment, aucune personne ici ne souhaite partager ses expériences avec moi. Chacun est dans son monde, et les 5 heures de route finissent par me sembler bien longues. Il y a bien mon guide, qui fait de louables efforts pour parler avec moi, mais on sent bien que ce n'est pas sa tasse de thé.
Arrivé à Nanyuki, nous descendons dans un hôtel simple et propre, le Joskaki hôtel, dont le nombre de chambres m'étonne : plus de 200 réparties sur 4 étages ! Il faut croire que le Mont Kenya attire beaucoup de monde. Heureusement, il semble relativement vide, et le repas du soir me le confirme : il n'y aura pas foule sur les pentes. Mon guide veut profiter des quelques heures de soleil qu'il nous reste pour me montrer une curiosité : le passage de l'équateur. C'est vrai que le Mont Kenya est en plein sur la tranche de la Terre et que d'Accra à Nairobi, je suis passé du Nord au Sud. L'équateur se situe à la sortie de la ville, au sud. Là, un simple passeau indique la ligne imaginaire. De nombreuses boutiques vendent des souvenirs et, pour quelques shillings kenyan, l'une des nombreuses personnes désoeuvrées qui traînent ici vous fait une démonstration assez intéressante : l'inversion du sens de rotation de l'écoulement de l'eau, autrement dit, la force de Coriolis. le principe de la démonstration est simple : on prend un récipient possédant un trou au centre de sa base, on le remplit d'eau et on ouvre le trou en posant deux alumettes à la surface de l'eau. L'écoulement de l'eau va provoquer un siphon qui va tourner dans un sens ou dans l'autre, suivant l'hémisphère dans laquelle on se trouve. Sur la ligne de l'équateur, l'eau s'écoule sans effet de siphon et les alumettes sembles hésiter sur la direction à prendre. Suivant mon habitude, j'essaie de lier conversation avec les personnes présentes, leur demander ce qu'elles font, le style de vie ici, la montagne, etc. Mais leurs réponses me dépriment, alors qu'ils me récitent par coeur le contenu des dépliants que j'ai pu trouver dès l'aéroport. Apparemment, tout ce qui les intéresse, c'est l'argent que je peux leur donner. Le reste ne les concerne pas. Je suis blanc, donc je suis un touriste, donc j'ai de l'argent, donc leur but est de m'en soutirer le plus possible. Mais je suis maintenant habitué à ce système et je me pique au jeu. Oui, je veux bien entrer dans cette boutique, "pour le plaisir des yeux", mais je préviens : je ne suis pas acheteur. D'accord ? D'accord ! Me dit le vendeur qui croit déjà flairer le pigeon. Déambulant entre les étagères d'articles vus et revus dans toutes les boutiques semblables à celles-ci, Afrique de l'ouest compris, je regarde certains objets, attendant le mouvement qui ne se fait pas attendre : le vendeur prend une bague et me propose de me la vendre "à prix coûtant, pour lui porter chance". La chance du premier client, à 4 heures de l'après-midi ? Oui, bien sûr, mais il n'y a eu aucun client aujourd'hui. Peut-être que grâce à moi, il sauvera sa journée. Je lui rappelle que je ne suis pas acheteur. Il insiste et me donne son premier prix : 600 shillings. Et c'est parti. Devant mes refus successifs, il descend petit à petit le prix. Proposition finale : 30 shillings ! Pour un objet proposé à prix coûtant, un facteur de 1 à 20 ressemble un tout petit peu à une pure escroquerie. Je lui explique mon point de vue et sors de la boutique, sous le regard un rien offensé de mon interlocuteur. Il y a une moralité à tout ça : ne pas être acheteur est le meilleur moyen d'obtenir des prix fracassants pour des objets dont on n'a absolument pas besoin. Il est temps de rentrer, je commence à avoir faim. En chemin, j'explique l'aventure à mon guide, qui s'esclaffe à chaque énnoncé de prix. Mon récit semble le dérider un peu et je décide de pousser l'avantage en lui posant quelques questions simples : connaît-il ces personnes ? Depuis combien de temps fait-il ce métier ? La route Sirimon est-elle difficile, quels sont ses dangers ? Etc. Et le voilà qui commence à répondre, à me donner des détails et, fait plus rare, à sourire. La glace est rompue. Il aura fallu plus de 6 heures pour y arriver. Décidément, côté relationnel en Afrique, l'est ne vaut pas l'ouest.
16 décembre. Premier jour d'ascension. Au matin, après un solide petit déjeuner (mon guide me prévient : il faudra me forcer à manger et à boire en altitude), nous prenons un minibus déjà rempli de quelques randonneurs. Puis nous partons en chercher deux autres, deux écossais avec qui je vais faire la route. Ils ont l'air jeunes et gaillards, je vais certainement avoir du mal à les suivre. Pas de problème, m'explique le guide, on fera deux groupes. Très bien. Le minibus quitte la route et s'engage sur un sentier de terre. Petit à petit, nous montons. Autour de nous, les cultures font place à des terres d'élevage extensif, de "l'herbe à vache", très semblable à celle que l'on rencontre sur nos pentes pyrénéennes. Plus le sentier monte dans la montagne et plus il se rétrécit et devient difficile. Nous sommes sévèrement balottés dans le minibus et celui-ci est même tout près de verser sur le côté. Heureusement, quelques minutes plus tard, nous arrivons à la porte du parc. Un aérodrome longe les derniers mètres de la route. Nous sommes arrivés. En descendant, je ressens une impression que j'avais presque oublié : il fait un peu froid. Oh, pas grand-chose, mais quand même. J'ouvre mon sac-à-dos et consulte le petit thermomètre qu'une collègue m'a offert avant de partir : 22°C. 10 degrés de moins qu'à Nairobi, ça se sent. Heureusement, la marche va rapidement me réchauffer.
Mon guide me fait signe : nous voila parti. Immédiatement, les écossais prennent les devants et adoptent un pas que je sais ne pas pouvoir suivre. Très bien, je marcherai en binôme avec mon guide. Par contre, on m'avait annoncé un porteur et personne n'est venu me proposer de prendre mon sac. Il va ma falloir porter les 10kg pendant toute l'ascension. Mmmmm. Voilà un facteur de difficulté supplémentaire. Bah, on verra bien. Je ne sais ce qui est le plus difficile dans une ascension comme celle-là, si c'est le sentier qui ne semble jamais s'arrêter ou si c'est l'horizon qui semble s'éloigner au fur et à mesure qu'on s'en approche. Certainement une combinaison des deux. Toujours est-il que plus j'avance et plus je sens confusément que la journée va être éprouvante. Combien de kilomètres avant Judmeier Camp ? 9km. Combien de Judmeir à Shimpton's ? 15km. Eh bien, il va falloir que je révise ma notion des distances : il me semblait avoir marché sur des dizaines de kilomètres. Mais ici, 9km de 2500m à 3300m, ça fait beaucoup. Il nous faudra près de 5 heures pour parcourir la distance, arrêts compris. A mi-chemin, nous retrouverons les écossais et leur guide qui, je l'apprendrai à la fin de la descente, étai censé être mon porteur.
Judmeier Camp est un refuge de montagne. Ce qui veut dire dormir sur des paillasses dans des chambrées de 8 lits, manger dans une grande salle commune et ne pas disposer de douches. Pas de chauffage non plus et pas d'eau chaude. Un simple lavabo en fer pour la dizaine de randonneurs que nous sommes. Pour les guides, ce qui ressemble à un lavoir leur sert tant pour leurs ablutions que pour la vaisselle ou la cuisine. Charmant. Par contre, la vue est époustouflante et personne ne s'y trompe, lorsqu'on se retrouve tous sur un petit promontoire à proximité du camp pour y admirer le coucher du soleil. J'avoue que je suis déjà heureux d'être arrivé ici, à plus de 3000m. J'ai mal à la tête, mais c'est dû à la raréfaction de l'air, me dit-on. De fait, tout le monde a mal de tête et ça devrait durer tout le temps de l'ascension. De mieux en mieux. Je suis assez fatigué par les derniers kilomètres de la montée et je n'ai pas très faim. J'ai beau me forcer, je n'y arrive pas. Les écossais, avec lesquels j'ai fini par sympatiser, ont le même problème. A côté de nous, un canadien grand et fort comme un bucheron semble ne pas être à son aise. Il descend du Shimpton's camp et il a marché sous la pluie et l'orage de montagne toute la journée. Pire, il n'a pas pu faire l'ascension de Point Lenana à cause du mauvais temps. Mais il fait contre mauvaise fortune bon coeur et nous raconte ses mésaventures par le menu. La soirée va se passer ainsi, à raconter les souvenirs de galères. Les écossais nous racontent une randonnée cauchemardesque dans les Glenns, et je leur raconte mon trajet de Bobodioulasso à Bamako. Une australienne, venu se joindre à notre groupe, nous raconte une panne du train reliant Sidney à Alice Springs, au millieu du désert australien, qui dura 2 jours. L'ambiance est plutôt détendue et ces mésaventures nous font rire et sourire. Tant mieux, la marche du lendemain risque d'être moins amusante.
17 décembre, deuxième jour d'ascension. Je n'ai pas très bien dormi. Il faisait froid et la sortie du sac de couchage dans la chambre à 16°C m'a plus saisie que revigorée. L'absense de douche a fini de me déprimer. je remet les habits froids et encore humides de la veille et me traîne autour des tables de petit déjeuner. Heureusement, le thé est chaud et à volonté. Oeuf au bacon, suivi d'un plat de spaghettis et de viande viennent constituer un solide petit déjeuner qui me remet d'applomb. Les écossais sont joyeux et me redonnent le moral. Allons ! Ce ne sont pas 15km et 900m de dénivelé qui vont me faire peur ! Mon guide passe la tête à travers la porte : le soleil va se lever, encore une belle journée ... Après quelques photos de l'aube sur le Mont Kenya et la vallée environnante, nous voilà reparti. J'apperçois juste au-dessus de nore camp une station météo. Elle a l'air toute proche. Il nous faudra tout de même plus d'une heure pour atteindre sa hauteur. Dieu, que c'est dur ! Il n'y a pas d'air, j'ai mal à la tête, mes chaussures sont de plomb et mon sac-à-dos semble peser deux fois son poids réel. Après une heure et demie de marche, nous arrivons à un carrefour où nous attendent les écossais et un couple de français qui a dormi sous la tente. L'homme porte un impressionnant paquetage de 25kg. Sa femme porte un sac-à-dos comparable au mien. De quoi vais-je me plaindre ? Regaillardi par ces considérations, je remprends la route. Tout au long de la journée, nous allons grimper et descendre des vallées, longer puis franchir des cours d'eau, longer des a-pics et surplombs, bref, traverser des paysages somptueux qui me font accepter à chaque fois les difficultés grandissantes de la marche. J'en profite pour faire de nombreux arrêts pour prendre des photos. La femme du couple de français est professeur d'éducation physique dans la région parisienne. Ils se sont rencontrés avec son mari il y a quelques mois à peine, lors d'un trek semblable à celui-ci. L'intérêt, c'est qu'elle a à peu près le même rythme que moi. Nous allons ainsi parcourir cetté étape ensemble. Je dois avouer qu'un peu de compagnie me fait du bien en me permettant d'oublier un peu la fatigue grandissante et le manque d'air permanent.
Les heures passent et je commence à avoir faim. Mon guide semble embarassé. Quelque chose le perturbe. C'est après lui avoir posé plusieurs fois directement la question qu'il finit par me répondre : le groupe des écossais devait nous attendre à un point bien en deçà de là où nous sommes. Petit détail qui a son importance : c'est lui qui porte la nourriture. Nous n'avons rien. Superbe. Heureusement, le couple de français faisant la marche en autonome, ils ont emporté leur propre nourriture. Ils sont suffisamment gentil pour partager avec nous. Je leur promet une invitation en retour pour ce soir et nous faison halte. Sitôt assis, je prends conscience de ma fatigue. Je m'allonge pour une sieste qui durera plus d'une heure. Bien évidemment, le réveil sera difficile, car le vent s'est levé et la pluie commence à tomber. Vite, il faut mettre les sacs sous protection de pluie et sortir les affaires adéquates. Et comme il n'y a aucun abri naturel dans les environs, le mieux est encore de continuer la route. Au bout de quelques centaines de mètres, mes chaussures sont recouvertes d'une bonne épaisseur de boue qui vient encore alourdir ma charge. Nous traînons les pieds à présent et même le guide a ralenti le pas. L'ascension devient difficile. Heureusement, nous suivons le lit d'un cours d'eau et la pente est encore douce. Je lève la tête pour regarder autour de moi : au fond, la montagne, impressionnante, domine en la fermant la vallée glaciaire où nous sommes. Il faudra monter tout ça avant de se reposer ce soir. Perspective peu encourageante. Heureusement, il a cessé de pleuvoir mais la température a nettement fraichi.
Il nous faudra finalement 9 heures d'une montée épuisante, avec un final très pentu nous obligeant parfois à nous aider des mains, pour venir à bout d'une deuxième étape froide et humide. Toutes mes affaires sont mouillées et j'ai même du mal à défaire mes chaussures. La température a chuté à 11°C. J'ai vraiment froid. Je sens plus le froid à l'intérieur qu'à l'extérieur de mon corps. Les écossais ne semble pas non plus en grande forme, de même que mon guide. Tout le monde a les traits tirés. La haute montagne ne se gagne pas comme ça. Nous nous retrouvons autour d'un thé bouillant. Seule consolation : la vue. Nous sommes au pied même du sommet du Mont Kenya. Il est là, devant nous, nous dominant de près d'un kilomètre encore. Vraiment impressionnant. Je regarde le chemin que nous devrons parcourrir demain. On peut en voir une grande partie d'ici. Lui aussi est impressionnant : la montée initiale est extrêmement raide. Je commence à frissonner dans le froid de cette finde journée et je décide de rentrer. Pas d'eau chaude. Pas de chauffage. Un dortoir plus grand encore (et donc plus difficile à chauffer) que le précédent. J'ai vraiment froid maintenant. Le thé brûlant n'a fait que m'insensibiliser la langue. Je n'ai plus du tout faim. Mes mains tremblent. De fait, c'est tout mon corps qui semble trembler. Il me faut me réchauffer, et vite. J'enfile tout ce que j'ai comme vêtements de plus chaud et sec et je me glisse dans mon sac de couchage. Incroyable : il me semble que mon corps, loin de réchauffer l'intérieur, le refroidit au contraire. Je tremble de plus en plus. Je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes. Il fait chaud dehors ? Non. Dedans ? Non plus. Mais où alors ? Loin. Très loin. Au sahel il fait chaud. 40° au sahel. Je ne tremblait pas là-bas. Il faut que j'y retourne. Vite, mon portable, je vais les appeler, ils vont venir me chercher. Zut ! Pas de signal. Je me mets à pleurer comme un gamin. Hypothermie, c'est sûr. Il me faut de l'aide. J'entends des voix dehors. J'appelle. L'un des écossais vient aux nouvelles et me trouve en train de grelotter dans mon sac. Il me demande si ça va. Non, ça ne va pas du tout ! Je suis malade. Il me faut de la chaleur. Du thé ? Non ! Je suis en colère à présent. Ils ne comprennent donc pas que j'ai besoin de chaleur ? Finalement, mon guide m'apporte deux bouteilles pleines d'eau bouillante et me les glisse dans le sac de couchage. C'est bon la chaleur. Je mets une bouteille sous chaque bras et je me brûle à leur contact. Au bout d'un moment, les tremblements commencent à cesser et la panique à refluer. Je vais guerir ! Je suis si heureux que je recommence à pleurer. Je vais enfin pouvoir me reposer. Il est à peine 7 heures du soir et je finis par m'endormir. A trois heures du matin, les écossais me réveillent. Vais-je venir avec eux ? Pas question. Je suis trop fatigué et j'ai encore froid. Les bouteilles sont toujours là, cependant, et encore bouillantes. Qu'il est bon, ce sac de couchage ! Il maintient parfaitement la chaleur interne. Je vais pouvoir ôter une ou deux couches de vêtements. Ce faisant, je mets mes bras dehors. Le froid me saisit instantannément. En deux respirations, j'ai les poumons qui se bloquent et les tremblements qui reprennent. Vite, regagner l'intérieur. J'ai tout de même pu vérifier la température dans le dortoir : 6°C. Plus jamais je ne sortirai de mon sac.
18 décembre. 9 heures. On me réveille. Les écossais sont de retour de l'ascension de Point Lenana. ils ont réussi. Pas moi. J'ai échoué au pied de l'ascension finale. Je suis désespéré. Mais j'ai tellement froid, et tellement sommeil ! Il me faut pourtant me lever et m'habiller pour redescendre, nous devons être ce soir à Judmeier Camp. J'ai pu reprendre quelques forces et me reposer un peu. Je ne suis plus malade mais je me sens très faible. Arriverai-je à refaire la route en sens inverse ? Il le faudra bien. c'est en descente, après tout. Le petit déjeuner ne me réveille pas. Je suis comme un zombie. Machinalement, je range mes affaires et referme mon sac. Les français vont rester une journée de plus et monter un peu plus haut, pour passer la nuit dans un refuge juste en dessous de Point Lenana. Peut-être y arriveront-ils. Pour moi, c'est l'échec. Mais on me rassure : un couple de chinois a dû faire demi-tour hier et c'est déjà un exploit de venir ici, sans préparation et hors de forme. Les écossais me permettent de récupérer les photos qu'ils ont faites "en haut". Leur gentillesse me réchauffe le coeur. Allons ! Il est temps de regagner le monde des vivants.
La descente s'avèrera plus terrible encore que la montée. Au bout de quelques heures, je n'avançais plus que machinalement, par simple volonté de ne pas rester là. J'ai du faire un nombre hallucinant de poses. Mon guide, très professionnel, n'a manifesté aucune émotion mais il me pressait de continuer. Finalement, il me faudra 9 heures, autant qu'à l'aller, pour redescendre. Les pentes glissantes, la boue, le froid, la pluie, tout me semblait être programmé pour me faire renoncer. Je ne me souviens plus des derniers kilomètres. Tout ce dont je me rappelle, c'est d'arriver à l'intérieur du Judmeier Camp et de m'effondrer, à bout de forces, sur le banc de la table, devant mon repas fûmant. Il faudra qu'on me réville pour que je finisse par manger et me traîner dans mon lit. 12 heures de sommeil me seront nécessaires pour retrouver quelques forces.
19 décembre. Descente finale. Je me sent bien mieux. Je n'ai plus mal à la tête. Je suis bien moins fatigué. En fait, je me sens même optimiste. Après tout, je me suis mesuré à moi-même, j'ai découvert mes limites physiques et psychologiques et j'ai trouvé de nouvelles ressources où puiser ma volonté. J'en suis plutôt heureux. Il me faudra encore pas mal de temps pour assimiler tout ce que j'ai découvert sur moi-même. Du temps, justement, j'en ai beaucoup, pendant la descente. Tout le monde semble joyeux et marche d'un bon pas. Pour la première fois, j'arrive à suivre celui des écossais. la descente va vite et l'air devient à la fois plus sec et plsu chaud. Le moral remonte. Je n'ai pas réussi à vai,cre la Mont Kenya ? La belle affaire ! Je me rends compte maintenant que ce n'était pas ça que j'étais venu chercher. Ce que je cherchais, je l'ai trouvé. Je connais mes limites. Je connais celles de mon corps mais, plus important, je connais celles de ma volonté.
Le retour à Nairobi, dans la journée, se déroule comme dans un rêve. Arrivé dans les bureaux de l'opérateur, je demande un hôtel moins cher. Moitié prix. Parfait. J'y resterai 4 jours, le temps de découvrir un peu plus la population de cette ville que je n'ai fait qu'apercevoir avant de prendre mon avion pour l'île Maurice. Il me faudra aussi tout ce temps pour me reposer. Je suis vraiment arrivé au bord de ce que je pouvais faire. Il est temps maintenant de profiter un peu de ce que la vie peut proposer ici.

12/14/2004

Nairobi, Kenya, Afrique de l'est

Nairobi.

Je suis arrivé il y aquelques minutes seulement, il n'est pas encore 6 heures du matin et toutes les boutiques de l'aérogare d'arrivée sont fermées. Je déambule depuis plus d'une demie-heure dans les couloirs déserts à la recherche d'une banque, d'un agent de change ou d'un guichet automatique. Rien. Je suis encore dans la zone internationale, et je sais que le visa d'entrée au Kenya va ma coûter 50 dollars américains. Oui, mais voilà, comment le payer ? Je n'ai pas de liquide et les douaniers risquent de regarder ma carte bleue d'une air dubitatif. Je viens d'arriver au bout du couloir semi-circulaire de l'aérogare. Toujours rien. Il n'y a pas moyen d'obtenir de l'argent dans cette zone. Incroyable. Comment faire ? Le mieux, dans ces cas-là, est encore d'expliquer la situation et de demander de l'aide aux intéressés. Me voilà parcourant cet interminable couloir courbe en sens inverse. Sortie porte 10. Je suis porte 22. Une porte tous les 50 mètres, ça fait 600 mètres à parcourrir. Ce n'est pas possible, le couloir n'est pas si long. Je refais mes calculs en comptant mes pas. Ce qu'il y a de remarquable dans ces situations, c'est le ridicule dans lequel on se retrouve lorsqu'on est livré à soi-même. Je suis en train d'effectuer des calculs de distance dans un aéroport que je ne connais pas, un sac à dos de 12kg qui me tire en arrière, en attendant de retourner à mon point de départ où les douaniers ne doivent plus attendre personne maintenant. Bref.

Porte 10. Le couloir descend en pente douce. Ce n'est pas plus mal, je commençais à fatiguer. Les guichets d'immigrations sont là. Il y a, outre les deux douaniers derrière leur comptoir, un homme qui vient vers moi avec un large sourire et des papiers plein les bras. Il me montre un petit écritoire jonché de papiers de couleurs et me demande de remplir les formulaires. Je lui explique la situation. son sourrire s'efface. Apparemment, ma situation est inédite pour lui. Incroyable. Oui, derrière le comptoir, en territoire kenyan, il y a 2 banques, un ATM (comprenez un guichet automatique en terminologie anglaise) et deux agents de changes. Mais pour y accéder, il va falloir obtenir le visa d'entrée. Oui, mais pour l'obtenir, il me faut payer 50 dollars que je n'ai pas ! situation ubuesque, résolue par un accroc aux règles d'immigration : je deviens, pour quelques minutes, un immigrant clandestin au Kenya. Le pire, c'est que j'ai laissé mon passeport aux douaniers le temps d'aller chercher de l'argent, sous la surveillance de mon "guide" (qui ne sourit plus du tout) et que je suis donc, outre un clandestin, un sans-papiers ! Heureusement, la situation va vite se décanter et tout rentrera dans l'ordre quelques minutes plus tard. Les sourires reviennent, et le douanier me tend mon passeport, dûment tamponné, avec une formule de bienvenue dans un anglais tellement caché par un accent indéfinissable que je me résout à y répondre uniquement d'un sourire de peur de déclencher un incident supplémentaire.

Me voilà au Kenya. Officiellement, cette fois-ci. Le guide m'a prévenu : il me faut faire attention, dès l'aérogare, aux voleurs et escrocs de tous ordres qui vivent ici. Nairobi n'est-elle pas surnommée "Nairobery" ? Je m'en ouvre à mon guide qui a décidé de m'accompagner bien au-delà de la frontière. Il me regarde d'un air entendu et me montre le hall de sortie. C'est noir de monde. Mais qu'attendent donc ces gens ? Je regarde autour de moi : il n'y a, de ce côté-ci du hall, que nous deux. Et vu que ce n'est pas forcément lui que tout ce monde attend ... Soudain, je ne me sens plus tout-à-fait serein. Poussant mon charriot devant moi comme une lance de joute, je décide de fendre la foule. Dix mètres plus loin, j'en suis déjà à 5 propositions diverses incluant safari, treks et hôtels fantastiques, jamais vus, incroyablement bon marché et tout compris. Ce que j'ai compris, c'est que je n'arriverai à rien sans aide. Heureusement, le guide semble savoir où il va et fend la foule pour se rendre directement à un guichet d'information pour touristes. Escroquerie ou bouée de sauvetage ? J'opte pour la seconde et décide de luyi faire confiance. Un hôtel ? Pas de problème. Pas cher ? Aucun souci. Centre ville ? Mais bien entendu. 45 dollars la nuit. Mince ! c'est quoi chez eux un hôtel coûteux ? Tant pis, ce n'est que pour une nuit, je prends. Un trek autour du Mont Kenya ? Mais bien sûr. Il y a de tout, mais voici une maison sérieuse qui pratique des prix abordables. En effet, le prix annoncé est comparable à ce qu'annonce mon livre, et je suis tellement fatigué par le voyage de nuit et je crains tellement de me faire escroquer que j'accepte cette première proposition. Départ demain, circuit de 5 jours, guide expérimenté, eau et nourriture comprises. On vient même me chercher à l'hôtel. Et pour tout de suite, un taxi va me déposer à l'hôtel. Tout ceci est compris dans la prestation. De mieux en mieux. Je retrouve le moral et un peu d'énergie. Je signe. J'irai donc demain tenter de gravir le second sommet de l'Afrique, à près de 5000 mètres.

Dans le taxi qui me mène à l'hôtel (un taxi propre, récent, climatisé, qui ne fait pas de bruit bizarre et dont la seule caractéristique un peu dérangeante est de rouler à gauche), je pense à ce que je vais tenter de faire. Je me remet juste d'une blessure sérieuse au genou droit, que j'ai pu consolider lors de mes marches dans le sable de Pays Dogon, j'ai passé un peu plus d'un mois dans des plaines avec des températures avoisinant les 40°C et une humidité toute symbôlique, et je prétends grimper plus haut que notre Mont Blanc, en bravant la hauteur, le froid et les pluies de montagnes que mon livre me promet ? Effectivement, c'est bien ce que je suis venu chercher. C'est un défi personnel. Je voudrais savoir ce dont je suis capable dans des circonstances qui ne sont pas du tout celles qui me sont familières. Voilà la tonalité de mon séjour ici. Après un choc culturel, un choc personnel. Mais il y a autre chose. Je vais pouvoir, à mon retour du Mont Kenya et pendant quelques jours, confronter la culture de l'est africain à celle de l'ouest, apprécier les différences, les mentalités, et finalement essayer de voir si Nairobi est bien la "Nairobery" dont on parle. La curiosité, une certaine excitation également, un peu de fatigue enfin, voilà le coktail que compose mon humeur en ce premier matin d'Afrique de l'est.

J'arrive à l'hôtel. L' Ambassador hôtel. Il est bien au centre ville, comme promis. Un centre ville si différent des capitales de l'Ouest que je me crois revenu en Europe : trottoirs dans les rues, buildings tout autour de moi, et de grandes artères qui charrient un flot impressionnant de voitures, bus, camions et deux rous de toutes sortes. Mais ce qui me choque le plus, en descendant de la voiture, c'est le bruit. J'ai l'impression que chaque véhicule possédant un avertisseur l'utilise à tout-va, dans un concert cacophonique et chaotique qui me fige sur place. Pourquoi tout ce bruit ? Je regare autour de moi les piétons traversant ou longeant cette rivière de bruit dans l'indifférence la plus totale. C'est donc habituel. Ici, pour circuler, il faut faire du bruit. Je regarde derrière moi mon hôtel et je formule une prière silencieuse, elle, pour que la chambre soit isolée du bruit et que la nuit l'intensité sonore diminue. Autant l'annoncer tout de suite : je serai très déçu. Ici, le bruit de la rue ne diminue pas d'intensité, il change de registre. Chaque type de véhicule possède son propre timbre d'avertisseur, ce qui fait que l'on sait, après un peu d'observation, si le son provient d'un avertisseur de voiture, de car, de camion, d' mobylette voire même de bicyclette, un peu comme si l'on avait les violons, les cuivres et les percussions. La bicyclette, c'est le triangle. Le minibus, c'est la trompette. Le bus, le soubassophone. La nuit, je l'apprendrai grâce à la situation idéale de ma chambre, au 6° étage et donnant directement sur la gare routière, les bus donnent de la voix au travers d'un concert supplémentaire, gratuit et particulièrement bruyant. Autre aspect intéressant de la ville : comme toutes les capitales européennes qu'elle tente d'imiter, Nairobi est une ville qui ne dort pas. Penché à ma fenêtre ouverte, je regarde le flot ininterrompu de véhicules et de gens qui déambulent le long des artères du centre ville. Les magasins sont ouverts, partout des lumières attirent l'oeil. Quel changement par rapport au calme, certe relatif, mais bien présent des cités de cette autre afrique que je viens de quitter ! Et mon guide qui prétend qu'il n'est pas raisonnable de déambuler dans les rues après la tombée de la nuit. Mais que font tous ces gens ? Je regarde ma montre : 2 heures du matin. Mon taxi vient me chercher dans 5 heures. Il est temps d'essayer de dormir. J'éteint la télévision que j'avais mise en sourdine pour essayer de reprendre contact avec le monde extérieur (en vain, les programmes étant d'une affligeante uniformité : musique ou football) et je m'allonge sur le lit. Je suis fatigué, décalé et les yeux grands ouverts sur un plafond où se reflètent les lumières des voitures qui passent en klaxonnant à qui mieux mieux.
Bienvenue à Nairobi. Il me tarde les pentes désolées et silencieuses de la montagne.

12/13/2004

Adieux à l'Afrique de l'Ouest

Voilà trois jours que je suis à Kokrobite. Aujourd'hui, un avion va partir d'Accra et m'emmener à Nairobi, au Kenya. Pendant ces quelques jours, je me suis reposé et j'ai pu commencer à établir un premier bilan de mon voyage. J'ai eu aussi le temps de subir, plus d'un mois après mon arrivée dans la sous-région, ma première tourista. Une journée et demie de diète complète en est venue à bout facilement. Le troisième jour, Etienne est venu me rejoindre pour me redire au revoir. C'est gentil de sa part et j'apprécie le geste.
Le bilan de cette première partie de voyage est essentiellement humain. Si l'on juge cette région selon les critères occidentaux, cette terre est loin d'être accueillante et facile à vivre. Il y fait chaud et sec, en saison des pluies les routes sont détruites et les communications coupées, en saison sèche l'harmatan vient tout recouvrir de cette poussière fine et acre qui vient assécher jusqu'à votre gorge. Mais la juger selon nos critères est une erreur, car alors nous ne la comprenons pas. Il faut, pour l'apprécier et en comprendre les valeurs, la juger selon les critères africains. Il faut s'imprégner de cette latérite rouge, il faut se laisser porter par ce vent, il faut rencontrer ces gens qui habitent ici depuis toujours et se défaire de nos préjugés et alors, alors seulement, toute sa richesse se dévoile. Aller à la rencontre de ces populations, c’est se défaire de ses propres préjugés, c’est également porter un regard critique sur nos propores faiblesses.
Ici, rien ne semble devoir changer. L’équillibre est basé sur une certaine harmonie entre la terre et ses habitants. Evoluer, c’est prendre le risque de détruire cette harmonie. Cependant, l’introduction de notre civilisation occidentale est venue changer la donne. Nous avons créé dans ces pays un nouveau mode de vie inadapté aux ressources existantes. Par un accroissement de la qualité de vie, l’arrivée de vaccinations massives, l’apport de médicaments, nous prolongeons une espérance de vie particulièrement faible (autour de 45 ans). Parallèlement, le nombre de décès à la naissance diminue. en conséquence, la population s'accroit de façon dramatique. Les méthodes traditionnelles d’agriculture ne permettent plus de supporter ce brutal accroissement. Or, cette agriculture est le fondement même de la culture africaine, qui repose sur des traditions très fortes et le pouvoir absolu des chefs de villages. Faire évoluer les mentalités pour accepter ce changement doit donc passer par l’éducation des populations, c'est à dire par l’école. Les gouvernements en place ont compris ces enjeux et mettent en place d’ambitieux programmes de scolarisation. Mais les besoins sont énormes et les moyens insuffisants. Le taux de scolarisation est très faible, surtout dans les villages où les mentalités ont le plus besoin d’évoluer. Il est donc normal qu’en une génération d’« efforts », nous n' ayons rien vu changer. En effet, nous leur demandons d’opérer une révolution culturelle qui nous a demandé plusieurs siècles.

Comment ne pas comprendre alors l’histoire de cet ingénieur burkinabé qui, lors d’un de mes nombreux voyages au Burkina Faso, m’a raconté être rentré de France, son diplôme en poche, prêt à révolutionner l’agriculture chez lui et rencontrer dans son propre village l’inflexibilité d’un chef qui tire son propre pouvoir de cette même tradition qu’il était venu changer ? Comment ne pas comprendre la détresse de cet enseignant de primaire, au Pays Dogon, me demandant s’il est possible de lui envoyer quelques crayons et cahiers ? Comment enfin ne pas comprendre que, sous l’impulsion des investissements massifs des pays occidentaux, abreuvant ces populations de Cola et tentant (heureusement en vain, mais pour combien de temps encore ?), à coup de hamburgers, de transformer ces peuples fiers et intègres en mendiants dépendants et obèses, nous voyons apparaître une Afrique à deux vitesses, où la ville, dépendante de la campagne, précède celle-ci sur un chemin qu’elle se refuse à prendre ?

Il est une règle que j’ai fini, à force de la contempler, par comprendre : un pays où mon pouvoir d’achat est grand est un pays où beaucoup ne gagnent pas assez pour survivre. Je suis un privilégié. J’ai traversé des pays où je pouvais, si je le pouvais, m’offrir (à vil prix, il est vrai, mais encore une fois, comment ne pas le comprendre ?) une nuit d’hôtel climatisé avec cabinet de toilette individuel et douche chaude avec flexible ? De même, j’ai toujours la ressource, si je sens le moment venir, d’arrêter l’expérience et de rentrer chez moi. Ce privilège, ce luxe, l’immense majorité des gens vivant ici ne l’a pas. Ils connaissent maintenant le niveau de vie qui est le notre, et nous l’envient. A tord. Combien de fois, lors de conversations, ai-je entendu la même question : « comment faire pour aller en France ? ». A chaque fois, ma réponse a été la même : « posséder beaucoup d’argent et accepter de perdre son humanité ». L’enfer, ce doit être ça : prendre tout à coup conscience de sa condition de vie en voyant débarquer quelqu’un qui vous dit « mon pauvre ami, dans quelles conditions vis-tu ? » et le voir repartir sans pouvoir le suivre.

Je viens de passer 6 semaines au millieu de personnes sachant dire « bonjour » et sourire. J’ai fini par comprendre le mal que nous leur avons fait, en pensant les aider. Nous n’avons finalement pas fait beaucoup mieux que les espagnols et portugais en Amérique du Sud et il est à crainde que nous ne voyons un jour disparaitre une culture millénaire basée sur l’harmonie avec la Terre, cette qualité qui nous fait tant défaut et que nous avons sciemment immolée sur l’autel d’une culture vouée à une rentabilité et un confort qui sont autant d’utopies destinées à nous faire croire que nous sommes plus heureux. J’ai donc appris que nous vivons, nous aussi, dans un enfer : un enfer où tout est fait pour nous transformer en rouage bien huilé d’une mécanique broyeuse de mentalités. Nous pensons être libre, mais cette liberté ne peut s'exercer qu'à condition de sortir de ce système qui nous formate et nous rend si individualistes, si attachés à nos biens durement acquis, si effrayés enfin par la crainte d’un vol ou de la simple perte d’acquis culturels ou sociaux. Je parcourre les rues en saluant les gens autour de moi et ce simple plaisir me paraît tellement inaccessible dans nos pays occidentaux prétenduments évolués … Oui, notre enfer est très confortable, très sécurisant, très prévisible, tellement impersonnalisé, tellement égocentré, tellement nettoyé de toute relation humaine. Nous disons bonjour plus facilement par internet qu’en ouvrant la porte pour aller frapper à celle du voisin. Ici aussi, internet est arrivé. Mais il est utilisé pour faire rêver une nouvelle génération d’africains cherchant à vivre virtuellement un rêve que nous leur avons promis et que nous ne tiendrons jamais.

Ceci dit, je ne voudrais pas jeter la piere sur ceux qui essaient de faire avancer les choses dans le bon sens. J’ai dit que la population africaine était en pleine expansion. Les besoins nés de cette expansion sont immenses et urgents dans des pays où ce mot ne veut rien dire. Il faudra beaucoup de temps pour que les nouvelles mentalités prennent le pas sur les anciennes et pour qu’apparaisse une nouvelle culture africaine viable, un nouvel état de stabilité remplaçant l’ancien que nous avons si imprudemment rompu en pensant bien faire. Nous avons voulu leur apporter notre mode de vie et maintenant, nous ne pouvons en supporter l’inévitable charge. Tous les efforts faits pour « aider », au sens occidental du terme, ces populations qui n’avaient jamais rien demandé, sont loin d’être suffisants. C’est une boîte de Pandore qui a été ouverte quelques siècles auparavant et que personne ne peut désormais refermer. Des solutions ? Il en existe certainement, mais elles ne satisferaient personne. Par exemple, que dirait un maître d’école français si on lui annonçait qu’il part pour le Mali, enseigner dans une classe de 50 élèves sont pas un ne possède de livre de classe et où les cahiers servent plusieurs années d’affilée ? Que dirait un professeur de lycée si on lui annonçait qu’il doit prendre en main une classe de seconde comprenant pas moins de 120 élèves ? Mais le pire, c’est que si ce professeur, si ce maître d’école acceptait finalement, il se verrait mal reçu par une population qui voit en un professeur un concurrent du chef de village.

Alors, faut-il ne rien faire et laisser les africains se débrouiller par eux-même ? Il est déjà trop tard pour ça. Tout ce dont l’Afrique de l’Ouest a besoin maintenant, c’est de temps pour opérer une révolution culturelle qui nous a pris, à nous occidentaux, plus de 4 siècles. La machine ne peut s’emballer au même rythme que celui, effrayant, de notre civilisation occidentale en surcharge permanente et qui laisse chaque jour quelques laissés pour compte de plus sur le bas-côté.

J’aime l’Afrique de l’Ouest. Elle m’a renvoyé une image de moi-même qui m’a laissé un goût amer dans la bouche. Mais en même temps, cette image ne me jugeait pas. Au contraire, elle m’a accepté comme jamais je n’aurais pu le faire moi-même. Elle m’a accueilli, m’a hébergé, m’a nourri. Elle m’a éduqué aussi, comme jamais je n’aurais pu l’être en restant dans mon propre millieu si artificiel. Elle m’a finalement montré cette réalité tangible que jamais auparavant je n’avais vraiment comprise : ce n’est pas l’argent qui rend heureux, c’est l’Homme. Il y a en Afrique beaucoup de gens heureux, des gens qui vivent une vie simple, sans artifice, une vie où la richesse ne se mesure pas au nombre de biens possédés mais à celui des gens qui vous saluent en faisant de grands gestes lorsque vous les croisez dans la rue.

Mon avion est anoncé. Je vais rentrer dans cet engin qui me fera parcourir quelques 3500 kilomètres en 4 heures, au prix de la destruction de milliers de litres d’une énergie fossile qui a mis des millions d’années à se constituer. Je souris à cette comparaison saugrenue mais tellement facile : nous avons lancé une machine qui, pour continuer à fonctionner, doit tout détruire sur son passage, tel cet avion qui, dans moins d’un siècle maintenant, devra rester au sol faute de pétrole. Nous avons tellement à apprendre des africains et de la façon dont ils ont réussi à survivre avec peu de ressources, mais notre orgueil sans borne nous fait les ignorer et leur donner des leçons dans des domaines où nous ne sommes encore que des apprentis sorciers. Notre arrogance n'a de limite que celle des ressources de la Terre. Combien de cultures allons-nous encore détruire avant de nous rendre compte que nous avons besoin de leur savoir, de leur sagesse ?
Merci à l'Afrique de l'Ouest de m'avoir fait comprendre tout cela. Merci de m'avoir appris la patience, la persévérence, l'humilité. Merci à tous ces nouveaux amis de m'avoir permis de les fréquenter. J'ai beaucoup appris d'eux. Je suis prêt maintenant à digérer tout ce que j'ai appris à leur contact. Ma prochaine étape, le Kenya, me permettra de juger de toutes ces nouvelles expériences à l'aune d'une autre culture. Je vais également refaire connaissance avec moi-même, une personne que je croyais connaître et qui a certainement changé sans que je m'en aperçoive.

12/10/2004

Akosombo, Accra, Kokrobite

Nous voilà rendus à Akosombo. Il est 6 heures du matin, le jour se lève juste et, dans ce petit matin, alors que j’ouvre à peine les yeux, je constate que tout le monde est déjà descendu. Pas de temps à perdre pour ces marchandes : il faut trouver les véhicules pour transporter leur marchandises jusqu’à Accra. Je gage que ni le navire ni le port ne vont leur faire grâce d’une journée de stockage … Et, connaissant les transports ghanéens, je me doute qu’il s’agit là d’une partie assez stressante de leur métier. Le pont est vide, les cabines désertées. Si vite ? Etienne est là, encore endormi. Autant ces marchandes ont été bruyantes hier matin, autant là, je n’ai rien entendu et nous ont laissé dormir. Etonnant. Les passagers des cabines sont partis, eux aussi. Idem pour notre ami canadien. La nuit dernière, il n’était pas très bien. Il aura passé une mauvaise nuit et il devait lui tarder de toucher la terre ferme. Pourtant, un ferry sur un lac … C’était peut-être autre chose, après tout. Le couple suisse finit de ranger ses affaires et nous souhaite un bon voyage. Le temps de faire de même et les voilà partis. Finalement, il ne reste plus que les membres d’équipage et nous. Je ne sais si c’est le coutume d’être ainsi pressé à Akosombo, ou bien si c’est un concours de circonstances, ou que sais-je encore, toujours est-il que je n’imaginais pas une hâte à l’arrivée. Etienne se réveille et, sans nous presser, nous fermons nos bagages. Je vais au poste de pilotage pour prendre congé de notre capitaine. Apparemment la manœuvre d’appontage ne lui a pas plu et il souhaite la recommencer. La poupe est relevée, le bateau manœuvre … pour se retrouver encore plus excentré par rapport au quai. Décidément, la logique qui prévaut ici n’est pas celle à laquelle je pourrais m’attendre. Passons.

Nous finissons, Etienne et moi, par descendre du bateau enfin amarré. En ce petit matin déjà chaud nos bagages semblent plus lourd, effet accru par la pente du quai, qui remonte vers la capitainerie et les portes de port. Non loin de l’entrée du quai se trouvent deux personnes qui nous arrêtent. Il faut présenter le ticket de voyage que nous a remis le capitaine. Je présente le mien, mais Etienne n’arrive pas à retrouver le sien. Après une rapide négociation qui tourne à l’affrontement verbal, Etienne (à cours de cigarettes depuis plus de 24 heures …) repart vers le bateau pour demander une attestation au capitane. Un quart d’heure après je le vois revenir, assez remonté. Apparemment, la paperasserie s’est moyennement déroulée, le capitaine ne comprenait pas les raisons des chicaneries administratives au port et mon joyeux camarade de route n’est que fort peu ravi de jouer l’intermédiaire de ce qui ressemble fort à une lutte d’influence. Finalement, le bon sens prend le dessus et nous pouvons passer. Etienne part devant, j’ai un peu de mal à le suivre, étant beaucoup plus chargé que lui. Je le retrouve à la porte du port, en pleine crise avec le responsable des entrepôts. Moi qui comptait y laisser mes bagages le temps de visiter les environs ! Il m’explique que l’homme lui fait le vieux sketch du « On se connaît, la dernière fois tu m’avais donné de l’argent », et étant donné l’état de nerfs d’Etienne, je comprends que la plaisanterie ait eu du mal à passer. Me voilà tentant une médiation diplomatique à laquelle je sens qu’il va falloir m’habituer au plus vite si je veux que la journée se passe à peu près bien. Au bout d’un moment, le « gardien de la porte », dûment flatté, nous laisse passer. Plus le temps de visiter les environs, il nous faut maintenant rejoindre Accra. Quelques tros-tros attendent les derniers voyageurs. J’y retrouve nos amis suisses qui n’ont pas fait mieux que nous. Par contre, plus trace de notre canadien qui avait pour objectif de visiter le pont suspendu et le barrage, les deux attractions de l’endroit. Je n’ose même pas proposer la visite à Etienne tellement je le sens pressé de rejoindre Accra. Nous nous installons dans le tro-tro, en prenant bien soin d’y placer nous-même nos bagages pour éviter la « taxe de bagages » qui peut être supérieure au prix du voyage lui-même. Peine perdue ! Le préposé aux tickets ne nous réclame pas moins de 10000 Cedis par bagage. Ce coup-ci, c’en est trop. Etienne s’emporte, et je dois avouer que je ne suis pas non plus très loin de faire de même. Finalement, je réussis à adopter la seule stratégie possible dans ce cas-là, celle qui m’a fait économiser nombre de négociations houleuses : le mépris. Je me mets tout simplement à ignorer totalement les vociférations du préposé. Cela semble fonctionner, puisqu’au bout d’un moment, il se calme. Je pense alors que l’affaire est close. Las ! Au bout d’une demi-heure (nous sommes toujours serrés au fond du minibus, nos bagages sous le siège, attendant en vain le départ), il revient à la charge en prétendant que le tro-tro ne partira pas avant que nous n’ayons réglé la taxe de bagages. Je me dois de préciser que cette « taxe » est en fait totalement fictive et ne sert qu’à arrondir les fins de mois des préposés de gares. Ce qui la rend particulièrement irritante. Le mépris ne semblant pas fonctionner, et devant les flots de paroles peu amènes que nous déverse le brigand (comment l’appeler autrement ?), Etienne et moi nous mettons spontanément à l’insulter en français. Dialogue de sourds, certes, totalement improductif, mais essentiel à nos nerfs. C’est Etienne qui « craque » le premier et me propose de donner 2000 Cedis chacun pour calmer notre adversaire. J’acquiesce et nous tendons chacun un billet. Apparemment, notre préposé n’apprécie pas la négociation car il repart de plus belle. Il tient deux blancs et compte bien en tirer le maximum. Je ne sais pas ce qui m’a retenu d’en venir aux mains, si c’est le fait d’être coincé au fond du tro-tro ou la brusque prise de conscience de l’absurdité de la situation (après tout, il s’agissait d’un « hold-up » d’un euro …), mais tout à coup, je suis pris d’un fou rire qui a la vertu de désarmer tout le monde. Toujours riant, je mets d’autorité les 4000 cedis dans les mains du préposé qui me lance un regard où se mêlent incompréhension grandissante et colère faiblissante. Le rire a des propriétés désarmantes et se révèle souvent le meilleur négociateur qui soit.

Il est aux environs de 8 heures. Il y a à peine 2 heures que je suis réveillé, et la journée est déjà bien chargée. C’est dramatique de voir à quel point le calme qui m’habitait hier soir, la sérénité avec laquelle je portais un nouveau regard sur la situation dans l’Afrique de l’Ouest, ce calme s’est volatilisé en à peine un couple d’heures. Je me sens vidé, et surtout bien stupide. Comment a-t-on pu entrer en conflit systématiquement depuis la sortie du bateau ? Tandis que le tro-tro avance et que la tension redescend, j’en viens à la conclusion que, pendant le voyage, nous nous sommes relâchés et reposés et que nous n’étions plus préparé au retour à la dure confrontation avec la réalité de ce pays où, peu s’en faut, chaque rencontre se solde par une tentative d’escroquerie. J’en suis là de mes réflexions lorsque Etienne me tire de ma rêverie pour me montrer le barrage devant lequel notre véhicule passe. La vue est suffisante pour s’apercevoir … qu’il n’y a rien à voir. On dirait une mine à ciel ouvert sur laquelle on aurait édifié un mur concave de taille moyenne. C’est ça le barrage d’Akosombo ? C’est ça qui retient les eaux du plus grand lac artificiel du monde ? Impensable. C’est tout petit. Je regarde à nouveau, essaie de prendre une ou deux photos, tout en sachant que ça ne donnera rien d’intéressant. Il n’y a tout simplement rien à voir, ou presque. Incroyable que le guide y consacre plus d’un paragraphe. A peine me suis-je remis de ma déception que nous passons cette fois devant le pont suspendu. Un arc blanc de poutrelles métalliques au-dessus d’une chaussée étroite, c’est tout. Peut-être ce pont est-il lancé au-dessus d’un gouffre qui donne à l’ensemble un intérêt quelconque car, là encore, je suis franchement déçu. Je fais quelques photos, pour la forme. Et dire que je souhaitais y consacrer la matinée ! Nous avons fait la visite en 2 minutes, une pour chaque édifice. Largement suffisant. Je range les appareils et je me cale au fond de la banquette. Il nous reste quelques heures à patienter avant Accra.

Mais dans quel état d’esprit je me trouve ? Pourquoi ce matin tout semble aller de travers ? Pourquoi le voyage en lui-même, à l’inverse de tous les voyages jusqu’ici, me semble d’un ennui terrible ? Je m’aperçois que, pour la première fois, je n’ai pas adressé la parole à qui que ce soit. Je n’ai prononcé que quelques phrases depuis le départ, et encore étaient-elles en français, destinées aux seules oreilles de mon partenaire de voyage et essentiellement négatives et dénigrantes. Il faut que je me ressaisisse. Il y a autour de moi des gens à connaître, des choses à savoir, des sourires à rendre. Je n’ai pas le droit d’être morose comme ça. Je vis une aventure magnifique et j’en oublie l’essentiel : ouvrir mes yeux, mes oreilles et, plus important, mon cœur. Je me tourne vers un groupe de quatre jeunes : « Are you going to Accra ? ». La conversation est lancée. C’est presque pénible. On me montre une curiosité de la région : une croix plantée en haut d’une colline. Un calvaire. Comme on en voit des dizaines en France. Il faut me rendre à l’évidence : je suis blasé. Les voyages à répétition m’ont laissé un goût d’aventure que j’ai du mal à retrouver ici. Un petit effort d’analyse supplémentaire me fournit un début d’explication : pour moi, le voyage sur le Yapei Queen était la dernière grande étape de cette aventure dans l’Ouest Africain. Ce voyage à Accra, ce n’est que le début de mon transit vers Nairobi et le Mont Kenya. C’est donc ça ! Je suis déjà parti. C’est vrai qu’ici, c’est la côte ghanéenne, le guide en parle comme d’une place touristique importante de la région. Je vais donc jouer les touristes pendant quelques jours, en attendant l’avion. Ce n’est plus l’aventure. Ma parole, je suis en train de déprimer ! Ce frisson lorsque s’ébroue le minibus et que défile, à petite allure, certes, le ruban de latérite rouge reliant, à force de trous et de bosses, les quelques cahutes en bois formant les villages perdus dans cette steppe sahélienne qui fut mon quotidien pendant plus d’un mois ; cette douce incertitude, lorsque vient le soir et qu’il faut trouver un endroit pour dormir, puis le lendemain la quête de l’eau de la journée, la recherche d’un minimum d’hygiène à défaut de confort … Tout ça va disparaître au profit d’un confort totalement artificiel et incongru, uniquement mis en place pour le bonheur de touristes refusant de s’infuser dans le bouillon de la culture africaine et préférant la climatisation au ventilateur, le 4x4 au taxi, le car du tour-opérateur au bus local. Je sors de cette Afrique authentique et vais me confronter, du moins je le pense, à cette Afrique pour touristes. C’est ça le mal qui me ronge depuis ce matin. C’est ça qui me rend morose. Je me tourne vers Etienne. Il n’a pas l’air de ressentir la même chose. Il faut dire que pour lui, le Ghana n’est qu’une étape et qu’il va rester dans la sous-région. Pour ma part, je suis déjà en train de lui dire au revoir.

Nous voilà à Accra. Capitale du Ghana. Depuis une demi-heure déjà, nous roulons sur une autoroute à 4 voies, bordée de quartiers résidentiels où poussent les villas de luxe comme poussent, dans nos forêts françaises, les champignons après une bonne averse d’automne. C’est sûr, le pays est prospère et certains y font fortune. Etienne et moi nous interrogeons sur l’origine de ces fortunes dont les signes extérieurs s’étalent devant nous. Les arguments et supputations vont bon train, et comme nous nous exprimons en français, personne dans le tro-tro ne vient nous aider à élucider ce mystère, que nous décidons bientôt d’éviter d’élucider, de peur que la solution nous déplaise. La ville est très animée et le nombre de voitures y circulant beaucoup plus important que ce que l’infrastructure routière peut absorber. Ce qui fait que, pour la première fois depuis Bamako, me voilà pris dans les embouteillages. Nous finissons par arriver dans un immense rond-point dont le centre se trouve être la gare routière. Incroyable de constater l’anarchie qui règne ici. Ca circule sans tenir aucun compte des feux, de la signalisation au sol, voire même des pauvres policiers affectés à la circulation et qui sont totalement débordés et gesticulent sans attirer le moindre regard. Incroyable également de constater à quel point les coups de klaxons sont omniprésents et inefficaces. C’est presque par devoir que notre chauffeur, jusque-là muet, semble tout à coup s’animer et ponctue chaque coup de volant par un coup de son avertisseur surpuissant. Faire le tour de la gare/rond-point prendra plus d’une demi-heure. Chaque mètre gagné sur la route était épuisant et stressant. Je n’étais plus habitué. Je voudrais me concentrer sur les heures d’absolue tranquillité vécues au parc Mole, mais je n’y arrive même pas. Dans le minibus, je ne m’entends même plus penser et je me résous à attendre l’arrêt du véhicule pour faire une nouvelle tentative.

Enfin, notre tro-tro s’immobilise. Nous voilà rendus. Il nous faut maintenant s’orienter dans cette ville et trouver la gare routière pour Kokrobite. Mais tout d’abord, je dois trouver un endroit pour changer de l’argent (il ne me reste que quelques cedis) et Etienne, qui doit encore se faire faire un visa pour le Sénégal, sa prochaine destination, doit se trouver un hôtel. Avec le couple de suisses qui nous a suivi jusque là, nous décidons de partager un taxi, nos destinations respectives étant relativement proches les unes des autres. Bien évidemment, le taxi en question, voyant arriver quatre touristes d’un coup, décide de gagner sa semaine sur cette seule course et ajuste le prix en conséquence. Devant le rire méchant d’Etienne, il revient rapidement à des tarifs abordables. Un quart d’heure plus tard, nous sortons du véhicule et nous nous séparons, les suisses et nous. Nous cherchons une agence de voyages, Etienne pour son billet d’avion pour Dakar, moi pour Nairobi. Pour le paiement par carte bleue, il faut se rendre aux comptoirs de la KLM, propriétaire de la Kenya Airways. Tandis qu’Etienne va chercher de l’argent et à manger, me voilà embarquant dans la voiture du patron de l’agence de voyage, en route vers l’autre côté de la ville. Puis, au comptoir de la KLM, nous attendons une bonne demi-heure. Enfin, je peux régler mon billet. A la sortie de l’agence, plus de voiture, il faut prendre un taxi. La personne qui m’accompagne fait une tentative pour me faire payer la course, que j’esquive en feignant de n’avoir rien entendu. Je finis par être blasé de ces incessantes tentatives d’extorsion. Je m’y suis tellement habitué que le mépris et la surdité passagère sont devenus presque instinctifs. Lorsque Etienne revient, je n’ai plus faim et nous partons à la recherche de son hôtel. Il est 16h30 et j’avoue n’avoir presque plus le courage de repartir pour Kokrobite. Nous prenons une dernière bière ensemble. Je lui donne mon adresse mail. Il me propose de venir me retrouver dans deux jours, lorsqu’il en aura terminé ici. Tout ceci sent un peu la fin de vacances d’été. Je n’aime pas trop les adieux. Etienne a été un très bon compagnon de route et j’ai apprécié ces quelques jours passés ensemble. Peut-être resterons nous en contact, peut-être pas. En tout cas, j’apprécierai de le revoir. Peut-être dans deux jours. Peut-être jamais. C’est ça aussi, le voyage. Il provoque des rencontres aussi facilement que des séparations. A nous de faire en sorte de valoriser tout ce que ça nous apporte. Cette traversée du Ghana aura été à la fois difficile et agréable. Les galères auront été bien amoindries par la présence d’Etienne et en ceci je dois le remercier. L’aventure continue, même si ma destination n’est pas une petite pension pour voyageurs occasionnels mais plutôt un centre de vacances pour touristes européens. Et encore ai-je pris soin de trouver une ville sans attrait touristique particulier et un centre pour petits budgets, afin de préserver encore un peu ce parfum d’aventure qui s’évanouit déjà sous les effluves empoisonnés de la civilisation.

Une fois encore, je me retrouve seul. Je prends un taxi pour la gare routière vers Kokrobite. Le tarif exigé pour la course est, une fois de plus, exorbitant. Je refuse une première fois une proposition à 25000 cedis. Mal m’en prend, car je ne trouverai plus rien à moins de 35000 cedis. Raison invoquée : le trafic impossible à cette heure de la journée. De guerre lasse, et par peur de devoir rester à Accra pour la nuit, j’accepte de partager un taxi avec un ghanéen en complet veston et attaché-case. La course va durer une demi-heure et ne poser quasiment aucun problème de circulation. A l’arrivée, surprise : le complet veston s’est éclipsé avec l’attaché-case, me laissant régler la note. Nouvelle colère. J’essaie de régler la moitié de la note : peine perdue. Le taxi est au moins aussi énervé que moi et un agent de police commence à s’intéresser à nous. Je finis par régler l’intégralité de la note, non sans avoir promis de faire publicité de ce qui vient de se passer (dont acte). Pourquoi les ghanéens essaient-ils tous (quasiment sans exception) de vous soutirer, sous de fallacieux prétextes, les quelques cedis supplémentaires qui vous font garder un mauvais souvenir de votre passage dans leur pays et jurer les Dieux et les Saints que vous n’y reviendrez plus jamais ? Argent facile ? Effet néfaste d’une misère généralisée ? Non, certainement pas. L’explication que je peux en donner est, hélas, beaucoup plus simple. De même que l’Afrique est restée centrée sur les anciens et le village, elle est également restée concentrée sur le futur immédiat : assurer la survie quotidienne. Demain, c’est déjà trop loin. Investir pour l’avenir est un mot qui n’a aucun sens ici, préparer le futur une douce utopie. Mon taxi a décidé qu’il m’extorquerai, il l’a fait. Si je devais rester deux semaines ici, je ne le choisirais pas pour mes déplacements quotidiens, mais il s’en fiche. Ca n’arrivera pas. Je ne suis qu’un météore traversant très haut le ciel de sa vie et je n’aurai aucune incidence sur ses besoins terrestres. Qu’il soit équitable avec moi ou qu’il me laisse un bon souvenir de lui n’est pas son problème. Son problème, c’est de gagner un maximum d’argent avant de me lâcher pour ne plus jamais me revoir. Encore une leçon de pragmatisme africain.

Toutes ces leçons finissent par coûter cher, cependant, et mon budget fond comme neige au soleil. Ces pays dits sous-développés ont en fait développé une capacité étonnante à trouver des moyens inépuisables pour soutirer des fonds à tout ce qui passe à leur portée, du simple touriste à l’ONG la plus puissante. Et le pire, c’est que c’est de notre faute. C’est nous qui avons créé ces conditions de dépendance, nous encore qui leur avons apporté des solutions à des problèmes qu’ils n’avaient pas, nous enfin qui les abreuvons de promesses de développement qui ne sont importantes que pour notre tranquillité d’esprit. Nous les avons regardés à travers nos yeux, et nous leur avons appris à penser à travers nos esprits.

Je monte dans le tro-tro. Il est tard. Il fera nuit à l’arrivée. Il n’y a que 32 km mais la route est en réfection et le trajet va prendre plus d’une heure. Aucune importance, je ne veux pas rester une seule nuit dans cette capitale. J’ai besoin d’air. J’ai besoin de calme. J’ai surtout besoin d’une bonne douche et d’une nuit de sommeil dans un vrai lit. Pourtant, je ne suis pas au bout de mes peines. Arrivé à destination, il fait effectivement nuit noire (doux euphémisme) et je ne sais pas si le centre peut m’accueillir et même où il se trouve. En fait, il existe deux centres. Deux allemands qui ont fait le trajet avec moi vont à l’un de ces centres. Je leur demande s’ils savent où il se trouve et si je peux les suivre. Ils acceptent mais disparaissent alors que je récupère mon sac. Je demande autour de moi. Personne ne les a vu partir. Le chauffeur du tro-tro me propose alors de m’accompagner jusqu’à l’autre centre qui est plus proche. Je lui demande son prix et il me répond simplement de monter. Nous faisons 300 mètres avant d’arriver. C’était juste à côté. Il me demande alors de régler la course, qui coûte le même prix que le voyage depuis Accra. Je m’en doutais. Pire, je le savais. Je descends, prend mon sac et, sans répondre, lui tends une pièce de 10 cedis « Insulte pour insulte », lui dis-je en français. Je soutiens son regard. Il ne me fait pas peur. J’en ai trop vu aujourd’hui, celui-ci ne m’aura pas. Il me lance ses arguments les uns derrière les autres. Je ne réponds pas. Au bout de quelques minutes, il ferme sa porte et repart. Je range ma pièce et me tourne vers l’intérieur du centre. Des lumières un peu partout, de la musique sur la plage, une bonne odeur venant des cuisines toutes proches et, partout où se pose mon regard, plus de blancs que de noirs. Pas de doute, je suis bien dans un club à touristes. Fini l’aventure, comme je le craignais. Je m’avance vers le bar qui fait également office de réception. Tout ici est tourné vers le bar, où les prix pratiqués sont très européens, c’est à dire environ deux à trois fois plus chers que partout ailleurs. D’ailleurs, le règlement stipule qu’il est interdit d’amener de la nourriture ou des boissons de l’extérieur. « Vous êtes ici en autarcie complète », semblent proclamer toutes les pancartes de règlement qui parsèment les chemins du centre. Je demande une chambre. On m’emmène à l’autre bout, tout au fond. A côté de la douche (africaine, avec la citerne juste à côté, c’est déjà ça de gagné) se trouve ma chambre, avec vue sur le mur d’enceinte. Lorsque mon hôte ouvre la porte, la poignée lui reste entre les mains. Je proteste. Il va voir le gérant qui résout l’affaire en quelques secondes : cette nuit, je logerai dans un bungalow pour le même prix. Finalement, il y a quelque avantage à se trouver dans un centre pour touristes : le mode de vie y est beaucoup moins stressant. Tout est fait pour arranger le client, et c’est très exactement ce dont j’ai besoin ce soir : plus de problème. Il est trop tard pour dîner, mais le chef peut me cuire un poulet au prix d’achat de la basse-cour entière. Je ne dînerai donc pas. De toutes façons, je n’ai pas très faim. Je dépose mes affaires dans le bungalow. Serviette, savon, direction la douche. 3 seaux seront nécessaires à me délasser de la journée. Puis je me dirige vers la plage où se déroule un spectacle de danses traditionnelles. C’est très touristique, mais le spectacle est d’une grande qualité. Je m’assois à une table. On y parle français. Deux burkinabés (mais que font-ils ici ?) sirotent une bière. Ce sont des musiciens de l’académie située juste à côté. Justement, j’en ai lu quelques lignes dans mon guide et je leur demande s’ils dispensent des cours. Je souhaiterais apprendre les rudiments du djembé. Nous arrangeons un cours de deux heures pour le lendemain après-midi.

La fatigue commence alors à se faire sentir. Cette journée, qui devait être une simple journée de voyage, m’aura laissé sans forces. Que d’aventures, finalement ! Pas de celles dont j’aurais rêvé, mais ça fait partie de l’aventure africaine, il me semble. Ces réflexions qui me viennent, ces sentiments changeants face à la réalité qui m’assaille, toutes ces émotions qui m’ont traversé, tout ceci doit être assimilé et, aujourd’hui, j’en ai tout simplement trop reçu. Je rentre dans le bungalow. Dehors, la fête continue. Tant pis, ce sera pour demain. J’ai vraiment trop sommeil. Le temps d’installer la moustiquaire et de me glisser dessous, je suis déjà endormi. Dans 3 jours, je partirai pour le Kenya. Je dois tirer profit de ce temps pour faire un premier bilan de cette expérience africaine. Je ne veux rien oublier. Tout est important. C’est l’expérience d’une vie, comme on me l’a souvent répété avant que je ne parte. C’est vrai. Alors autant ne pas la galvauder.


Mini-carte : Akosombo

Croisière sur le Yapei Queen

Le Yapei Queen, c’est le nom du ferry sur lequel Etienne et moi venons d’embarquer à Yeji, ce mercredi matin. Certes, nous aurions préféré dormir la matinée et partir à l’heure prévue, vers 16 heures ; certes, nous aurions, comme je l’avais laissé entendre, préféré partager l’une des trois cabines du bateau ; certes, j’eus préféré ne pas avoir à courir et négocier dès le réveil et sous le coup de la frustration. Mais le résultat est là : nous sommes sur le bateau qui vient d’appareiller, nous allons nous reposer pendant 48 heures, la poussière ne viendra pas se coller à chaque pore de notre peau et, plus important que le reste, on va pouvoir souffler un peu. Quand j’y pense, je n’ai pas eu de nuit correcte depuis le Mole Park et encore, je m’étais levé à 5h30 pour participer au safari du matin. La fatigue s’est bien faite sentir hier, à Yeji. Mais tout ceci est fini, et le voyage prend maintenant des allures de croisière. Etienne s’est allongé, pour finir sa nuit, sur l’un des bancs blancs de l’arrière-pont supérieur, juste en dessous des prises d’air du moteur, qui font un bruit assourdissant. Mais je gage qu’il n’en a cure, vu le visage détendu qu’il affiche au bout de quelques minutes seulement. D’autres « cheminées » sortent à ce niveau, dont l’aération des toilettes de l’entre-pont que nous avons fini par dénicher. Il était en effet impensable que les anglaises aient eu raison sur ce point ! Il y a bien des toilettes, il y a bien des douches, il y a bien une cantine, hors de prix, certes, mais elle existe bien. Qui plus est, il y a de nombreuses marchandes sur ce bateau. Que font-elles avec leurs énormes gamelles remplies, qui de vêtements et tissus, qui d’ustensiles divers, qui de fruits ? Mystère, que j’aurai deux jour pour élucider. Pour l’instant, il faut organiser la vie à bord, et ça passe par la « réservation » d’un espace vital à l’intérieur duquel je dois montrer de façon ostentatoire, à l’aide de mes seuls sacs, qu’il n’est pas question que je tolère la moindre intrusion. Je dois « marquer mon territoire ». Je commence donc par étaler ma couverture peule, offerte à Bamako par la belle-famille de Badou, sur l’un des bancs du pont. Puis je dispose un sac à chaque bout. J’étale, sur l’assise dorsale du banc, mes deux serviettes pour « privatiser » l’espace créé. Enfin, je dépose au pied du banc mes deux bouteilles d’eau. L’ensemble ressemble à peu près à un lit. C’était l’effet escompté. Par contre, passer deux nuits le dos en contact quasi-direct avec le bois du banc me paraît la meilleure solution pour finir bloqué. Il va falloir trouver un matelas, un « mattress ». Deux, si possible, car le problème va se présenter de façon identique pour Etienne. J’ai la journée pour trouver. Après ma discussion de ce matin avec le capitaine, je pense qu’il se sent un peu « responsable » de la bourde de sa compagnie et m’a plutôt à la bonne. Nous avons déjà accès à la cabine de toilettes réservée aux cabines et aux matelots. Toilettes à l’européenne et douche avec eau chaude seront plus qu’appréciés.

Avec nous, sur le bateau, je trouve plusieurs catégories de personnes. Sur le pont supérieur, les marins et les touristes. Outre les occupants des 3 cabines passagers, dont certains ne sortiront que quelques minutes sur l’ensemble du trajet, on trouve un jeune couple de suisses et un canadien. Sur le pont intermédiaire, de nombreuses femmes et quelques enfants, mais pratiquement pas d’hommes. Bizarre. Sur le pont inférieur, au niveau de la zone de transport de fret du ferry, une large cabine similaire à celle du pont intermédiaire abrite encore plus de femmes et d’enfants, mais toujours aussi peu d’hommes. Tout ce petit monde va rester chacun à son niveau, sans se mélanger. C’est comme si le voyage ne durait que quelques minutes et qu’il ne serait d’aucune utilité de se déplacer, voir les gens écouter, discuter, échanger … Bref, communiquer d’une façon ou d’une autre, activité que j’avais prise jusqu’ici comme essentielle à la vie de la sous-région. Mais ici, rien de tel. Que les « toubabous » (les blancs) ne cherchent pas à rencontrer les « farafis » (les noirs), je peux l’admettre, sans pour autant le comprendre. S’ils sont ici, c’est pour quoi ? Rester enfermés 2 jours à voir la vie d’en haut, sans chercher à apprendre, à comprendre ce qu’ils voient ? Ils vont s’ennuyer ferme, parce que le spectacle de l’eau glissant sur les flancs de la coque, ça vous amuse 5 minutes, après quoi il est temps de passer à autre chose. Que, d’autre part, les « farafis » ne cherchent pas à se mélanger aux « toubabous », je veux bien le comprendre : autant leurs ponts sont animés et bruyants (certaines femmes ont la voix tellement puissante que, lorsqu’elles parlent, même le bruit pourtant omniprésent des moteurs semble s’estomper), autant le pont supérieur est calme et silencieux. Deux mondes contraires superposés l’un à l’autre, une étroite échelle de coupe les reliant, tel un cordon ombilical ténu qu’il faudrait préserver. Là où ma compréhension actuelle de l’organisation sociale du navire s’arrête, c’est lorsque je constate que les deux ponts « farafis » ne se mélangent pas. Y aurait-il des « inférieurs » et des « supérieurs » ? Voila une question supplémentaire posée, et je sens de plus en plus que ce voyage va m’intéresser. Je décide de remonter sur le pont supérieur, pour des raisons essentiellement climatiques : il y a un peu d’air et la chaleur y est plus supportable. Dans l’atmosphère confinée des cabines, les odeurs rances de transpirations commencent à monter, alors que nous venons à peine de partir.

Midi. Etienne se réveille, me regarde et dit, dans un demi-sommeil « On mange quoi ? ». Pour ma part, je n’ai pas très faim, mais c’est devenu une habitude. Depuis plus d’un mois que je suis en Afrique, cette sensation oppressante, parfois impérieuse, de faim qui tenaille, a disparue au profit d’une sensation beaucoup plus diffuse et agréable. Je ressens le repas non plus comme un besoin physiologique régulier, mais plutôt comme un événement social. L’irrégularité de mes repas ainsi que de leur qualité en est certainement la cause, mais j’apprécie de ne plus être asservi à la nourriture comme je l’étais. Par contre, un bon repas français ne me déplairait pas. Nous descendons sur le pont intermédiaire où se trouve la cuisine. Il n’y a pas de carte. La cuisinière annonce le plat du jour à travers le passe-plat et nous commandons, en fonction de la faim et de l’envie. Tous les repas sont sur le même principe : un féculent (en général de l’igname, mais aussi des pâtes, du riz et même des haricots) accompagné de sauce et d’un certain nombre de morceaux de viande ou de poisson. Le prix du plat est fonction du nombre de morceaux achetés. Pas d’entrée, pas de dessert, pas le moindre fruit. Bah, on fera avec, c’est pour 2 jours après tout. J’ai connu pire. Par contre, le prix est absolument prohibitif. Il faut compter 15000 Cedis pour un plat moyen de la qualité d’un plat de rue, vendu environ 5000 Cedis. Bien sûr, ça ne représente que 1,5 euro, mais je comprends maintenant que cette cantine ne serve que peu de plats. Il n’y a d’ailleurs que 3 tables pour manger, réparties de part et d’autre d’une coursive menant à l’arrière du bateau. C’est bruyant, ça sent l’odeur d’huile de moteur remontant de la salle des machines dont la porte, toute proche, n’est jamais fermée pour assurer un peu d’aération, ce qui fait qu’on ne s’y attarde guère. Que mangent les habitués du ferry ? Mon repas pris, je décide d’en savoir un peu plus. Etienne est, comme moi, plus curieux que nos congénères de l’étage supérieur et nous décidons de nous intéresser à ces femmes des étages inférieurs. Elles ont, bien évidemment, emporté leur propre nourriture. Peut-être certaines d’entre elles en font-elles même commerce ? Il apparaît rapidement que c’est le cas. Non seulement certaines personnes font commerce de nourriture sur le bateau, mais d’autres font commerce de beaucoup de choses. C’est bientôt l’équivalent de toute une supérette que nous découvrons au milieu des tables et des couloirs, jusqu’à la proue du bateau, devant les cages de bois destinées, nous l’apprenons, à l’achat d’igname au cours des nombreuses escales prévues. Il est ainsi possible d’acheter des fruits (oranges, pommes, ananas), mais également du tissu, des lampes torches, du savon, des produits de beauté … A quoi servent de tels produits sur un bateau ? En fait, toutes ces marchandes ne sont pas là pour faire commerce directement sur le bateau, mais à chaque escale de celui-ci. En effet, les villages atteints par le ferry sont très isolés des grands axes, à cause de la présence même du lac qui en a supprimé les liaisons terrestres. Ce bateau devient donc le principal moyen d’approvisionnement et se transforme, deux fois par semaine, en un mini marché flottant. Lorsqu’il accoste, les marchandes s’installent de part et d’autre de la passerelle et les clients viennent faire leur marché.

Le bateau descend lentement le lac Volta, le plus grand lac artificiel du monde, et une routine s’installe à bord. On ne voit presque jamais les passagers des cabines, sauf peut-être cette famille d’allemands : monsieur, madame et leurs deux filles jalousement gardées. Ils discutent plus volontiers avec le couple de suisses allemands, langue oblige, mais ne négligent pas une petite conversation en anglais de temps en temps. Etienne et moi avons réussi à convaincre le canadien, un homme qui se révèle alors affable et très enjoué, de se joindre à nous pour des parties de jeux de cartes endiablées dont les intérêts principaux sont la chronophagie et la mise en jeu de l’apéritif. Ce passe-temps est entrecoupé de pauses où je m’adonne à la lecture, la visite du bateau et la contemplation du paysage qui, il faut bien l’avouer, ne présente qu’un intérêt moyen : la brume de chaleur est telle que les rives, assez éloignées de la route que nous prenons, semblent uniformes et disparaissent la plupart du temps derrière un rideau blanchâtre qui s’installe dès l’apparition du soleil et jusqu’à la nuit noire. Ce n’est qu’à ce moment là que la navigation lacustre prend tout son intérêt : l’absence totale de lumière parasite à plusieurs kilomètres à la ronde permet alors de se régaler du spectacle fabuleux d’une voûte céleste plantée de millions d’étoiles. Mais encore faut-il pour cela attendre les deux ou trois heures du matin, le temps pour la brume de finir de se dissiper. Un autre avantage de dormir dehors est la fraîcheur. La nuit, l’air est plus frais et la vitesse du bateau crée un léger courant d’air qui caresse le visage et m’endors plus sûrement que la meilleure des climatisations. Le seul ennui, c’est la présence de myriades de moustiques qui s’en donnent à chœur joie, car sur le pont, impossible d’installer la moindre moustiquaire … J’ai fini par trouver ma place : contre la rambarde bâbord, sur un matelas en mousse de 5cm d’épaisseur me sépare de la tôle du pont. La tête est protégée du vent par mon sac de voyage, tandis que mon sac à dos marque l’autre limite de mon lit. J’ai déserté le banc de l’arrière : trop bruyant et trop chaud. Ici, il fait frais. Seul inconvénient : la proximité de l’aération des toilettes de l’étage inférieur, qui me renvoie de temps à autres quelque effluve malodorante. Je n’ai pas pu trouver mieux.

Lors de notre première escale (le Yapei Queen va faire escale environ une demi-douzaine de fois lors des premières 24 heures), je comprends la raison économique essentielle de ce bateau. Ce n’était à l’évidence pas le tourisme ; ce ne pouvait être non plus le mini marché bihebdomadaire d’une demi-douzaine de villages. Non, le véritable but est le transport de marchandises (c’est un ferry, après tout) et plus spécifiquement le commerce de l’igname (Yam, en anglais). A chaque escale, il va charger des tonnes et des tonnes de cette racine, pour un total que nous estimerons, Etienne, le capitaine du navire, et moi, à environ 180 tonnes. Et c’est là que je découvre la véritable raison de la présence de toutes ces femmes à bord : ce sont des acheteuses d’igname en gros. Ce sont elles qui vont sur la plage, négocient les prix avec les récoltants et font charger les lots ainsi achetés dans les casiers en bois. Chaque acheteuse possède ainsi un ou plusieurs casiers qu’elles vont remplir tout au long du voyage. Intrigué par le ballet incessant des porteuses d’igname lors de la première escale, qui durera 5 heures, nous décidons, Etienne et moi, de nous balader sur la plage lors de la première escale de nuit pour afin de se faire expliquer le fonctionnement des processus d’achat et de livraison. Voici ce qu’une femme acheteuse que nous avions remarqué à bord nous raconte, tout en accompagnant ses explications par les actes associés.

Lorsque le bateau accoste, les lots d’igname sont étalés sur la plage, prêts à la vente. Chaque lot comporte 100 pièces, de calibre équivalent. On compte plusieurs calibres, allant de très petit (environ 1,5 kg la pièce) à très gros (jusqu’à 6 ou 7 kilos la pièce). La valeur moyenne d’une igname est d’environ 4500 Cedis. Un lot se négocie entre 250000 et 700000 Cedis. Pour éviter tout problème lors de la vente, une femme endosse un rôle spécial. C’est la « sales queen ». Elle n’est ni acheteuse, ni vendeuse. Son rôle est d’arbitrer tout litige et de s’assurer que tout se passe conformément à la coutume et que les prix sont bien respectés. Il n’y a pas de concurrence. Ici, les prix pratiqués sont les mêmes pour tous. Ainsi, tout le monde vend, tout le monde achète et tout le monde est content. Une fois un lot acheté, une équipe de 5 ou 6 porteuses charge l’igname dans de grandes bassines qu’elles portent sur la tête et transportent à pieds jusqu’au box de l’acheteuse. Il faut plusieurs voyages pour acheminer un lot complet. Le chargement d’une personne est d’environ 50kg, mais peut monter bien plus haut. Nous avons vu des femmes se charger de 70kg d’igname à chaque voyage pendant des heures. Leur force et leur résistance sont exceptionnelles. Mais comment font-elles ? Et pourquoi ce sont les femmes qui font ce travail ? En fait, hommes et femmes se partagent le travail. Les hommes travaillent au champ, les femmes font le commerce. Le chargement de l’igname dans les boxes est également assuré par des hommes. A chaque sexe ses prérogatives. Mais le travail le plus difficile, le transport de l’igname de la plage jusqu’aux boxes, est assuré par des femmes. Pendant des heures, elles vont et viennent, chargent et déchargent, marchent sur des cailloux pieds nus avec leur bassine pleine sur la tête, sans ralentir le rythme, le tout pour un prix dérisoire : j’ai entendu la somme de 200 Cedis par rotation. Avec un bon rythme, une femme peut ainsi faire une vingtaine de rotations par heure, pour un salaire de 40 centimes d’euro ! Etienne et moi avons essayé de porter l’une de ces bassines : tout simplement trop lourd. Nous ne pouvions même pas la soulever, et nos tentatives désespérées de fragile européens ont provoqué l’hilarité générale de l’assistance. Ces français ! Quelles petites natures !

Le ballet de ces porteuses va se poursuivre jusque tard dans la soirée. Nous avons le temps de visiter le village de pêcheurs situé juste derrière la plage où les négociations vont toujours bon train. Ici, toutes les personnes valides ont rejoint le site de vente pour s’y rendre utile et gagner un peu d’argent. Le village des cultivateurs est beaucoup plus loin à l’intérieur des terres, à environ une demi-journée de marche. Mais comment sont-ils venus et comment la marchandise se retrouve-t-elle au bord de la plage ? L’igname est venue en tracteur, mais la plupart des vendeuses ont suivi à pieds. Après la vente, et malgré l’heure fort avancée de la nuit (près de minuit), nous les voyons qui repartent dans la nuit, accompagnées du tracteur qui porte les hommes, en direction de leur lointain village qu’elles n’atteindront que dans trois heures au mieux. J’en ai assez vu. Je rentre au bateau. La nuit un peu fraîche m’apportera le calme que je sais nécessaire à la compréhension de ce que j’ai vu. Des efforts considérables pour une misère. Des heures d’un travail harassant pour quelques Cedis. Des marchandes pratiquant, sans avoir attendu les européens, un commerce équitable (l’igname sera vendue environ 5500 Cedis à Accra). Toute une économie suspendue à la seule rotation, une fois par semaine, d’un ferry. Que rapporte à l’armateur du Yapei Queen une telle campagne de fret alimentaire ? Comment use-t-il de sa position monopolistique ? Personne ici n’a accepté de me renseigner. Il est des secrets qu’il vaut mieux taire, apparemment.

La seconde journée du voyage va se révéler encore plus monotone que la première. Il n’y a pas d’escale prévue, tous les boxes ayant été chargés pendant la nuit. J’ai dû bien dormir, car je n’ai rien entendu, rien ressenti. Par contre, à mon réveil, beaucoup de choses ont changé sur le pont. Le voila envahi par les marchandes qui ont terminé leurs achats. Il est à peine 6 heures du matin et les voila discutant en hurlant à quelques décimètres de mes tympans déjà bien sollicités par le bruit des moteurs. Elles parlent très fort et ne font aucun cas de mon sommeil. Etienne, qui a arrêté de fumer récemment par manque de combustible, est très irrité à son réveil et pousse une gueulante depuis l’arrière-pont. Il le fait en français, mais comme ces femmes ne connaissent que l’anglais et les dialectes de leur région, les voilà qui pouffent de rire et commentent le ton pris par Etienne avec une voix plus grosse encore. Mais c’est qu’elles se paient sa tête ! Mon bout de nuit est foutu, autant se lever. Petit tour aux toilettes des premières : là encore, ces marchandes ont trouvé le truc : elles font la queue, bloquant le passage et attendant que la pièce se libère. Apparemment, les occupants des cabines ont moyennement apprécié la situation car je vois presque aussitôt arriver le capitaine et se disperser l’attroupement. Il a l’air très fatigué, notre capitaine. Renseignements pris, il a vraisemblablement été victime d’une crise de paludisme pendant la nuit.

Cette deuxième journée sur le pont supérieur est très différente de la première. Il y a beaucoup plus de monde et ces femmes se sont installées sur pratiquement toutes les surfaces horizontales, ne laissant à l’équipage et nous que quelques étroits passages. Je ne me suis absenté que quelques minutes, mais à mon retour, je trouve mes affaires déplacées, parfois de plusieurs mètres, et l’espace que j’occupais est maintenant pris par 3 femmes, toutes plus imposantes les unes que les autres, avec dans leur regard un mépris à mon égard, mêlé d’une silencieuse menace si d’aventure il me prenait l’envie de réclamer ma place. Je décide de battre en retraite vers les bancs de l’arrière-pont. Je trouverai bien une solution s’ici à ce soir. Par contre, la promiscuité avec la population locale a l’air de déranger certains touristes. Je vais ainsi rester sans nouvelle du couple de l’une des cabines, que j’ai dû entr’apercevoir hier soir à la tombée du jour. Ils vont ainsi rester enfermés dans leur cabine, se faisant apporter les repas, jusqu’à l’arrivée à Akosombo. La journée, Etienne et moi, entre deux parties de cartes, discutons de tout ce qui n’a pas changé ici, de tout ce qu’on voit et qui nous hérisse, comme ces feux de brousses qui ne riment à rien et ne sont provoqués par la population que par pur respect des anciens et de la tradition. Des feux de brousses à côté d’un lac. On croit rêver. On est pourtant loin de la culture semi extensive sahélienne qui utilise cette technique. Ici, le lac a presque autant apporté aux rives que le Nil en Egypte. C’est vert, c’est riche, ça ne demande qu’à être cultivé et ça ne l’est pas. Manque d’éducation, les jeunes n’ont pas appris à tirer profit de la présence du lac et se contentent de répéter les schémas agricoles de leurs pères. Au fur et à mesure que j’observe tous ces feux, je ne peux m’empêcher de penser qu’il suffirait d’un peu de formation et d’encadrement pour changer le visage de la région. Mais le veulent-ils vraiment, ces habitants, ces hommes et ces femmes dont le quotidien a été bouleversé par l’apparition d’un lac dans leur région, et qui ne savent pas en tirer profit ? Pour eux, je suppose que ça a du être ressenti comme une punition majeure pour un crime qu’ils n’auraient pas commis.

Alors dans ces conditions, comment faire comprendre aux anciens des villages que la modification de leur mode de vie est une question essentielle et que la technique du feu de brousse doit impérativement être abandonnée au profit d’une culture plus moderne, plus « normale » ? Déjà, l’accroissement de la population nécessite de nouvelles techniques, et cette terre, qui pourrait facilement nourrir toute la population ghanéenne, reste en friche. Il faut comprendre alors que toute la culture africaine est basée sur la famille, la tribu, le clan restreint, la toute-puissance des anciens qui gardent jalousement leur pouvoir. Pourquoi travailler plus qu’il n’est nécessaire pour nourrir sa famille ? Pourquoi essayer d’adopter des techniques intensives qui permettraient d’améliorer le niveau national lorsque la survie au niveau local est assurée ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le développement n’est pas une nécessité. Seule la survie compte. Lorsqu’on a compris ça, on a compris pourquoi l’Afrique ne s’est pas développée en une génération d’efforts et d’aides sur tous les fronts. Une autorité locale toute puissante et un mode de vie basé sur la simple survie. Ce qui nous paraît absurde est à la base même de la culture africaine. Il aura fallu ce voyage sur le Yapei Queen et de longues discussions avec les personnes présentes, européens, américains, africains, pour m’en persuader. Le seul moyen de « casser » ce mode de vie est l’éducation des générations futures. Mais est-ce vraiment utile ? Qu’apportera cette modification de mode de vie ? De nouveaux besoins, de nouvelles attentes, donc de nouvelles frustrations. Une entrée en concurrence dans une économie de marché déjà saturée au niveau agricole, un déséquilibre économique mondial qu’il faudra gérer … Pourquoi irions-nous les sortir de ce que nous croyons être leur misère pour les plonger dans la notre ?

Je regarde à nouveau ces feux de brousses et j’écoute d’une oreille distraite les arguments développés par Etienne en faveur d’un développement de la région. Je le comprends. D’un point de vue européen, il a raison. D’un point de vue africain, il a tord. On ne change pas les gens, je le sais depuis longtemps. On ne peut non plus aider les gens contre leur gré. Mais à trop vouloir apporter de l’aide à ces gens qui n’en ressentaient pas le besoin jusqu’à ce qu’on la leur apporte, on a créé nombre de problèmes qui n’existaient pas jusque là. Il me revient à l’esprit une conversation que j’avais eue avec un ingénieur des Ponts et Chaussées burkinabé, lors d’un voyage en car, qui me rapportait la réflexion d’un responsable local d’une route rendue impraticable au dernier hivernage. Alors que l’ingénieur lui demandait pourquoi il n’avait pas constitué d’équipe pour refaire la route et ainsi permettre aux engins agricoles de circuler sur sa propriété, il lui répondit : « Pourquoi irai-je refaire cette route, ce qui n’est pas mon métier, alors que, tôt ou tard, une ONG viendra la refaire à ma place et me donnera à manger pour compenser les pertes ? ». Non, la vérité, c’est que leur mode de vie n’est pas le notre et nos problèmes ne sont pas les leurs. Est-ce notre sentiment de culpabilité de pays riche et développé qui nous ordonne d’aider des populations vivant à un autre rythme dans un autre système ? Toujours est-il que cette vision alternative de l’Afrique, vision dans laquelle leur faible niveau de vie leur évite la peur de tout perdre et le stress de ne pas assez gagner, où leurs habitudes alimentaires pauvres leur évite tout problème de cholestérol et d’accidents cardio-vasculaires, où le suicide est un mot qui n’existe pas dans la plupart de leurs dialectes, cette vision où les habitants vous regardent toujours avec le sourire, où l’étranger est toujours bien accueilli, où tout est toujours partagé, où les rires fusent et où rien n’est finalement jamais grave, même la mort, cette vision me procure une certaine sérénité. Il n’y a pas qu’une seule façon de bien vivre, mais plusieurs, et ce serait faire preuve de la plus stupide ingérence que de vouloir leur imposer la notre.

Les feux brûlent toujours à l’horizon alors que déjà le soleil se fatigue et pense à se coucher. Nous frôlons une île, seule attraction de la journée. Demain, nous accosterons à Akosombo, terme de notre voyage. Il faudra reprendre la route, se trouver un endroit pour dormir, trouver de l’eau pour la journée, trouver à manger … Toutes ces choses prennent du temps et empêchent de se poser pour penser. C’est l’une des bonnes surprises de cette croisière : j’ai pris le temps. Le temps de lire, le temps de penser, le temps de me poser. Cinq semaines à traverser des contrées étrangères, à rencontrer d’autres civilisations, d’autres modes de pensées, et depuis deux jours, tout remonte. Je suis en train de faire une première synthèse de ce voyage. Il faut vraiment que je me pose avant de partir au Kenya, pour compléter cette « digestion ». Il me faut trouver un havre de paix où je pourrai me reposer les deux ou trois jours qui me séparent de mon avion. Je ne resterai pas à Accra, j’irai dans l’un de ces petits villages le long de la côte. Pourquoi pas Kokrobite ? Il y a là-bas, d’après mon guide, un petit « resort » avec des bungalows. Pas très cher, pas trop touristique, loin des attractions principales … L’endroit rêvé pour se reposer. C’est décidé. Prochaine étape : Kokrobite.