D'Afrique en Asie ... Carnet de route

Voici mon carnet de voyage, qui me permettra de laisser mes impressions tout au long de celui-ci. J'éspère ainsi vous faire partager cette expérience, recueillir vos impressions et les nouvelles de la vie que je laisse derrière moi ... pour un temps.

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Le 1er novembre 2004, je commence un voyage de 10 mois qui me conduira vers des régions magiques que j'ai toujours voulu voir. Je veux partager avec vous ce moment de ma vie, à travers les photos et les commentaires vocaux que je posterai ici, tout au long de ce voyage.

11/29/2004

Le Pays Dogon

Ce n’est que jeudi matin que Modibo me retrouve à m’hôtel « Y’a pas de problème ». Il a eu un empêchement à Bamako et n’a pas réussi à me joindre ou à laisser un message pour moi. J’accepte ses explications. De toutes façons, qu’y puis-je ? Et puis, il est là, nous partons ce matin, et c’est bien là l’essentiel.

Taxi brousse de Mopti à Bandiagara. C’est mon premier. C’est une Peugeot (les taxi brousse qui ne sont pas de Peugeot ne sont pas de vrais taxi brousses) 404 break familiale (à 3 rangées de sièges, donc). La voiture est déjà pleine, la galerie de toit disparaît sous les bagages. Il ne reste que le siège passager à l’avant du véhicule. C’est là que nous nous installons, Modibo et moi. Je me retourne et compte les passagers. 3 devant, 3 au milieu et 3 femmes à l’arrière, chacune tenant un enfant sur ses genoux. 12 en tout ! Bien évidemment, pas de ceinture, les sièges sont fatigués et éventrés et le tableau de bord n’est plus qu’un vague souvenir. Mais la voiture s’ébroue et, avec une infinie lenteur, commence à accélérer. Les 12 km de route goudronnée qui nous séparent de Sévaré sont parcourus assez rapidement. Je ne peux pas en dire autant des 63 km de piste qui nous conduisent à Bandiagara. Le moteur cale dans une montée, nous sommes obligés de descendre, le chauffeur remet de l’eau dans son réservoir percé, laisse refroidir un peu son moteur et redémarre. Quel que soit le véhicule, c’est toujours la même impression : le trajet est en soi une aventure et l’on en perd tout le charme si l’on ne s’intéresse pas au paysage qui défile (lentement) sous nos yeux. C’est ainsi que nous passons au-dessus d’une rivière où ne coule en cette saison plus que du sable et ne charrie plus que des troupeaux de zébus. Cette vision de sable blanc remplissant le lit d’une rivière bordée de terre rouge et de quelques arbres au feuillage rare me fait rapidement oublier la lenteur désespérante du véhicule et le temps finit même par me paraître court. C’est que, l’habitude aidant, je finis par ne plus compter les heures.

Bandiagara est au cœur du Pays Dogon, affirme une pancarte à l’entrée du village. Cependant, la partie touristique étant située à l’est sur la falaise, il s’agit plus d’un camp de base qu’autre chose. Pourtant, Modibo me dit que la visite commence par là. Et de me mettre entre les mains d’un cousin, guide de son état, le temps pour lui de « prépare le reste du voyage ». Il est vrai que, depuis notre arrivée, Modibo fait sensation. L’enfant du Pays revient chez lui en patron et toute personne le croisant l’arrête pour le saluer et lui demander des nouvelles. Si je visite la ville avec lui, je n’aurai pas fini ce soir. Nous partons donc à la découverte de la première ville Dogon. L’histoire est assez simple. Un homme par à la recherche de sa sœur, enlevée et épousée par un chasseur. Arrivé dans la forêt, l’homme est perdu et est en train de mourir de faim et de soif lorsque deux événements se produisent : il entend un coup de fusil (à quelle période se situe l’action ?) et son chien flaire une étendue d’eau. L’homme décide de construire une maison et de s’installer là. Il construit également « une case à palabres », au toit surbaissé et sous la quelle il invite le chasseur à venir pour trouver une solution.

Le village Dogon est organisé autour d’un certain nombre de bâtiments. Tout d’abord, la « tête » : une « case à palabre », sorte de monticule de branchages sur pilotis, sous lequel on s’installe pour discuter. Le plafond est si bas qu’il est impossible de se tenir debout. Ainsi, si la conversation s’anime un peu trop et que l’un des protagonistes se dresse brusquement, le lourd toit de la construction le rappelle aussitôt à l’ordre. Ensuite, les « poumons » : une maison à la devanture couverte de niches où sont posés des souvenirs. Il s’agit de la maison des anciens. C’est ici que s’installe le plus ancien représentant d’un village ou d’un quartier, ainsi que sa famille. A la mort de l’ancien, la famille déménage et c’est la famille du nouveau doyen qui s’installe à son tour. Il y a également le « nombril » du village. C’est une case sans fenêtre entourée d’un cercle de pierre délimitant un « no man’s land ». Dans cette case s’installent les femmes lorsqu’elles sont sur le point d’accoucher ou, plus simplement, lors de leurs menstruations. Elles sont alors considérées comme impures et ne peuvent participer à la vie du village et sont donc mises à l’écart. Puis viennent les « pieds ». Il s’agit de la case du forgeron. Le forgeron occupe une place centrale dans la vie d’un village Dogon. C’est lui qui procède aux circoncisions et excisions (qui sont encore pratiquées fréquemment dans toute la sous-région), lui qui trouve l’eau et fore les puits, lui encore qui fabrique les portes des greniers et leurs fermetures. Viennent enfin les « bras ». Ce sont les fétiches censés protéger, entourer et supporter le village. Toute personne entrant dans un village Dogon avec de mauvaises intentions est censée les perdre en passant devant le fétiche. Ainsi, les villageois peuvent accueillir sereinement l’étranger. Dans tout village Dogon (et Bandiagara n’échappe pas à la règle) on retrouve, sous une forme ou une autre, ces 5 éléments, base de la société.

Le soir arrive. Je suis logé dans la famille de Modibo. Sa mère, sa sœur, ses cousins, neveux et nièces, vivent ici, dans des chambres entourant une cour intérieure qui sert à la fois de cuisine, de fabrique de Dolo, la bière de mil, de salle de séjour et de salle à manger. Au fond de la cour, une salle de bains (pièce équipée d’un canari, de patènes et d’un petit banc de bois, et dont l’un des murs est percé à la base pour l’écoulement de l’eau) sert d’antichambre aux toilettes (pièce nue équipée d’un trou en son centre). A côté, une grange à ciel ouvert abrite des poules et des moutons de grande taille). C’est dans ce repaire que vivent deux personnes dont je fais la connaissance et qui m’interpellent. Tout d’abord, le cousin de Modibo. Il a réussi l’ENA malien, possède une licence en droit et voudrait étudier en France. Ensuite, Yadomo, la nièce de Modibo, qui est au lycée et souhaiterait terminer son second cycle également en France. Le courage et la volonté de ces deux personnes me touchent beaucoup. J’aimerais pouvoir faire quelque chose pour elles. Nous échangeons nos coordonnées. Je promets de me renseigner et de faire passer le message.

Le lendemain, nous partons pour la falaise. Le trajet de 12 km qui nous séparent du premier village, Begnimato, est constitué d’une piste mi-terre mi-pierre assez mauvaise et qui constitue un calvaire pour les suspensions de la voiture qui nous transporte. Nous mettons plus d’une demi-heure à parcourir ce chemin, parfois uniquement repérable à l’aide des pierres qui le balisent, pour arriver dans un hameau de trois ou quatre maisons. Là, nous déposons des caisses de sodas (il n’y a pas de petit profit) pour les dogons et nous sortons les sac-à-dos. Modibo m’a prévu un porteur. Ce dernier est vieux et chétif et je doute qu’il arrive à porte les 25 kg de mon sac. Mais sa vitalité est surprenante et c’est même avec quelques difficultés que je l’ai suivi le long des 3 km qui nous séparaient encore de Begnimato. Le trajet passe par des étendues caillouteuses balayées par les vents. Nous sommes en fait sur un plateau. Devant nous, une falaise haute d’une vingtaine de mètres surplombe un plateau intermédiaire où j’aperçois des champs, des baobabs et, au bout, un village composé de 3 hameaux : un quartier animiste, un quartier musulman et un quartier chrétien. Begnimato. Nous établissons dans ce dernier quartier notre campement. C’est un village très propre, comparé aux villes précédemment traversées. Il y a même des poubelles. C’est également un village traversé par de nombreux touristes venus se poser, manger ou se reposer un moment. Mais pour bien comprendre la vie ici, il faut y passer la nuit, et c’est ce que nous allons faire. Après un bon repas et une non moins bonne sieste, Modibo m’invite à parcourir quelques kilomètres en direction d’un village typique Dogon situé à trois kilomètres de là. Il y en a pour un peu moins d’une heure de marche à travers les cailloux et le sable. Nous partons en début d’après-midi. Le temps est sec et assez clair compte tenu de la saison. Il ne fait pas trop chaud, à peine 33°C. Un temps idéal pour la marche. Je transpire à grosses gouttes quelques minutes à peine après notre départ. Même Modibo, qui m’avouera ne pas avoir pratiqué la marche depuis un moment, semble fatiguer. Seul le petit gamin porteur d’eau qui nous accompagne ne semble pas affecté. Il est né ici, ceci dit.

Au bout de ¾ d’heure nous arrivons à l’orée d’un village ramassé sur un éperon rocheux. Il me fait, allez savoir pourquoi, à ce petit village d’irréductibles gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Ici, l’envahisseur serait plutôt le progrès. Mais, aussi éloigné des routes commerciales, le progrès ne peut leur parvenir qu’à travers le tourisme. De ce côté-là aussi, ce village semble bien armé pour se défendre. La route est quasiment impraticable et longue à parcourir. Et même à pieds, il faut vraiment savoir où aller pour le trouver. Ce village (Iendourou, me semble-t-il) est au bord de la falaise. Un rocher le surplombe, qui donne une double vue, sur le village et sur le vide. Vraiment impressionnant. De là, on peut tout voir du village : les cases à palabres, les ghindo (maison des anciens), les maisons de femmes, le forgeron. Seuls les fétiches, trop petits par rapport aux maisons, sont invisibles, mais j’en ai passé un en entrant dans le village.

Notre guide pour le village est le maître d’école. Depuis la réforme, il y a une école dans chaque village du Mali. Hélas ! Si les bâtiments et les élèves sont là, les cours ne suivent pas. Manque de maîtres, manque de cahiers, de crayons, de livres … Ici, il manque même le toit des deux classes, emporté par les dernières pluies. Pendant la saison sèche, l’école est possible, mais dans un mois ou deux, lorsque soufflera l’harmattan … La situation est grave. Il n’y a que 2 sections, la 2° et la 4° (l’école au Mali se décompose en 12 sections, numérotées de 1 à 12 et correspondant à nos classes de CP à terminale). Cette année, il n’y a donc pas eu de recrutement en 1°. L’année prochaine, la réforme impose une section supplémentaire. Les 2° passent tous en 3°, les 4° en 5° et une section 1° est créée. Mais il n’y a pas de professeur, et les maîtres sont financés par le village qui n’a rien. Un maître gagne ici moins de 25000 CFA (38€) par mois … Pas encourageant. L’année dernière, un maître un peu meilleur que les autres a été remarqué par un adjoint au ministre et déplacé dans un village plus important. C’est beau d’avoir la volonté de former sa jeunesse, mais lorsqu’on manque de tout à ce point, ça tient du miracle. Tout le Pays Dogon est dans ce cas-là. Ici, le cas est extrême, c’est vrai, mais il est hélas assez représentatif. A Begnimato, il y a également 2 classes, mais l’un des professeurs est payé par l’état. J’imagine nos petits écoliers mettant à la poubelle des cahiers à peine entamés et mâchonnant et démontant des stylos bille parfaitement fonctionnels … N’y a-t-il réellement rien à faire ? Je prends les coordonnées du maître, à tout hasard. Encore une mission humanitaire à monter, encore un challenge. Ici, il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour trouver aussitôt de quoi s’émouvoir, de quoi réfléchir, de quoi se poser des questions sur nos différences.

Je reviens le soir à Begnimato. Avec Modibo, nous parlons avec le maître d’école jusqu’à une heure avancée du soir, autour d’un thé qui, je le sais, m’empêchera de dormir. Mais comment refuser l’hospitalité de ceux qui ont tant de besoins ? Je suis très loin de Mopti et de la sauvagerie de ses commerçants. Ici, je respire la sincérité. Est-ce une illusion ? Le souvenir du tableau noir où trônait la leçon de français émaillée de fautes d’orthographes me convainc du contraire.

Le lendemain, nous descendons dans la vallée par le tracé d’un cours d’eau asséché en cette saison. Au fur et à mesure de la descente, le climat change. Je m’aperçois qu’il y avait un peu d’humidité en haut. Ici, l’aridité transforme les champs de mil en champs de sable. Les baobabs côtoient de rares manguiers autour de points d’eau. La surprise vient de la falaise que nous longeons. De petites cavités perchées à mi-hauteur attirent mon regard. On dirait des postes d’observation, de petites cahutes borgnes. Ce sont les maisons des Telems, les pygmées, qui vivaient ici avant les Dogons. Ces derniers les ont chassés et ont créé des villages à flanc de falaise, pour se protéger des agresseurs de la plaine. Mais ils n’ont pas construit dans des endroits aussi inaccessibles que les Telems. Incroyable de voir, au millieu d’une paroi que l’on croit inaccessible, toute une série de cases accrochées on ne sait comment. On dit que ces pygmées savaient voler, et à voir ces constructions impossibles, je commence à y croire.

Après 15 km de marche dans le sable de la plaine, nous arrivons à Endé, un bourg un peu plus important que les autres et servant de campement aux touristes de passage. Ici, la route est praticable et les 4x4 et motos sont nombreux. Le touriste faisant halte ici peut avoir choisi un circuit de luxe. C’est ainsi que nous tombons sur une dizaine de hollandais. Ils sont venus avec leurs voitures, leurs affaires, leur nourriture … Je souris en les voyant ainsi : où qu’ils aillent, c’est la même chose : ils emportent tout avec eux. Je croyais qu’il n’y avait que sur les plages de l’Atlantique où ils se comportaient ainsi, mais je m’aperçois qu’il n’en est rien. En parcourant la ville, je comprends l’influence du tourisme sur la population. Partout, sur tous les murs, dans toutes les cours, on fabrique des tissus de coton, on les teint, les femmes font l’indigo qui leur donne des mains bleues indélébiles. Tout un quartier de village (Endé en comporte 4) entièrement dévoué à cette industrie. Il y a 10 ans, me confie Modibo qui m’accompagne, il n’y avait rien de tel ici. Uniquement une activité traditionnelle. Et de pousser un long soupir de déception.

Demain, c’est jour de marché à Endé. Nous décidons donc de ne pas quitter le village et d’y passer la nuit. J’en profite pour parler avec les hollandais, des belges, des français, tous touristes enchantés de leur circuit mais dont aucun ne peut me dire comment s’appelle leur hôte, Ali. Je comprend qu’il y a encore une leçon à tirer de ceci : le touriste apporte une modification à l’environnement qu’il traverse, mais ne fait aucun effort (en général) pour le découvrir autrement qu’avec les yeux. Ce soir, je m’attablerai dehors, avec le petit marchand du coin, et je jouerai avec lui a l’Awele et aux cartes. Demain, en repartant, Modibo me dira que je suis le premier Toubabou (blanc) à me comporter ainsi. Il y a de la fierté dans sa voix. Il y en a aussi dans mes remerciements.

Dimanche matin. Le marché ne commence qu’après midi. J’ai donc tout mon temps. J’en profite pour grimper sur la falaise, pour découvrir le village incrusté. La montée est rapide mais assez difficile. De grandes enjambées me sont nécessaires pour suivre le jeune dogon d’une dizaine d’années qui me précède. Vivre ici doit vous donner une santé à tout épreuve et une aptitude naturelle au parcours de sentier de montagne. Mais la récompense à l’arrivée est à la mesure de l’effort. C’est tout simplement magique. A travers les ouvertures des cases perchées ainsi, au milieu des pierres branlantes leur servant de support, toute la vallée s’étale jusqu’à des kilomètres. Au-dessus, la roche en surplomb rend les constructions invisibles de la corniche. La position est idéale. De plus, le soleil n’éclaire la façade que le matin, lui assurant une relative fraîcheur. De l’eau de source surgit du fond des caves intégrées au village. Les greniers pouvaient engranger jusqu’à 7 années de récoltes. Les Dogons étaient bien défendus. Attisé par la vue magnifique, je presse mon guide à monter plus haut encore, au 2° village perché. La montée est un peu plus dure, mais, tout comme la première, cette vue récompense l’effort consenti. Je suis à présent au niveau des cases Telem, qui se trouvent sur ma gauche et sont inaccessibles. Mais comment ont-ils fait ? J’ai bien vu les cordes faites d’écorce de baobab qui leurs servaient, mais ça n’explique pas tout. Du haut, la descente en rappel est impossible à cause du surplomb. D’en bas, il faut être équipé pour grimper jusqu’aux cases. Alors pour y acheminer du matériau de construction … La réponse vient de cette française, championne de varappe, qui est venue à bout du piton rocheux situé à quelques centaines de mètres d’Endé. C’est donc possible, mais ça signifie que chaque pygmée était un champion d’escalade … Impressionnant.

Le marché est tel que me l’avait décrit Modibo : joyeux, bruyant, chaotique et haut en couleurs. De midi à 14 heures, les marchands (pour la plupart des femmes) apportent, qui en charrette, qui à dos d’âne, qui sur la tête, des marchandises de toutes sortes : savon et dentifrice, pantalons et chemises, matériel de réparation pour véhicules, légumes, salades, fruits, dolo, piments … Je m’assois sur un rocher surplombant légèrement le marché et fais un inventaire à la Prévert. Une heure de cette observation me tourne la tête. Il me faut encore plusieurs minutes pour détacher mon regard de cette agitation. Et c’est alors que je m’aperçois que personne n’est venu me déranger, que pas un gamin ne m’a gratifié d’un ‘Toubabou’ interrogateur, que tout le monde est à son affaire et m’a laissé à l’orée du bois. Je décide de pénétrer le cercle une dernière fois, d’établir le contact. Prudemment, une vieille femme me tend une calebasse. Je demande à la cantonade quel est ce breuvage. Personne ne possède assez de français pour me répondre. Tant pis. Je paye (100 CFA, pour une fois un prix abordable) et goûte à la calebasse. Du jus de raisin. Indéniablement. Comment fait-on du jus de raisin dans un pays où le raisin ne pousse pas ? Interrogé à ce sujet, mon guide me dira que le raisin est bien cultivé, mais timidement, car il ne donne pas du fruit partout.

Retour au village. J’ai les yeux, les oreilles et la bouche pleins de ce marché. Nous pouvons partir pour Teli, avant-dernière étape du parcours. Les 5 km qui nous séparent sont éprouvants. Nous marchons au soleil, il fait chaud et sec, un petit vent soulève le sable devant nous et nous le projette à la figure … Je suis obligé de demander une pause à 1 km de l’arrivée. Je n’en peux plus. Mon genou droit chauffe et j’ai peur de trop le solliciter. Finalement, nous arrivons au village vers 17 heures, une heure et demie après notre départ d’Endé.

Autre village, autre ambiance. Ici, nous sommes les seuls touristes. Après la visite des rues, de la mosquée (type Djenné, comme toujours) et de la falaise, nous nous installons au campement pour y passer la nuit. Le responsable nous offre le thé : je ne dormirai pas beaucoup cette nuit. Puis, à la nuit tombée, nous mangeons. De nombreux jeunes sont venus nous regarder, nous écouter. Modibo a ici une sacrée réputation. On lance des sujets. Un gamin arrive, vêtu d’un T-shirt de contrefaçon. Je lance une remarque et le débat commence. Comment ? Il y a une réglementation pour ça ? Il y en a pour tout. Cette conversation, ce petit cours d’économie de marché, va nous amener jusqu’à minuit. Demain, départ 7 heures. Il est temps de dormir. Je me suis installé sous une espèce de tonnelle, et m’endors en comptant les étoiles.

Nous sommes lundi. Ces journées n’ont passé que trop vite. Nous rejoignons la route qui passe au pied de Kani-Komblé, dernier village du circuit. Rien à en dire, si ce n’est que, après quelques paroles échangées avec Modibo, notre hôte part dans sa réserve et en ressort avec un chapeau Dogon typique. Cadeau, me dit-il. Je n’y crois pas. Ici, au Mali, un cadeau ? Ce Pays dogon est décidément très différent du reste de la région. J’accepte avec émotion et me coiffe de la parure. Et c’est ainsi chapeauté que je pars vers Bankass, dans l’espoir de rallier Ouaga dans la soirée.

J’arrive à Bankass vers 10 heures du matin. Il me faudra attendre 13h30 pour attraper un taxi brousse. Mon bus part de Koro à 15 heures pour Ouaga. La route est si mauvaise que le taxi est obligé d’emprunter, quasiment sur tout le trajet, un chemin parallèle que seuls les camions et les bus ne peuvent emprunter. Après deux ensablages nous contrignant à pousser le véhicule, nous arrivons à Koro légèrement en retard. Je pousse un soupir de soulagement en voyant le bus, toujours à l’arrêt. J’ai de la chance. Je paie le prix du billet (5000 CFA) et manque m’étrangler : il me reste 50 CFA. Pas de quoi m’acheter à manger, encore moins pour payer le taxi à Ouaga. Et la gare de la SoGeBaf est à l’autre bout de la ville par rapport à ma chambre ! Tant pis, je ne peux rien y faire. Personne ne change d’euro, aucune banque ne veut de mes traveler chèques, il faudra bien faire avec. Nous partons. Inutile de m’inquiéter avant l’heure, je décide donc de dormir.

23h30. Arrivée à Ouaga après un voyage sans histoire, si ce n’est une incroyable pause de 2 heures à Ouahigouya. Comment faire ? Aux traditionnels « taxi monsieur ? », je décid de répondre par la franchise : je n’ai plus assez d’argent, alors si vous voulez bien m’indiquer la route … Et une fois de plus la Providence vient à mon aide, sous la forme cette fois d’une imposante femme avec qui j’ai fait tout le voyage depuis Koro. Elle connaît ma situation, elle va dans le même quartier que le mien (Dapoya) et décide de m’offrir le taxi. Je la remercie chaleureusement et l’aide à porter ses bagages. Nous partons. Il est minuit, j’arrive à OBP, crotté, fatigué, endormi, mais heureux d’être de retour.

J’ai aimé ce voyage au Mali. Il m’a fait découvrir, par comparaison, la chance que j’ai d’être ici, au Burkina Faso. Je vais y passer la fin de la semaine, pour tout raconter, pour montrer les photos, pour préparer mon prochain mouvement : le Ghana. Je pars samedi prochain pour Pô et le Ghana, que je traverserai en une semaine, si tout va bien. Mais l’expérience de la région me montre que tout tracé a tendance à être largement modifié. A moi de mieux me préparer.

11/23/2004

Mopti, mardi soir

Me voici à Mopti. Il est 17 heures. Il ne me reste plus qu’une heure de lumière pour trouver Papa Fréguet, mon contact ici. A la descente du bus, je suis, comme à l’accoutumée, assailli par les chauffeurs de taxi. Ici, cependant, il faut y rajouter une dizaine de gamins braillant et vociférant des paroles incompréhensibles. La seule chose que je comprends, c’est qu’ils essaient de me vendre quelque chose. Mais à l’énoncé de mon contact, tout s’éclaire. Oui, tout le monde ici connaît Papa Fréguet. Non, le Campement n’est pas loin, pas besoin de taxi (au grand dam de ceux-ci). Oui, on va t’y amener. Non, laisse, on va porter ton sac. Certains mots ici ont des pouvoirs magiques. Papa Fréguet est l’un de ceux-ci.

Je trouve l’homme exactement où l’on m’avait indiqué : assis à une table, en train de siroter une bière. Il m’attendait. Il a été prévenu par Modibo Sagara (le guide pour le Pays Dogon qui m’a arrangé mon voyage à Mopti) et va me prendre en charge. Nous devons l’attendre ici même, au Campement. Il devrait arriver ce soir vers 20 heures. Mais à 20 heures, personne. Nous mangeons en l’attendant. Je profite de cette attente forcée pour passer quelques coups de fil (le téléphone public au Mali doit être l’un des plus cher au monde) et faire la connaissance d’un américain, Chris. Chris est lui aussi en vacances, pour 3 mois. Il vient du Maroc et descend jusqu’à Cotonou. Son programme inclus Tombouctou et Gao, plus au Nord. Pour ma part, je vais m’en tenir au Pays Dogon. J’ai déjà perdu beaucoup de temps avec mes problèmes de visa et j’ai dû remplacer Tombouctou par Bamako. Ce n’est pas très grave. Il y a tant à visiter ici que je projette déjà de revenir.

22 heures. Toujours pas de Modibo. Mon inquiétude doit se lire sur mon visage (je n’ai jamais su réellement masquer mes émotions) car Papa Fréguet commence déjà à me faire des propositions de remplacement, à des tarifs bien évidemment prohibitifs et en tout état de cause absolument inenvisageables. Mais son bon fond refait surface au bon moment et il me propose de m’héberger. J’accepte, d’autant plus que Modibo m’avait dit qu’il le ferait. Nous arrivons dans la vieille ville. Ici, les rues sont étroites et, à l’instar de Djenné, fendues en deux par le caniveau copieusement garni. Le tout se déverse, quelques dizaines de mètres plus bas, dans un étang insalubre bordé de cahutes. Il y a donc des gens pour vivre ici, sur les ordures. Je m’attends presque à voir surgir une de ces sœurs de Calcutta de derrière l’un de ces tas d’immondices. Et c’est dans ce quartier que je passe ma première nuit à Mopti. On me propose de dormir sur le toit, ce que j’accepte volontiers : à l’intérieur, il fait beaucoup trop chaud. On m’installe une paillasse, sur laquelle je pose mon duvet. C’est la première fois que je l’utilise. Ce ne sera certainement pas la dernière, tant les nuits commencent à fraîchir. A la tête de ce lit sommaire, je pose mon sac-à-dos et j’y fixe mon bâton de marche. Ce mât improvisé sert à fixer la moustiquaire. Je me glisse dessous, dans le duvet, et je me prends à rêver à un lit douillet dans une chambre avec une table de nuit et sa lampe de chevet. Quel contraste ! Mais, finalement, lorsqu’on dort, on ne se rend pas bien compte.

C’est le petit matin. Je serre mes affaires dans une demi-conscience. Je n’ai pas très bien dormi. La fraîcheur est bien là, finalement assez bienfaisante. Mais la poussière accumulée sur le toit a rempli tous mes orifices respiratoires et je mouche et tousse comme un grippé. Je comprends maintenant les rhumes à 25°C. Ils ne proviennent pas du froid, mais de la poussière. L’escalier qui descend dans la cour passe le long des toilettes à ciel ouvert et mon regard plonge malgré moi dans le simple trou qui sert de toilettes. Charmant. De toutes façons, je n’ai pas faim. Je prends le seau et la calebasse pour me doucher. La douche se fait dans les toilettes, à côté du trou. Hmmm. Oui, il faut avoir le cœur bien accroché et une bonne habitude pour vivre ici. Heureusement, ce n’était que pour une nuit.

Ce mercredi matin, je suis troublé. Modibo m’avait donné rendez-vous hier soir. Il n’a pas donné signe de vie. Que s’est-il passé ? Normalement, s’il a pris le bus hier après-midi, il devrait être là. Retour au Campement, donc. Personne, si ce n’est Chris, avec lequel je commence à parler. Il a un programme pour ce matin : visiter une école, et suivre un cours d’anglais. Parfait. Papa Fréguet a des courses à faire. Très bien. Moi-même, j’ai une commission à faire : envoyer le bonjour de mon cousin William à Hawa, la grande sœur de la famille de son guide lors de son périple au Pays Dogon. L’adresse devrait se trouver dans le Lonely Planet qu’il m’a prêté. Mince, comme information. Mais ici, tout est possible. Je regarde donc les adresses d’agences de tourisme et je parcours les rues de la ville. « Connaissez-vous une personne nommée Hawa qui travaillerait ici ? » est la phrase clé de cette matinée. Les 2 premières agences ne connaissent pas de Hawa. La troisième a déménagé, mais pas d’Hawa non plus, apparemment. Il y aurait bien cette dernière agence, non signalée dans le guide … Oui, il y a une Hawa. Oui, elle est cuisinière dans les expéditions touristiques. Non, malheureusement, elle n’est pas là. Mais elle est à Mopti, à l’agence près de l’hôtel Doux Rêves (les noms ici sont assez évocateurs). Nous prenons donc un taxi. En route, le gamin qui m’accompagne pousse une exclamation : nous venons de la croiser, qui retourne sur le port. Nous descendons et rentrons à pieds. Après deux heures de recherches, je me retrouve finalement face à une jeune fille au visage rond traversé d’un large sourire : Hawa. Mission accomplie. Il n’y a qu’ici que l’on peut retrouver une personne en ne prononçant que son prénom. Nous discutons. Elle se souvient vaguement d’un garçon correspondant à la description que je lui fais du cousin. Je prends ses coordonnées. Je ne peux faire mieux.

Mon téléphone m’indique que l’on a essayé de m’appeler plusieurs fois. Toujours le même numéro. Je fonce dans un télécentre et rappelle. C’est une cabine téléphonique à Bamako. Oui, un homme est venu ici il y a 10 minutes et a appelé plusieurs fois un numéro qui n’a pas répondu, apparemment. Il s’appelle Sagara. Mon guide. Il est encore à Bamako. Mais que lui est-il arrivé ? Je laisse une commission à la dame du télécentre de Bamako. Il est 10 heures. Au mieux, il ne sera là que ce soir. J’ai donc la journée. Mais ça veut dire aussi que je dois passer une nouvelle nuit ici. Hmmm. Non, il me faut un hôtel. Retour donc au Campement.

C’est fou ce que les gens ici peuvent être « serviables », jusqu’à l’agression, lorsqu’il s’agit d’argent. Je souhaitais aller à l’hôtel Doux Rêves, recommandé par le guide. « Non, il est complet » me dit-on (j’apprendrai plus tard qu’il n’en est rien), « mais je connais un hôtel tenu par un français qui vient d’ouvrir ». Le gamin, pas plus de 10 ans, est même prêt à me payer le taxi. Louche. Ici, un taxi coûte 150 CFA, quelle que soit la destination, pour autant que l’on ne quitte pas le goudron. Sinon, les prix flambent. L’hôtel en question (le « Y’a pas de problème », encore un nom évocateur) se trouve à quelques 250 mètres du goudron et le taxi réclame 2000 CFA. Je refuse, me met en colère et reprend mon sac-à-dos que le chauffeur avait déjà mis (de force) dans son coffre. Le gamin s’énerve. Il est prêt à payer les 2000 CFA. De plus en plus étrange. Un autre garçon, un adolescent, me propose alors de m’amener sur sa mobylette. Il connaît l’endroit. Le gamin et l’adolescent commencent alors à hausser le ton. Je ne comprends pas le Mambara, mais je devine que la conversation n’est pas badine. Je commence à deviner les dessous de l’affaire. Finalement, l’adolescent me fait monter sur sa mobylette et nous partons, sous les cris de rage du gamin.

Nous arrivons dans un quartier en construction. Je commence à avoir l’habitude de ces nouveaux quartiers. On entreprend tout un tas de constructions et elles se finissent … un certain temps plus tard. La construction d’une maison peut ainsi prendre des années. Au milieu de ce chantier, une construction peinte (donc finie), adossée à une construction identique en cours d’achèvement. L’hôtel « Y’a pas de problème ». Tout neuf. Première journée d’ouverture, les chambres sont rutilantes sentent encore la peinture fraîche. La chambre simple : 10000 CFA. Trop cher. Mon budget était de 5000. Jean-Marie, le patron, ne devrait pas tarder à arriver. Je décide de l’attendre. Entre-temps, la discussion véhémente près du Campement reprend. Le gamin nous a suivi. Maintenant, j’ai compris. Ce sont des « rabatteurs » qui sont payés par le patron, vraisemblablement une misère, pour lui procurer ses premiers clients. J’aurais dû comprendre dès le début. Ici, pas de service gratuit. Tout pour se faire un peu d’argent vite fait. Et la satisfaction du « client » n’est qu’une donnée secondaire du problème. Cette impression s’est vue confirmée maintes fois par la suite.

Sur ces considérations, le patron arrive. Discussions. On parle d’Afrique, de voyages, de la difficulté d’entreprendre, de son affaire … Je lui ferai de la publicité, il me fait moitié prix. Le lendemain, j’apprendrai que 5000 CFA est le prix normal. Pour le moment, tout ce qui m’importe est de me doucher, de me raser et de me reposer un peu dans un bon lit. Dont acte.

13 heures. Je suis reposé, et mon accès de mauvaise humeur s’estompe. Je suis prêt à retrouver la ville qui m’avait parue jolie avant d’être insupportable. Retour donc au Campement. Chris est là, qui se préparait à visiter la ville. Nous irons donc ensemble. Vieux port où nous trouvons étalés les blocs de sel que cherchait Chris, repas au bar Bozo sur le fleuve, traversées du port en pinasse, d’où nous pouvons apprécier l’activité fébrile qui règne tout autour de cette petite baie. Visite ensuite du marché, où tout le monde souhaite vous « inviter à entrer », juste pour le « plaisir des yeux », avant de vous proposer un article à prix « sacrifié », parce que vous être son « premier client » (à 15 heures ? Pauvre journée !) et que « le premier client porte chance pour la journée ». Toujours le même discours, toujours les mêmes arguments, toujours la même pression psychologique. Si je n’achète pas, ce sera ma faute si la boutique ne fait pas de chiffre d’affaires de la journée. Nous quittons ce lieu si coloré et pittoresque pour nous retrouver dans les rues de la ville, tout aussi encombrées.

Au détour d’une rue nous nous trouvons en présence d’un étrange photographe qui vous fait des photos d’identité à l’aide d’une boîte à photo tout droit sortie des livres d’histoire. Chris décide de tenter l’expérience et commande des photos d’identité. Il faut alors voir ce photographe du 19° siècle installer cet américain du 21° devant son appareil, passer la main dans la boîte à travers un rideau de velours rouge, regarder à travers une trappe et, de l’autre main, retirer et remettre presque aussitôt le bouchon qui obstrue l’objectif, constitué d’une vielle lentille sertie à la boîte verte à l’aide d’un couvercle de fer blanc … Et ça marche ! il tire une première fois un négatif, qu’il retouche au crayon avant de le placer devant l’appareil et de le rephotographier pour obtenir, cette fois, deux photos d’identité qui donnent à leur propriétaire l’air d’un vampire d’Halloween.

Nous finissons cette journée en déambulant dans les rues du centre ville. Nous ne faisons même plus attention à ces nuées de gamins, de marchands de toute espèce, de ces colporteurs, de ces touaregs qui, tous, vous assaillent et tournent autour de vous en vous proposant absolument n’importe quoi (non, je n’ai pas besoin d’une pompe à vélo ; non, d’une cravate non plus). Un enfant sortant de l’école tourne autour de moi en me réclamant tour à tour de l’argent, des bonbons, des stylos, et reste sourd à mes protestations jusqu’à ce que je finisse par m’énerver et, pour la première fois depuis le début de mon voyage, crier sur lui et le renvoyer chez sa mère. J’ai dû employer une voix forte que certains connaissent car nous n’avons plus été inquiété jusqu’à notre retour au Campement. Mais qu’il est dommage d’être obligé d’en arriver là !

Le soir, je décide d’aller dîner dans un restaurant recommandé par le guide. Chris devait me rejoindre, mais je suppose qu’il était trop fatigué pour me suivre et je ne l’ai pas revu de la soirée. Ce restaurant, tenu par une association de femmes, est propre, frais, et les prix pratiqués sont vraiment raisonnables. On me dit que c’est un repaire d’expatriés et que je ne devrais pas tarder à rencontrer des compatriotes. En effet, une demi-heure plus tard, cinq français passent la porte de la cour intérieure où je suis installé. On entame la conversation. Ils reviennent tout juste d’un circuit de 8 jours au Pays Dogon. Ils sont fatigués et un peu déçus. Apparemment, ils s’attendaient à mieux. Je continue à m’inquiéter en pensant à mon guide toujours absent. De 6 jours, mon périple vient de passer à 5 et je vois le nombre de villages traversés diminuer dans ma tête. Et si j’étais déçu ?

C’est avec cette pensée bien négative que je rejoins mon hôtel. Nous sommes mercredi soir, je suis parti de Bamako depuis deux jours. J’ai l’impression que c’était il y a une semaine.

Djenné, mardi matin

Il est 4 heures du matin. Le bus Bamako – Mopti vient de me laisser au carrefour de Djenné. La ville est à quelques 30 km d’ici. Il fait très froid. Un petit vent souffle sur cette plaine où l’arbre se fait rare. La nuit, en cette saison, voit le thermomètre descendre en dessous de 25°C. Comparés aux 35°C de la journée, cette température me semble glaciale et je m’abrite sous la couverture qui m’a été offerte par la famille d’Oumou. Mohammed, le fils de l’Imam de Djenné, qui a fait le voyage avec moi, me propose de partager la chaleur relative (et la fumée bien présente) d’un petit feu autour duquel se pressent déjà 4 ou 5 personnes transies de froid. Une radio crache quelques notes de musique arabe au milieu d’un concert de bruit blanc. Le froid m’engourdit et je finis par m’endormir sous un million d’étoiles.

6 heures. Quelques coqs en partance pour la marmite lancent un dernier cocorico dans le petit matin. Les étoiles ont disparues et le ciel rougeoie déjà à l’horizon. Il est temps de se lever et de trouver un taxi brousse pour Djenné. C’est encore Mohammed, homme providentiel en la circonstance, qui va trouver, avec l’aide de son frère, un camion en partance. Pour le minibus, il faudrait attendre la mi-journée, et je ne compte pas rester là plus d’une journée. On arrange le prix, je me fais inviter par Mohammed et nous voila parti, coincés à 3 derrière les sièges des chauffeurs.

7 heures. Il aura fallu une heure pour parcourir les 30 km. Nous arrivons au ferry qui traverse l’un des bras du fleuve entourant Djenné. De l’autre côté, Mohammed, son frère et moi partons sur une unique petite moto. 3 personnes plus un sac-à-dos sur une 100cc, voila une expérience que je n’avais pas vécue jusque là. 4 km plus loin, après que les cahots de la route ont copieusement malaxé mon dos fatigué par les heures de bus, nous arrivons à la porte Djenné.

C’est une ville bâtie sur une île, qui a su tirer parti de la route commerciale des touaregs. Ceux-ci commerçaient avec une ancienne ville, Jene-Jeno, située à quelques kilomètres de là. Ils embarquaient les marchandises à Tombouctou sur le Niger et descendaient jusque là. En saison sèche, le niveau d’eau descendant, les marchandises étaient débarquées avant d’arriver à la ville. D’où l’idée de construire une nouvelle ville plus facile d’accès et mieux desservie par le fleuve. Le chef du village eût alors l’idée de construire une mosquée pour accueillir les touaregs. La ville prit rapidement de l’ampleur et, au 12° siècle, accueilli les derniers habitants de l’ancienne ville désormais morte. Djenné est construite sur une île, ce qui l’oblige à s’élever plutôt qu’à s’étendre, et l’on voit plus de bâtiment à étages que partout ailleurs. La grande mosquée est une merveille, entièrement construite de briques de boue et de bois, la plus grande construction de ce type au monde, selon mon guide. Il est vrai qu’elle en impose, dominant la ville et la grand-place du marché, qui lui fait face, de toute sa masse et de toute sa splendeur. Telle est sa beauté qu’elle a servi de modèle à toutes les mosquées de la région.

Précédé de mon guide, je déambule dans les rues étroites, envahies d’ombres presque fraîches, mon appareil photo crépitant à chaque carrefour ou presque. Les explications du guide se mêlent inextricablement à ce que mes yeux me montrent et la ville se découvre petit à petit. Un regard, pris du haut d’une terrasse, me montre un plan de ville torturé, où le moindre espace a été utilisé, où les rues sont si étroites qu’elles disparaissent presque. Au milieu de ces dernières circulent des caniveaux charriant des immondices et d’autres substances indéterminées. Le tout couvre les quartiers d’une odeur fétide chauffée au soleil implacable qui écrase la ville en cette mi-journée. Il est 12 heures et je suis déjà fatigué. Cela fait 3 heures maintenant que nous déambulons. Pygmée (mon guide) m’invite à partager son repas. Nous mangeons « à la malienne », c’est-à-dire ensemble au même plat. Seule concession : on m’accorde une cuiller pour la sauce. Puis, après une courte sieste pour donner au soleil le temps de descendre un peu, je repars à dos de mobylette (à deux, cette fois-ci) vers le carrefour. Mon seul regret ici sera la somme exorbitante demandée par Pygmée. Normalement, un arrangement devait m’éviter de payer quoi que ce soit. En définitive, je repartirai soulagé de quelques 12500 CFA. Le Mali serait un si beau pays s’il n’y avait ces profiteurs ! Ma peau blanche fait de moi automatiquement un multi-millionnaire que l’on peut presser à loisir. Le tourisme ici fait des ravages et la mentalité, jadis fière, de ces hommes aurait plutôt tendance à prendre une orientation bassement mercantile. Je commence déjà à regretter les « hommes intègres ».

16 heures. Je suis au carrefour. 12 heures se sont passées depuis mon arrivée à cet endroit. La lumière n’y change pas grand-chose : c’est un bête carrefour bordé de boutiques. Rien d’autre. J’attends mon bus, qui ne va pas tarder. La visite était particulièrement intéressante. Je ne regrette rien. Ce soir, je dois arriver à Mopti. Mon contact là-bas est « Papa Fréguet », au campement. Deux heures de route. 2000 CFA. Normalement, le voyage aurait dû me coûter 1500 CFA. Encore un petit profit mesquin. Finalement, ce voyage risque de me coûter très cher.

11/22/2004

Bamako

Comment décrire une ville telle que Bamako, lorsque l’on n’est pas en état d’en apprécier les valeurs ? Difficile exercice auquel j’essaie de me livrer. Je dois avouer, pour être franc, que mes trois jours à Bamako ont été, pour la majeure partie, passés avec Badou, un ami rencontré en France quelques années plus tôt. Honnêtement, ce garçon a plutôt bien réussi. Propriétaire d’une immense maison aux murs blancs et au jardin séparé entre un miraculeux jardin de gazon chinois et une piscine de grande taille, d’une seconde maison dont il termine l’aménagement, et d’un certain nombre d’affaires, dont un superbe maquis assez huppé qui draine une clientèle qui lui permet d’entretenir un réseau de connaissances assez développé. En tout point, quelqu’un d’utile et de précieux. Avec sa femme, Oumou, ils m’ont aidé à oublier la galère de ma venue et je dois dire qu’ils n’ont pas ménagé leurs efforts. Le résultat est que, si je n’ai pas grand-chose à dire de Bamako en elle-même, je pourrais être long en ce qui concerne les personnes que j’ai rencontrées.

Bamako restera pour moi une ville encombrée, polluée et très affairée. Le contraste avec Ouaga, sa sœur burkinabé, est saisissant. Moins de vélos, beaucoup plus d’automobiles et d’embouteillages. A ce sujet, je garderai un souvenir vivace de ces 3 heures passées à tenter de franchir l’unique pont (à une voie) sur le Niger, l’autre ayant été fermé pour travaux un samedi après-midi aux heures d’affluences … Belle leçon de désorganisation, qui me fit regretter les minuscules soucis (en comparaison) du pont d’Aquitaine. Parcourir 500 mètres en une heure et demie, au milieu des véhicules dont pas un ne pourrait satisfaire aux normes anti-pollution françaises, le tout par une température de 35° interdisant de fermer les fenêtres sous peine d’asphyxie, est une expérience que je ne souhaite à personne de vivre. Bizarrement, je notai alors l’absence totale de moustiques … et m’inquiétai sur mon propre sort. La première goulée d’air à peu près frais et peu pollué m’a donné l’impression de sortir la tête d’un sac plastique.

Une ville affairée, une ville de voitures, avec des routes goudronnées remplies de véhicules hors d’âge essayant de se frayer un passage à tout prix, dans le plus grand désordre et sous l’œil fataliste des policiers chargés de la circulation, et des routes secondaires, non goudronnées, où les piétons se fraient un passage au milieu des vélos et mobylettes, des charrettes à bras et des camions, des poules et des immondices, toutes faune et flore cohabitant contre toute logique. Les choses s’arrangent un peu une fois sorti du centre ville. Cette mégapole comporte un centre historique aux rues beaucoup trop étroites pour accueillir l’activité qui y règne : un marché, une mosquée, des banques, des administrations … tout cela est concentré en quelques quartiers que bordent de grands axes. Heureusement, et à l’image de Ouaga, Bamako est en train de se doter d’un nouveau quartier moderne, aux rues droites et larges, qui accueille déjà certaines administrations, ambassades, grands hôtels, etc. L’avenue principale s’appelle Avenue des Champs-Elysées … Tout un programme. Mais pour ressembler à sa grande sœur parisienne, il lui faudra encore beaucoup de temps. Et c’est en pensant à ce que pouvait être cette dernière à ses débuts que je descend sa petite sœur malienne. La comparaison dans ma tête ne manque pas de piquant et je me prends à sourire. Finalement, quels points communs leur trouver ? Toutes deux sont longues et droites, c’est à peu près tout. Voila en fait une leçon de vie illustrée par une simple route. Bamako est une ville ambitieuse et voudrait montrer au reste du Monde l’image d’un pays moderne. Tout comme est ambitieux le programme de nouvelle ville qu’est Ouaga 2000. Mais toutes deux font alors l’impasse sur leur passé et je crains que l’une et l’autre ne provoquent, par déplacement de leur centre névralgique, la mort lente de leur partie historique respective.

On sent ici l’influence de la civilisation européenne et de ses chimères. Certes, ces villes sont étendues, peu élevées (les Africains n’aiment pas vivre les uns sur les autres), mal desservies, insalubres et polluées. Certes la désorganisation qui y règne est de nature à effrayer n’importe quel urbaniste européen. Mais ces villes ont une âme, une histoire que l’on peut lire en parcourant leurs rues, jusqu’aux passants que l’on croirait intégrés au décors. Il s’agit d’une scène où tout est improvisé. Ces nouveaux quartiers ne vont-ils pas corrompre cette âme, la dénaturer pour finalement engendrer un monstre, mi-chaotique à l’africaine, mi-réglementée à l’européenne, avec toute la désorganisation et la paupérisation d’identité que cela implique ? C’est ce que je crois, à regarder Bamako et ses contrastes.

Sur les trois jours passés ici, je ne voudrais cependant retenir que les bons côtés de la vie : une baignade dans la piscine de Badou, des soirées arrosées dans son maquis ou chez des amis, ou tout simplement le calme privilégié de cette immense maison où j’ai pu dormir, pour la première fois depuis mon arrivée en Afrique, dans un grand lit avec climatisation et moustiquaire, les délicieux repas préparés par Oumou, la femme de Badou, assistée des filles de la maisonnée, les balades dans une BMW noire aux vitres fumées et qui force le respect de tous, y compris des forces de l’ordre … L’assurance à toute épreuve de mon hôte qui aplanit les petites difficultés qui se dressent sur ma route. L’accueil chaleureux de l’ambassadeur du Burkina Faso à Bamako qui m’a permis, un samedi après-midi, alors que tout est fermé, d’obtenir la régularisation de mon visa (qu’il en soit ici vivement remercié, ainsi que le responsable de la police des douanes sans qui rien n’aurait pu se faire). Ce sont là des personnes de pouvoir et d’influence, bien sûr, mais ils ont heureusement oublié la distance qui les séparent du petit voyageur un peu perdu que je suis et leur accueil n’a eu d’égal que leur efficacité.

Tout le reste, je l’oublierai. Lundi, je pars pour un voyage de nuit qui me jettera tout près de Djenné, ville historique à l’extrémité sud de la route des touaregs et à l’origine de la splendeur et de la renommée d’une certaine et lointaine Tombouctou …

11/21/2004

Première galère africaine

C'est donc au 17° jour de mon périple qu'est apparue ma première vraie galère. Lorsque j'y repense, je me dis que ça aurait pu être plus grave, et je me félicite encore des relations que j'ai et qui m'ont permis de gommer les difficultés avec facilité.

Jeudi 18, donc, je pars de Ouaga pour Bobodioulasso. je souhaite rejoindre la ville de Mopti, au Mali, d'où je pourrai organiser un tour à pieds dans le Pays Dogon. Conseils pris autour de moi, j'abandonne la route Ouaga-Ouahigouya-Koro-Bankass-Mopti, jugée trop mauvaise par mon entourage. la route Ouaga-Bobo-Mopti est bien plus facile, goudronnée de bout en bout et bien desservie. Dont acte. Je téléphone à mon ami Marc pour qu'il m'enmène à la gare routière de la TCV (la meilleure compagnie de cars de ouaga, à mon avis). Mais il ne connais pas l'emplacement de la gare et me propose la STMB, qui a également bonne réputation.

Arrivé à la STMB, je prends mon billet pour Bobo. La TCV proposait un voyage à 6000 CFA. Ici, pour la même somme, le car n'est pas climatisé (en fait, j'ai appris à cette occasion que la TCV n'avait que des cars climatisés, et que la climatisation consistait en des aérateurs individuels fonctionnels) et sa simple vue me fait douter de ses capacités à nous mener confortablement à bon port. Je n'avais pas tord. Dè l'entrée dans le bus, le ton est donné : 70 sièges, dont pas un n'est lacéré plusieurs fois, tant par le soleil que par l'usage, se disputent un espace chiche, poussiéreux et noirci de crasse. Les vitres ont depuis longtemps perdu leurs loquets et brinquebalent et claquent à la moindre aspérité de la route. Le moteur semble avoir élu résidence à l'intérieur même de la cabine, tant on entend bien jusqu'aux rouages des pignons, et tant il semble que le pot d'échappement a trouvé une dérivation juste sous mes fesses. Je suis au fond du car. Avantage, je n'ai pas de soleil directement sur moi, les rideaux censés procurer un peu de protection ayant été certainement mangés par toutes sortes d'agresseurs, humains ou autres, depuis des années et jamais remplacés. Tant que ça roule, pourquoi dépenser de l'argent en maintenance ?

Notre car s'ébroue et s'ébranle pour finalement quitter la gare. Il est bondé. dans la rangée du fond qui est la mienne, j'occupe une place sur le côté. La vitre me casse l'oreille droite et il faut sans cesse la repousser pour éviter à la poussière de me brûler les yeux. La femme devant moi est propre, mais son fils a dû s'oublier récemment, et pas question de le changer pendant le trajet qui va durer 5 heures. Il pleure donc, et ses pleurs vont m'accompagner tout au long du chemin. La femme à ma gauche semble elle aussi importunée par l'odeur, mêlée (pour sa part) à celle du monsieur un peu décati qui se tient à côté d'elle. Elle me regarde avec un air pitoyable et entendu. Nous rions de bon coeur et la conversation commence. Difficile de communiquer lorsque le moteur et les braillements couvrent la moitié des phrases. Difficile également de hausser le ton sans que les gens ne participent, au moins passivement, à notre conversation. Nous échangeons donc peu, finalement, et je prends mon mal en patience en lisant ce merveilleux livre ("L'usage du monde") offert par mon amie Sandra avant mon départ (qu'elle en soit remerciée, le livre est rougi et sali par la poussière, mais toujours aussi intéressant et rassurant). Le journaliste rédacteur de ce livre a passé, avec un ami peintre, des années à errer en Grèce, Turquie, Iran et autres contrées désertiques et sauvages, et les galères qu'ils ont traversées me font sentir mieux.

A partir de Boromo, la route devient vraiment mauvaise (elle est en réfection depuis le dernier hivernage) et l'absence de suspension digne de ce nom me rappelle que mon dos a besoin de se reposer. Tout-à-coup, la route est coupée et il faut prendre une déviation en terre. Comme il fait sec, une brume de poussière nous enveloppe, gommant toute trace de paysage. et comme le soleil est bas sur l'horizon et en face de nous, nous voilà avançant à vive allure (il ne faut pas arriver trop en retard) sur une route provisoire en terre, roulant face aux feux du soleil dans une brume irréaliste. Je n'ai plus le sens du déplacement, saus à considérer les coups de boutoirs que mon siège assène à mon dos. Mais comment fait le chauffeur pour savoir où il va ? J'éspère vivement qu'il sait ce qu'il fait. Inch Allah !

La nuit tombe finalement sur la vallée et nous ne sommes pas encore arrivé. L'air rafraîchit grandement. Il ne doit pas faire plus de 25° dehors et, comparé aux 35° de la journée, le vent qui s'engouffre par les ouvertures béantes du car nous gèlent sur place. Imperceptiblement, ma voisine s'est rapprochée de moi et je sens mon côté gauche se réchauffer à son contact. J'éspère que son côté droit bénéficie du même traitement et la remercie mentalement de ce rapprochement. Dehors, la nuit a tout envahi maintenant, et permet de parfaitement distinguer les nombreux feux de brousses allumés ça et là. La vallée et les collines environnantes brillent ainsi de dizaines de feux rendant un hommage rougeoyant aux étoiles qui brillent de tout leur éclat dans un ciel sans lumière parasite. Le spectacle est magnifique et je regrette de ne pouvoir en faire la moindre photo.

Ma voisine se penche vers moi et m'explique la raison de ces feux. Il ne s'agit ni de culture, ni de problème de chaleur. En fait, la brousse est difficile à faire brûler et les feux ne durent jamais vraiment longtemps ni ne prennent d'ampleur. en effet, les flammes que je vois autour de la route ne dépassent pas quelques dizaines de centimètres. La véritable raison de ces feux est de chasser les serpents et autres bestioles dangereuses pour l'homme (et notamment les enfants) qui se cachent dans les broussailles aux abords des cases des villages. Tout s'explique. Je voyais des enfants, parfois très jeunes, jouer à proximité immédiate des feux. Je regarde mieux : on distingue, derrière la luminosité des flammes qui absorbent le regard, des constructions proches, des cases isolées ou groupées, des silos à grains. N'y aurait-il pas un moyen plus économique pour l'environnement qui, déjà attaqué par la désertification, n'a pas besoin de cette menace supplémentaire ? Je suppose que les instances ont déjà réfléchi à la question, qui lancent une campagne publicitaire au bord des routes pour lutter contre les feux de brousses provoqués.

19 heure 30, nous arrivons à la gare de la STMB. Enfin. J'ai le dos en compote. Georges est venu me chercher. Je devrais passer la nuit dans sa famille avant de repartir demain matin. Nous nous rendons à la gare de la STBF, à 50 mètres de là, pour réserver une place et prendre le billet. A quelle heure le prochain car pour Mopti ? ce soir, à 20h30. Il faut faire vite. Mais ça veut dire voyager de nuit et ne pas dire bonjour à la famille Bado. Je discute avec Georges. Mon planning est serré, gagner une journée ne serait pas du luxe. Très bien, je partirai donc ce soir. je retourne à la gare et prend mon billet. 9500 CFA. Je paye. Où se trouve le car ? En ville, il va arriver. A 20h10, le chef de gare vient nous voir, Georges (qui est resté) et moi. Le bus est arti directement vers Mopti et ne passera pas ici. Pardon ? Eh oui, c'est l'Afrique, mon bon toubabou ('blanc', en dialecte dioula). Le prochain bus ? Demain, 17 heures. Hmmm. Voilà qui est fâcheux. Voyant mon désarroi, le chef de gare essaie de trouver une solution. Il y a un bus de la SOBA, un peu plus haut sur l'avenue, qui part à minuit. Très bien. Je dînerai donc chez Georges et il m'accompagnera cette nuit à la gare.

11h30. Nous nous levons du maquis (petit bar-snack de bord de route) en face de la gare et traversons la rue. Le bus est là, un vieux Renault qui me renvoie aux bus qui nous conduisaient à la piscine Judaïque à Bordeaux. Il doit avoir plusieurs millions de kilomètres. Je commence à me poser des questions. Nous allons cependant voir le responsable de voyage. le départ est reporté à 7 heures demain matin, par manque de voyageurs. Hmmm. Voilà qui est encore plus fâcheux. Mais nous n'y pouvons rien et je vais donc passer la nuit dans un lit, finalement.

6h45 le lendemain. Je suis au pied du bus. Il a l'air encore plus miteux que la veille, de nuit. Jaune et blanc, maculé de rouille et d'huile. Le départ est-il toujours prévu pour 7 heures ? Oui oui, mais on attend quelques passagers en correspondance. Aïe. On n'est donc pas encore parti. Quelques photos, pour tuer le temps. Georges est parti travailler. 8 heures. toujours rien. C'est finalement à 9 heures que le car démarre. Mes appréhensions se muent en craintes. L'acre et épaisse fumée bleutée qui s'échappe de sous le car, accompagnée d'un bruit de crécelle sentant le moteur agonisant, ne me disent rien qui vaille. Comment ? Ce bus est censé parcourir les 600 km et plus qui le sépare de Bamako ? On me dit de monter, sans répondre aux questions. il se passe visiblement quelque chose, ce n'est pas normal. J'hésite. Le prochain bus est pour 17 heures. Bah, on verra bien. Je monte.

Nous venons de quitter Bobo. La vallée de Kou est juste derrière nous. Le moteur fait de plus en plus de bruit et la fumée remplis l'habitacle. Le bus de la STMB était un pullman à côté de celui-ci. Les sièges sont défoncés. Le lineau au sol est arraché et montre des trous à travers lesquels on voit nettement la route défiler. Les vitres, fermées, sont sales et maculées d'huile ... Mais où suis-je tombé ? Ce bus a-t-il seulement le droit de rouler ? J'en était là de mes réflexions lorsque, tout-à-coup, le moteur hurle d'un raclement d'agonie et se tait. Le bus stoppe sur le bas côté. Des personnes en descendent, d'autres ouvrent une trappe juste à côté de moi et qui donne sur le moteur. Aussitôt, la cabine est remplie de fumée bleue et m'obstrue la gorge. Je n'ai que le temps de sortir précipitament avant de finir étouffé. Quelques minutes passent, au bord d'une route perdue au millieu de rien. Verdict : couroie. Pas grave, on en a en réserve, la réparation ne sera pas longue.

Une demie-heure plus tard, le bus s'ébranle à nouveau. Nous remontons, peu rassurés quant aux capacités du véhicule à nous mener à bon port. De fait, le chauffeur ne passe que les 3 premières vitesses et avance, dans un fracas épouvantable, à très petite allure. Nous devons faire du 30 km/h, maximum. Koutiala, ma correspondance, est encore à 180 km. Je commence à sentir la galère arriver. 40 km plus loin, rebelote. Nouveau hurlement, suivi d'un silence de plus en plus inquiétant. Courroie ? Oui, il faut la remplacer à nouveau. On en a combien en réserve ? Oh, suffisamment. Je commence à comprendre. J'interroge le chef de voyage. D'abord réticent, il finit par cracher le morceau. Oui, ce bus est cassé. On le mène à réparer à Bamako. En en a profité pour prendre des passagers pour payer le voyage et une partie de la réparation. Vous comprenez, la SOBA est en faillite et ce bus est tout ce qu'il en reste ... Mon Dieu. Des fous ! Ils mettent en danger la vie de passagers pour payer une réparation ! Ce bus doit finir à la casse. Colère. J'explique le topo aux autres passagers. Certains restent passifs, fatalistes. D'autres me rejoignent et nous formons une fronde. Passé la frontière, nous nous verrons remboursés d'une partie du voyage et prendrons un autre bus. Insensé. Palabre. Finalement, nous obtenons gain de cause. 3000 CFA de remboursement, ce n'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien.

Voilà (enfin !) la frontière. Nous avons parcourus 180 km depuis Bobo. Il est 15 heures. Nous roulons depuis 6 heures. Il me reste 450 km à parcourir et il reste moins de 3 heures de jour. Je vais arriver tard. Mais ce n'est pas fini ...

Frontière du Burkina. Nous descendons du bus et marchons, sous le soleil et dans la poussière,à son côté pendant que la douane nous jauge d'un oeil endormi (la sieste n'est pas tout-à-fait finie). Puis nous parcourons quelques kilomètres. Un passager descend et part dans la brousse. Que fait-il ? C'est un sans-papier qui passe la frontière, un peule qui ne sais pas ce que carte d'identité veut dire. je ne m'étonne plus de rien, maintenant. Tout ce qui compte, c'est d'arriver à Koury, le poste frontière de Koutiala. C'est chose faite quelques interminables minutes plus tard.

Frontière du Mali. Le drapeau vert, jaune et rouge flotte sur une petite batisse ocre. Un guichet où nous faisons la queue. Et là, les choses empirent. Le visa de l'entente n'est pas reconnu par le Mali. Pardon ? Mais on m'avait assuré que ... il n'y a rien à faire. j'hésite à graisser la patte, peut-être cela ne ferait-il qu'empirer les choses, quoiqu'on ait vue plus bizarre ici. De l'autre côté de la route, une cabine téléphonique. Vite, appeler Rosalie. Appel international. 5000 CFA plus tard, le téléphone sonne. S.E. l'ambassadeur du Faso à Bamako au bout du fil. Il veut parler à l'officier des douanes. Je retravers la rue en courant. Il en veut rien savoir et commence à dresser le procès-verbal d'ammende. Il se demande (tout haut) q'il me refoule ou me fait payer 9000 CFA. Je suis en plein cauchemard. Il refuse de parler à l'ambassadeur. Mon poul s'accélère. Gérer la crise. Vite, une solution. Le pire ? Être refoulé. Je paie l'amende. L'ambassadeur me demande de venir le voir à Bamako. Tant pis pour Mopti, ça attendra. Merci de votre aide, excellence. A demain, donc.

Le bus veut repartir, tout ceci a créé un nouveau retard. je n'ai même plus la présence d'esprit de dire au chef ses quatre vérités sur ses pratiques "commerciales". L'amende est payée. il faut régulariser au plus vite. je partirai donc ce soir pour Bamako, mais pas question de le faire dans cette poubelle que l'on a pu appeler "bus" il y a longtemps. Je descendrai au prochain village, à Koury. Nous atteignons le village 10 minutes plus tard. Je ne ferai pas un kilomètre de plus dans ce ... truc. excédé, je prend mes 3000 CFA, en billets de 500 froissés, déchirés, graissés et donnés tout sauf de bon coeur. Un rasta m'accueille à la descente. Le bus redémarre et pars, emportant une partie de ma colère. Je finis par me calmer. Le rasta est sympa. les gens ici sont simples et, lorsque je sors l'appareil photo pour immortaliser cet instant de galère, je crée aussitôt un attroupement autour de moi : "Toubabou ! Toubabou !". Les enfants jouent et s'interpellent. Tous veulent être photographiés. On se calme. Les enfants s'en vont, et avec eux les derniers fragments de ma colère. Il me faut patienter à présent. Je m'asseois. Je renvoie poliment chacun des vendeurs ambulants qui défilent devant moi à un rythme soutenu. Il semble que le village entier s'est donné le mot. Mouchoir ? Téléphone ? Montre ? Coton tige ? Ces vendeurs auraient fait le bonheur de Prévers et de ses inventaires.

16h15. Le directe Bobo-Bamako de la Bati transports arrive. On négocie le prix. 6000 CFA pour le voyage. Je paie. Nous repartons. Tout va mieux. Le bus est propre, rapide, climatisé et les gens sont accueillants. J'ai maintenant l'habitude d'être le seul blanc et donc l'attraction. Il faut que je raconte ma mésaventure, que je montre les photos, bref, que j'exorcise. On me plaint, on rit beaucoup de ma mésaventure, on raconte une anectode identique. Le temps passe. A Koutiala, nous faisons une pause. au fond de la gare routière, j'apperçois le bus de la SOBA, un air penché, comme s'il se reposait le longle la cahute le long de laquelle il était garé. Des gens descendent des bagages. J'ai fait école, apparemment. Un camarade frondeur me rejoint dans le bus. Il n'en peut plus et me raconte que le bus est une nouvelle fois tombé en panne. Il n'arrivera jamais à Bamako !

20h30. Nous marquons une pause pour le dîner, dans un village. Le parking est bordé de marchands, de buvettes, d'épiceries. Je dîne d'un sandwich à la sardine, préparé devant moi, et d'une sucrerie, un fanta orange. J'appelle Badou, un ami habitant à Bamako. il m'attend, quele que soit l'heure d'arrivée. Je reprend courage. Les choses s'arrangent, finalement.

Minuit et demie. Le bus s'arrête et me réveille. Nous sommes arrivés. On descend. Taxi, taxi, taxi, taxi ? Au moins 4 chauffeurs me proposent leurs services. Il me faut une cabine téléphonique, mon téléphone est bloqué, je ne peux l'utiliser ici. 1000 CFA, tarif négocié. C'est cher, mais au moins, il me ramènera ici. La recherche d'un téléphone durera une demie-heure. Badou est réveillé, il m'attendait. Il tient un maquis non loin d'ici et sera là dans 5 minutes. Le taxi me ramène à l'entrée de la gare. Badou est déjà là. Il y a près de 15 ans qu'on ne s'est pas vu. Il n'a pas changé. Grand, mince, toujours souriant et sûr de lui. Il est nonchalament appuyé sur une BMW aux vitres teintées, une de ces voitures qui inspirent la crainte et le respect dans certaines banlieues parisiennes. Il me mène chez lui. Un vrai palace. Maison (immense) à étage, cour intérieure, salons richement décorés. A l'étage, ma chambre. Grand lit, moustiquaire et climatisation. Je crois rêver. Salle de bains écuipée. Huisseries grillagées anti-moustiques. Le paradis. Il me souhaite bonne nuit et ma laisse là.

1h30 du matin. Je suis debout depuis 20 heures. J'ai roulé pendant 15 heures. Je suis claqué. Mais j'ai bon espoir. Demain, j'irai voir l'ambassadeur qui m'attend. J'en profiterai pour visiter Bamako. L'espoir renaît. Je m'endors.

11/14/2004

Ouaga fête le ramadan

Vendredi. Je viens de rentrer de Bobo. Je suis un peu fatigué. Les trajets Gaoua-Bobo et Bobo-Ouaga sont longs et fatiguant. Mais je commence à m’y faire. De plus, dans le bus pour Bobo, j’ai rencontré deux belges qui remontaient vers Ouaga et avaient raté leur bus. Elles espéraient le rattraper avant Pâ, où les routes se séparaient. « C’est l’aventure ! » me disaient-elles. Chance, le bus pour Ouaga a pris du retard et celui de Bobo était en avance. Soulagées, elles m’ont fait de grands gestes par la fenêtre de leur bus lorsque celui-ci se remit en route, quelques minutes plus tard.

Vendredi soir. J’ai récupéré l’ordinateur portable qui me permettra de rattraper mon retard (en fait, toute la balade dans le sud-ouest du pays – Bobo, Banfora, Sindhou, Gaoua …) et de traiter les phots pour les envoyer sur internet. Mais je ne ferai rien avant demain : il faut gérer l’effort. Et là, je me repose. Je savais qu’il me faudrait habituer mon corps à la chaleur et la sécheresse. Au bout de 10 jours, c’est chose faite. Je sais quand m’agiter et quand me reposer. Demain, je passerai la journée à travailler sur l’ordinateur. Le soir, j’irai prendre le dernier repas de carême chez les Bassolé. Dimanche … on verra bien.

Dimanche. J’ai passé mon samedi à trier les photos et à écrire. Aujourd’hui je vais visiter l’église de Dapoya, juste de l’autre côté de la rue. Il est 9 heures. La messe commence. L’église est pleine et refuse du monde. Dehors, un gros haut-parleur retransmet la célébration. J’ai pu me faufiler et trouver une place. Il fait plus frais à l’intérieur, malgré le monde. L’office dure une heure et demie. Il y a eu plus de 10 chants. Les gens se lèvent, agitent les mains, les femmes poussent des cris de joie ressemblant aux cris basques. Il y a des chants en français dont les paroles sont si désuètes qu’elles me font sourire malgré moi. Ce genre de célébration ne fonctionnerait pas du tout en France ! Et pourtant, me dit-on, c’est plein à tous les offices. Ici, il y en a 3 : en moré, en mossi en français. La dernière est la moins remplie. Je connais nombre de prêtres français qui aimeraient avoir des églises aussi « vides » le soir de Noël … Passons.

A la sortie de l’église, je suis attendu par Mme Ouedraogo, la femme du responsable du centre OBP où je loge. Elle m’invite à déjeuner. C’est comme ça partout au Burkina Faso : si vous ne savez pas où manger, attendez. Il y aura toujours quelqu’un pour vous inviter. Chance ? Non. Simple bon sens. Un bonjour, un sourire, un peu de conversation, et la journée est assurée. Je pense qu’il ne tient qu’aux européens que nous sommes de nous retrouver tout seuls. Chez les Ouedraogo, il y a, autour d’une cour intérieure, trois maisons au moins. Dans l’une d’elles, je retrouve Alfred, qui était sur Bordeaux deux ans auparavant. On bavarde, il m’offre l’apéritif. L’alcool étant déconseillé par ces chaleurs, j’accepte une bière. On évoque le passé. Le temps s’écoule. Madame vient me chercher, il est temps de passer à table.

La soirée commence (la soirée débute ici à 3 heures de l’après-midi) et déjà je somnole. Je demande la route. Demander la route, ici ; c’est prendre congé de son hôte. On n’est pas maître de son temps lorsqu’on est invité. C’est à l’hôte d’autoriser le départ. Question de point de vue. De coutume aussi. Arrivé chez moi, je dors un peu, travaille beaucoup et pense aux musulmans. Aujourd’hui, c’est la fête de ramadan ! Comment ai-je pu oublier ? Le prêtre avait prononcé une intention à leur sujet … Je m’habille en vitesse, il est 17 heures, peut-être la fête se prolonge-t-elle, d’autant plus que demain est férié. Je déambule dans les rues vides. Si fête il y a, elle n’est pas là. J’arrive au centre ville, place des Nations Unies. Quasiment vide. Bon. La fête de ramadan n’est pas une fête populaire, c’est une célébration familiale et la rue n’en est pas le théâtre. Je rentre chez moi, légèrement déçu.

Demain, lundi, je dois partir pour Nouna, à l’ouest du pays. Je sais déjà que la personne que j’espérais y rencontrer ne s’y trouve pas. Mais quelque chose me dit que le voyage ne sera pas inutile. C’est sur ces considérations que je m’endors, la tête pleine des mots et des images que je partage avec vous.

11/10/2004

Gaoua, pays Lobi

Gaoua. 5 heures de route au départ de Bobo. Gaoua, entrée du pays Lobi. Gaoua, petite ville de province enfoncée dans une vallée dominée par les colinnes environnantes. Gaoua, où je suis accueilli à la descente du bus par un nouvel ami : Williams Hien. C’est le beau-frère de Jean Bado. La famille est étendue ici, comme je vous l’avais dit. Il est venu me chercher avec son véhicule : une mobylette P50 de Peugeot. Avec mon sac à dos, mon chapeau sur la tête, mon appareil photo en bandoulière, je m’installe sur le porte-bagages et nous voila parti. Doucement, à cause de la pente, faible mais bien présente. La gare routière est, me dit Williams, éloignée de la ville. En effet, il faut passer une école, la Maison de la Femme et quelques faubourgs avant d’arriver au centre ville. Nous nous arrêtons directement devant un bar où je fais la connaissance du conservateur du musée Lobi que je suis venu voir. Puis nous pénétrons dans le bar et nous asseyons dans un préau.

Le bar ressemble à une ancienne école, ce qu’il devait être auparavant. Il y a d’abord une grande salle, toute en longueur, qui ne contient guère qu’un bar et un babyfoot. Ce n’est pas la place qui manque, c’est le mobilier. Derrière cette salle, une cour bordée de chaque côté par deux préaux. Derrière la cour, 3 salles de classes transformées en chambres d’hôtes.

Mon hôte me laisse le choix. Il m’a amené ici uniquement pour me proposer de loger chez lui. Si j’avais refusé, il m’aurait installé ici. Mais j’ai accepté. Nous repartons. Williams est un professeur d’anglais au lycée public de Gaoua. Avec sa femme, sa fille et deux petits cousins, ils occupent une petite maison au bout d’un chemin mal défini. Le jardin s’ouvre sur les toilettes externes et un robinet. L’eau courante a été installée il y a peu et ni les toilettes, ni la douche ne fonctionnent. Seul, le lavabo est connecté. Pour la douche, il faut aller chercher un seau au robinet et s’installer dans la salle de bains, en éclaboussant copieusement les murs. La salle de bains est réservée aux adultes. Les enfants se nettoient dehors. Ma chambre sert de remise et ne possède pas de lit. Il y aura un matelas ce soir, et l’installation de ma moustiquaire posera problème, mais rien d’insoluble. Seul luxe dans cette maison au confort spartiate, une télévision et une radio. Le repas est simple : riz et poulet. L’après-midi, Williams me mène sur la colline du Commandant, qui domine la ville et n’est occupée que par des bâtiments administratifs : mairie, préfecture, musée Lobi. C’est ici qu’il me laisse, pour aller donner son cours. Il est 14h30 et viendra me chercher vers 17 heures.

Le musée est fermé. Sur le balcon, une jeune femme blanche lit un livre, étendue sur un matelas devant lequel tourne un ventilateur. Elle s’appelle Pascale, est toulousaine et est ici pour accompagner son père qui fait partie d’une organisation humanitaire. Elle est infirmière et souhaitait découvrir l’hôpital de Gaoua. Ce qu’elle a vu l’a ébranlée. Nous parlons de nos expériences personnelles. Elle connaît la guide du musée. Elle repart dans 15 jours en France. Elle m’envie de rester si longtemps. Lorsque la guide arrive, Pascale part et me laisse dans le musée.

La visite passe par 4 salles : la femme, l’homme, les rituels et l’art, ainsi que la reproduction à l’identique d’une maison Lobi et de cases Gan, une ethnie du pays Lobi. En pays Lobi, apprend-je, la femme est au centre de la communauté, bien que le régime matrimonial usuel soit la polygamie. La maison est construite par strates et comporte une chambre par femme. L’homme ne possède pas de chambre propre et passe ses nuits tour à tour dans la chambre de chaque femme. Celle-ci est la nourricière, la gardienne du foyer, la semeuse, celle grâce à qui la vie apparaît. Une femme féconde est la gloire d’une maison. Ménopausée, elle devient gardienne de la tradition et fabrique les fétiches. Plus une femme a été chanceuse dans sa vie « active », plus les fétiches qu’elle construit sont puissants. L’homme est le guerrier, le chasseur, le cultivateur. Les Lobi utilisent des arcs aux flèches empoisonnées, possèdent le contrepoison, et partent à la chasse ou à la guerre en soufflant dans des sifflets de bois, d’os ou de terre cuite. Tous les 7 ans, les hommes et les femmes qui n’ont pas encore suivi l’initiation sont pris en charge par les anciens. Ils subissent alors des épreuves et suivent l’enseignement des traditions. A l’issue de l’initiation, ils reviennent au village, parés de petits coquillages blancs, symbole de leur réussite. Ces traditions sont toujours d’actualité, et ici des mots comme avancée technologique, progrès, changement, évolution n’ont pas cours. Pourquoi changer un mode de vie parfaitement adapté au monde qui vous entoure ? Ces idées-là sont bonnes pour nous autres européens. Ici, la nature fait partie de l’homme, et l’homme fait partie de la nature.

Deux heures et demie plus tard, je suis toujours dans l’enceinte du musée. Williams est là, qui m’attend patiemment. Même Pascale est revenue de l’hôpital. Il est vraiment temps de partir. Cette immersion m’a coupé de la réalité. Je n’ai rien vu passer. Williams me mène en haut de la colline du Commandant pour photographier le soir tomber sur la ville, puis nous passons prendre un verre avec ses amis professeurs. Grandes discussions. On parle bien évidemment des événements en Côte d’Ivoire, du sort malheureux des réfugiés burkinabés, qui reviennent ici mettre femmes et enfants en sécurité avant de redescendre défendre leurs intérêts. Au fur et à mesure de la conversation, je fais le rapprochement de ce qui se passe ici et maintenant avec ce qui s’est passé il y a 50 ans en Algérie … L’heure est grave, mais pas suffisamment pour gâcher la soirée.

Vers 20 heures, nous rentrons chez Williams pour le repas. C’est un peu tard pour dîner (le repas se prend vers 19 heures ; n’oubliez pas qu’il y a une heure de différence avec la France, alors que nous partageons normalement le même fuseau horaire), mais aucune réflexion ne sors de la bouche de madame. Le repas est frugal mais bon. Le riz sauce est un plat bien fait, solide à l’estomac et assaisonné de mille façons. La chambre est parée, un matelas m’attend. Il est temps de dormir. Demain la route vers Bobo sera longue. En m’endormant, je me fais la réflexion qu’une fois de plus, le Burkina Faso est un pays magique, où il suffit de dire bonjour à quelqu’un pour qu’il ouvre toutes grandes les portes de son cœur hypertrophié. J’ai, une fois encore, reçu une leçon d’humanité.

11/09/2004

Sindhou et Banji

Après la cascade, nous revenons à Banfora. Le Lonely Planet indique que cette ville est célèbre pour ses brochettes de capitaine. Après discussion autour d’une bonne bière rafraîchissante, notre chauffeur nous conduit dans un restaurant à l’ambiance très calme et reposante, le Calypso. C’est le refuge d’un cuisinier français échoué là, ayant fui la vie européenne trop stressante à son goût. Mais, hélas, point de brochette de capitaine. Il n’y en a pas dans tout Banfora, nous explique-t-on. Les pêcheurs sont en rupture. C’est bien dommage. On nous présente la carte. La nourriture proposée est très française et je décide de me risquer sur du foie de veau persillade. Jean opte pour un steak. Les deux autres prendront du riz gras, un plat burkinabé. Surprise : la serveuse est très stylée, les plats bien présentés et, pour couronner le tout, c’est délicieux ! Ah, la France, quand même …

Il est 15h30 lorsque nous sortons de table. Nous partons pour les pics de Sindhou. C’est une curiosité géologique située à 45 km de là. Sitôt le début de la piste, je comprends que nous ne pourrons pas tout faire. Elle est impraticable. Les pluies de la saison précédente et le passage répété des camions de ravitaillement ont transformé cette paisible route secondaire en champ de bataille. Ornières, trous, immenses flaques d’eau nous barrent constamment le passage. Il faut toute la détermination d’un Emmanuel bien décidé à me montrer les merveilles de son pays pour venir à bout de la piste. Mais ce n’est qu’une heure et demie après notre départ que nous arrivons enfin à destination. Il est 17h15, le soleil se couche dans un quart d’heure. Nous ne verrons pas les hippopotames. Pour me consoler, je laisse mon regard se poser ça et là sur ces cheminées de pierre qui forment une chaîne discontinue : les pics de Sindhou. Je réalise alors que, dans notre malheur, nous avons de la chance : la lumière du soir est exceptionnelle et ces pics qui, la journée, doivent être bien sages, semblent le soir prendre vie et se jeter leur ombre les uns sur les autres. Une gigantesque bataille, faite d’ombre et de lumière, se déroule sous mes yeux. Fasciné par le spectacle, j’en oublie presque mon appareil photo. Dans un dernier élan de lucidité, je l’attrape dans la voiture et cours plonger au milieu de la bataille. Je me fais l’effet d’un reporter de guerre. La lumière baisse, il me faut faire vite. Je n’ai pas emporté ma genouillère et ma blessure me rappelle à l’ordre : il faudra faire un peu moins vite. Je n’en grimpe pas moins les volées de marches naturelles qui se présentent devant moi, pour arriver à une espèce de col, un petit cirque tout plat fait d’herbe, miraculeusement épargnée au milieu du champ de bataille. Là, j’ai l’impression d’être dans l’œil d’un cyclone. Tout y est calme. Le soleil n’illumine plus ce plateau. Toute la nature s’est tue, dans l’attente de la nuit. Nulle photo ne pourra jamais rendre l’impression de vide immense et de paix qui m’habite à ce moment. Je suis seul au monde, un monde de quelques acres, entouré par des géants protecteurs. Je m’identifie alors aux premiers habitants de ces régions, qui ont trouvé ici un probable sanctuaire.

Mais déjà ; j’entends au loin le klaxon de la voiture qui me rappelle. La nuit est en train de tomber, il nous faut partir. Si la route à l’aller était impossible, de nuit, elle sera infernale. Je plains par avance notre chauffeur qui, de son air placide, me réconforte : « Ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude ». Bah, on verra bien. Je suis venu ici aussi pour ça, n’est-ce pas ? Nous progressons donc le plus rapidement possible tant que la luminosité le permet. Mais ici, c’est l’Afrique, et en Afrique, le temps ne s’écoule pas de la même manière qu’ailleurs. Et c’est ainsi que, une demi-heure après notre départ, nous décidons de nous arrêter. Au bord du chemin, Jean a aperçu un groupe de paysans sous un manguier. Un peu plus loin, des hommes, perchés au sommet de palmiers royaux, récoltent la sève de l’arbre : des bouilleurs de banji, l’alcool de palmier. C’est ainsi, ici : une expérience en chasse une autre. Je ne verrai pas les hippopotames ? Qu’importe, je goûterai le banji. A l’instar du dolo, il existe deux formes de banji : le sucré et le fermenté. Je goûte aux deux et fait la même constatation : le fermenté est légèrement aigre et piquant, le sucré est doux et, malgré sa tiédeur (il a passé toute la journée au soleil), rafraîchissant. Mes amis parlent avec les paysans. Je ne comprends rien, mais les sonorités des voix, ajoutées au banji qui coule dans ma gorge et à la fatigue qui m’envahit, me laissent une agréable sensation de sérénité. Il fait nuit, la route promet d’être épique, les phares de la 405 sont faiblards et tout le monde est fatigué, mais qu’importe ! Nous sommes heureux.

Une heure et demie à l’aller, autant au retour. Emmanuel a fait fort. Nous déposons l’ami de Jean chez lui, disons au revoir à sa famille (qui a préparé un dîner fait de poulet accompagné de dolo) et rentrons sur Bobo. Il est 23 heures. Je suis dans mon lit, fatigué d’une journée commencée à 6 heures ce matin, mais les yeux pleins d’images inoubliables. Mon appareil photo affiche 148. C’est le nombre de photos que j’ai prises aujourd’hui. 148. C’est un millième de ce que j’aurais voulu prendre. Je repasse ces milliers d’images dans ma tête en m’endormant.

Banfora et Dolo

Aujourd’hui nous partons avec 3 amis vers Bafora. Mme Bado est adorable et me prête sa voiture, aimablement conduite par Emmanuel. Jean nous accompagnera, pour ses connaissances de la ville et de sa région, ainsi qu’une autre personne (dont j’ai malheureusement oublié le nom, qu’il veuille bien me pardonner).

Nous avions prévu de partir à 8 heures, et c’est donc tout naturellement que nous quittons Bobo à 10 heures. Je dois avouer que, sur ce coup, je ne suis pas innocent. Entre le pressing et les soucis de change, nous aurions pu partir à l’heure, soit 9 heures. Nous quittons donc Banfora pour l’extrême sud du pays. Pendant les 85 km du trajet, je peux apprécier encore l’évolution de la nature. Ici, la poussière du Sahel s’efface devant l’humidité et de nouvelles essences d’arbres : palmiers, bananiers, manguiers … Partout on sent la présence de l’eau. Je m’arrête même, complètement surpris, devant un immense champ de canne à sucre. Voila un paysage que j’aurais volontiers imaginé dans nos îles, mais ici ! Même le relief a changé. Si les collines douces sont toujours là, elles doivent désormais partager le paysage avec la falaise de Banfora. Cette falaise commence ici, sur la route entre Bobo et Banfora, et se prolonge ensuite vers le nord jusqu’au pays Dogon, que je projette de visiter la semaine prochaine. Enfin, la température chute de quelques degrés. Il y a plus d’air.

En fait de ville du sud, Banfora est un village un peu étendu. Il n’y a aucun centre, hormis le petit marché chaotique propre à chaque ville du pays. Nous nous arrêtons devant un petit bloc de 3 maisons regroupées autour d’une cour serrée. C’est là que vit la belle-famille de Jean. Je comprends qu’il connaisse la région. Son fils, qu’il ne voit que quelques jours par mois, accourt et se jette dans ses bras. Dans la court, quelques poules se fraient un passage entre les plastiques où s’étale le mil qui deviendra du dolo, la bière traditionnelle. On nous fait asseoir à l’ombre et les femmes viennent, portant des calebasses remplies d’un liquide ambré, comme si elles nous attendaient depuis le matin. Le dolo.

Lorsqu’on arrive dans une maison, au Burkina, les occupants vous accueillent avec un verre d’eau. C’est l’eau de bonne arrivée. Ici, faute d’eau, de la bière de mil. Je goûte successivement le dolo non fermenté et fermenté. Si le second est un peu aigre et piquant des levures ajoutées, le premier s’avère frais et sucré. Très rafraîchissant. Je bois la moitié de ma calebasse d’un trait et la repose à mon côté. On me fait signe qu’il faut la finir si je ne veux pas me montrer impoli. Soit. Je finis donc ma calebasse. Ca doit représenter un demi-litre, mais j’avais soif et c’est sans peine que j’avale le reste du liquide. A peine posée, ma calebasse est récupérée par une jeune fille qui disparaît avec. Quelques secondes plus tard, elle réapparaît, le contenant plein de contenu. Jusqu’où dois-je faire preuve de politesse ? On me rassure, si la première était destinée à laver le gosier de toute trace de poussière, celle-ci est destinée à la dégustation et peut donc être sirotée lentement. Dont acte.

Après avoir rendu visite au vieux de la maison, qui se remet, à l’ombre d’une tonnelle, d’une fracture de la clavicule dont je suppose que, au vu des bandages, elle ne guérira jamais, nous décidons de partir pour la célébrité des alentours : la cascade. Puis, après un repas léger, nous planifions de nous rendre aux pics de Sindhou, à 45 km de là. Enfin, dans la soirée, nous irons regarder les hippopotames sortir au coucher du soleil sur les bords du lac de Tengréla. Mais, que voulez-vous ! Nous sommes en Afrique et, ici, les plans sont fait pour ne pas être défaits, et celui-ci n’échappera pas à la règle.

La cascade de Banfora n’est pas en soi exceptionnelle. C’est le site auquel elle appartient qui la rend unique. Tout d’abord, elle est difficile d’accès, et il faut toute l’adresse de notre chauffeur pour mener la 405 au bout de la piste quasi-impraticable. Nous arrivons à un péage touristique que, après une palabre d’un bon quart d’heure, nous finissons par franchir gratuitement, puis à un parking. Là, une improbable petite ferme isolée de tout sert de repaire au guide touristique et gardien du parking, ainsi qu’à sa famille. Après de nouvelles palabres, nous décidons de nous passer du guide. Il faudra cependant payer les 300 CFA du parking. Soit. Je découvrirai bientôt que ce n’était pas bien cher payé. Nous partons à pieds sur une courte distance, dépassant un petit jardin planté de fruits exotiques. Sûr, il y a de l’eau ici. Au moment où je me fais cette réflexion, j’entends le grondement familier de l’eau qui tombe. Nous arrivons. Le chemin, bordé de manguiers d’un âge incertain, se charge soudain de fraîcheur et d’humidité. Tout à coup, les manguiers s’arrêtent pour faire place à de hautes herbes. Quelques mètres plus loin, j’aperçois une petite plage de sable et un petit étang. Au fond de ce dernier, d’immenses blocs de pierre en tous sens, comme si la main d’un titan avait jeté là des dés gigantesques. Et, au-dessus de tout cela, la cascade.

La vision de cette petite mais ô combien rassurante masse d’eau jaillissant perpétuellement me rassure. Je me rends compte en la regardant que, depuis une dizaine de jours, je vivais dans la crainte du manque d’eau. La chaleur est omniprésente. Jour, nuit, on ne peut y échapper qu’à l’aide de climatiseurs. Mais vivre avec la climatisation, ce n’est pas vivre l’Afrique. Je vis à plus de 35° et dors à plus de 30°. L’eau est vitale. Et elle est là, en abondance, presque gaspillée. Quelque chose en moi se relâche. Une tension volontairement oubliée, étouffée. Je me sens reposé.

Nous grimpons par un petit escalier à moitié sauvage situé à droite de la cascade. La montée est difficile, il fait chaud et notre chauffeur, fumeur et fier de son embonpoint, se met à regretter amèrement d’être là. Suant, soufflant, il nous suit pourtant vaillamment. Lui, comme nous tous, veut lancer son regard sur la vallée que domine ce promontoire. Nous ne sommes pas déçu. C’est un spectacle magnifique. La vallée, commandée par la cascade, s’étale bientôt devant nous. C’est là que je comprends toute l’importance d’une telle source d’eau. Toute la vallée en dépend. Riche, herbeuse et cultivée, elle tranche notablement avec tous les paysages que j’ai vus jusqu’ici. Si la vue de la cascade m’a reposé l’esprit, celle de la vallée me repose l’âme.

11/08/2004

Dioulasso-bas

Il est étonnant de voir à quel point certaines choses ne changent pas. Ainsi, le vieux quartier de Bobo, officiellement nommé Kibidwé, mais que tout le monde ici appelle Dioulasso-bas. Situé juste en face de la grande mosquée vieille de plus de 300 ans, ce quartier vous plonge instantanément quelques siècles en arrière.

Ici, pas d’eau courante, pas de caniveau, pas même de rue : tout juste quelques passages d’un ou deux mètres de large séparent des blocs de maisons accrochées les unes aux autres, assemblées en fonction du relief du terrain à l’aide de briques faites de façon ancestrale : terre ; cailloux, eau et paille. Et lorsque l’une d’elle vient à s’écrouler, il faut alors attendre la saison sèche et l’harmattan pour la reconstruire.

Là vivent, la plupart du temps cachés à mes yeux européens, des familles dont la pauvreté ne peut être mise en doute : il est impossible de vivre ici par goût. Pourtant, au détour d’un chemin entre deux maisons, je découvre une jeune fille portant son petit frère qui me gratifie de son plus beau sourire. Un peu plus loin, ce sont deux adultes qui se montrent spontanément à la porte pour me regarder passer sans prononcer un mot. D’ailleurs, me confie mon guide, ces gens ne parlent que le dioula et il leur faut les services d’un écrivain public pour toute démarche administrative. C‘est pourtant grâce au langage universel des gestes que je pourrai les prendre en photo. Si grande est la différence entre eux et les habitants du reste de la ville que je suis surpris de ne pas les voir me demander de l’argent pour la photo. On est loin de Ouaga où je dois batailler, parfois pendant de longues minutes, pour éviter de laisser toute ma monnaie en deux ou trois clichés. Ici, un simple sourire leur suffit.

La question de faire la charité à ces gens qui réclament s’est longtemps posée, jusqu’à ce que l’on me dise que ce ne serait pas servir le pays que d’encourager la mendicité. Depuis, j’ai pu mesurer à quel point ce conseil est sage. Prêtez l’oreille au premier mendiant, faites ne serait-ce qu’un geste pour lui et c’est aussitôt 5 ou 6 gamins qui bientôt se pressent contre vous. Mais à Dioulasso-bas, il n’est pas question de charité. L’indigence est telle qu’on n’en est même pas là.

Voila maintenant plus d’une heure que nous sillonnons la ville basse et je n’ai rencontré que quelques personnes. En plus d’une population humaine éparse, j’aperçois un âne, un enclos à chèvres et quelques porcs. Nous traversons les quartiers animistes (avec son fétiche souillé de plumes et de sang de poulet), musulmans, griots et forgeron. Je n’ai pas bien compris la fonction des griots et leur différence avec les animistes. Il semblerait qu’un griot soit une sorte de guérisseur ou de devin. Les explications, pourtant habituellement claires de mon guide, sont devenues tout à coup assez confuses. Allez savoir pourquoi.

J’en suis là de mes réflexions lorsque nous débouchons sur le marigot qui sépare Dioulasso-bas en deux parties. Au fond coule un petit ruisseau, le Wé. Et dans le ruisseau, mélangés dans un joyeux chaos de vaisselle et de linge, plus d’une dizaine de femmes disputent aux porcs l’accès à l’eau. Soudain, ce quartier, qui me paraissait en voir de désertification, se trouve être particulièrement animé. Un peu plus haut, ce sont les hommes (ils sont toujours en amont des femmes, m’explique mon guide) qui se lavent. Leur nudité me fait éviter de les prendre en photo. C’est curieux, ce sentiment d’urgence qui vous habite, lorsque vous vous imaginez réalisant quelque chose et votre instinct vous recommandant impérieusement de ne pas le faire. Ainsi donc, pas de photo.

Nous sortons finalement du quartier. Comme à regret, ces maisons, pour la plupart multiséculaires (la plus ancienne date de 1420), me laissent partir. Comment ce fait-il que la modernité, qui jusque là a imposé ses changements au monde, s’efface devant ces murs hors d’âge ? C’est un de ces nombreux mystères dont l’Afrique possède le secret.

Un dimanche à Bobodioulasso

Dimanche 8 novembre 2004. 7h30. Le réveil sonne, et je le maudis. On est dimanche ! Pourtant, dans mon demi-sommeil, quelque chose me dit que je n'aurais pu dormir plus. Un instant plus tard, de la musique en sourdine me parvient de l'extérieur. J'enlève mes bouchons d'oreilles (je dors toujours avec, ainsi que le masque pour les yeux : un soleil qui se lève à 6 heures, ça réveille bien du monde) et je découvre l'origine du bruit. Je vous avais dit que je dormais dans une pension protestante. Eh bien, juste à côté, se trouve l'église. Laquelle, à 7 heures 30 du matin, est en liesse et le fait savoir à la cantonade par toutes ses ouvertures. Ca chante, ça prie, ça tambourine, le tout accompagné de synthétiseurs et autres cris de femmes. Rien de bien sérieux, apparemment. Mais détrompez-vous : c'est ainsi que l'africain de l'ouest manifeste sa foi, je n'allais pas tarder à m'en rendre compte.

Après une rapide toilette, je sors en direction du marché, derrière lequel se trouve la cathédrale. Je ne peux pas la rater : l'immense clocher se voit de loin. Arrivé au niveau du marché, je décide de ne pas le traverser : ça grouille de monde et, sûrement, ça me prendra plusieurs heures à parcourir. L'indescriptible activité qui y règne paraît cahotique et le nombre de portefaix, de charettes, d'ânes de bât qui y convergent ajoutent à cette joyeuse fébrilité de ce dimanche matin. Rien à voir avec le calme de nos rues. Ici, c'est le jour du marché, et ça se voit. Je fais donc le tour de la grande halle centrale pour me retrouver bientôt dans un quartier plus calme. De la musique me parvient. Cela semble venir de la cathédrale. Au détour d'un bloc, je la vois qui s'étale devant moi. Elle est grande, mais n'est pas vraiment belle. Elle resemble à un hangar de tôle ondulée qu'on aurait recouvert de briques. Il y a des ouvertures partout. Inquiétude : des gens se tiennent debout sur le parvis et aux portes latérales. Il y atant de monde que ça ? Et il est 8h45, c'est déjà commencé ? Réponses : oui et oui. La cathédrale est pleine. Ce n'est pas un dimanche de fête, il n'y a rien de spécifique. Mais les chants et la ferveur avec laquelle l'assemblée participe me donne une bonne explication. Des chants accompagnés de djembé et d'un synthétiseur hors d'âge se répandent au-delà des derniers participants restés debout. J'entre. Nous en sommes à l'évangile, je n'ai donc pas trop de retard. Les gens se lèvent, j'en profite pour me glisser un peu plus à l'intérieur. Mais, au moment où la lecture commence, tout le monde s'assoit, à ma grande surprise, et je me retrouve en plein millieu de la nef (un peu sur le côté, tout de même), point blanc dressé au millieu d'une marée de points noirs. Hum hum. Vite, le premier banc venu, une demie-place partagée (généreusement) avec une paroissienne qui doit peser au moins 200 kg et qui semble s'être douchée au parfum. J'attend la fin de la lecture. S'ils s'assoient pour l'évangile, peut-être se lèveront-ils pour la suite ? Que nenni. Me voilà au suplice, obligé de me retenir au banc pour ne pas sombrer dans l'allée et les regards qu'on ne manquera pas de m'adresser. Et cette femme qui me regarde et me sourit. Que faire ? Je souris aussi. Elle se retourne vers l'autel. Je n'y tiens plus. Je me lève et me jette, mi debout, mi accroupi, vers le bas-côté. Par miracle (dans une cathédrale, quoi de plus normal ?), je trouve un banc libre. Je m'y jette et recommence à respirer. Je comprends alors pourquoi je suis le seul assis ici : on n'y voit rien de ce qui se passe à l'autel. Tant pis. Je verrai au fur et à mesure. Et c'est ainsi que j'assistait à la messe dominicale en la cathédrale de Bobodioulasso, en explorant un nouvel emplacement à chaque mouvement de foule. Exercice qui a eu le mérite de me faire visiter l'édifice et de me laisser un souvenir impérissable.

Dimanche prochain, j'irai à l'église de Dapoya, à Ouaga, juste en face de ma chambre. Ouf.

Sitôt la messe terminée, je rentre à ma chambre. J'ai le choix : traverser le marché ou le contourner à nouveau. Je suis un peu en avance, il est 10 heures et je n'ai rendez-vous avec Georges que dans une demie-heure. J'opte donc pour la traversée, tout en me promettant de ne m'arrêter sous aucun prétexte. Bon. J'aurais du le savoir. J'ai pris du retard. Mais ce marché est tellement dense, les allées qui le composent sont tellement serrées, qu'on voit à peine le ciel au-dessus et la luminosité est vraiment réduite. Penseriez-vous qu'il y fasse frais ? Grave erreur : on étouffe. Presser le pas est donc impossible. A l'aller, j'avais fait le trajet en contournant le marché en 15 minutes. Lorsque j'arrive enfin à ma chambre, il est 15h45 et Georges est là. Je le salue et lui demande sa clémence pour mon retard, en lui en expliquant la raison. "3/4 d'heure ? Tu n'a mis que 3/4 d'heure pour traverser le marché ? Tu as courru ?", et il rit. Soulagement. Ce Georges a décidément le don de mettre à l'aise. "Pas de chichi", continue-t-il sans me laisser le temps de protester, "dès lundi matin tu emménage à la maison !". Tout est dit. Je n'ai plus qu'à me laisser porter. La gentillesse et l'accueil africains font le reste.

"Et maintenant, que dirais-tu d'explorer le marché que tu as si rapidement traversé ?". Oooohhh ...

Nous pénétrons dans l'antre de cet ogre mercantile d'un autre monde. Il est 11 heures.

15 heures. Je n'ai pas vu le temps passer. A mi-chemin entre le bazar organizé et le souk cahotique, ce marché a englouti 4 heures de notre vie. Je ressors avec des tissus, un complet traditionnel burkinabé et des colliers. Je me rappelle ne m'être arrêté qu'à deux boutiques, pourtant. Et je n'ai rien acheté dans la première. La seconde est aussi gigantesque que les autres, soit environ 9 m². Des tissus sur les 3 murs, sur 4 ou 5 étages. Tout est joli, la femme me fait l'article et copmmence à déballer tout son stock. Bientôt, des tissus de toutes couleurs et de tous motifs jonchent le sol. Le couleurs tournet et dansent devant mes yeux. Celui-ci irait bien pour maman, celui-là serait parfait pour Ket et Kratai ... Je négocie le prix avec l'aide de Georges. La négociation va bon train. J'ai suivi le début, en fran,çais. Mais bien vite, la langue change et je ne maitrise vraiment pas le Dioula. Je laisse donc faire. Tout-à-coup, Georges se tourne vers moi, hilare, et s'exclame : "Je te présente ma tante !". Le système de parenté african est décidément bien large. Après explication, il se trouve que la vendeuse devient également ma tante, ou plutôt ma grand-tante, par l'intermédiaire de ma famille africaine, les Bassolé. De fait, le prix ne peut être qu'intéressant, n'est-ce pas ? J'achète donc. Que me faut-il d'autre ? Un vêtement, parce que je n'ai pas emporté grand-chose de France. Je ne dois pas bouger. Ici, c'est un labyrinthe, et le frère du cousin de la vendeuse vend justement ce genre d'articles. Si je ne peux donc aller au magasin, le magasin viendra à moi. Je m'assois, on m'offre à boire, je refuse le plus poliment possible (j'ai pourtant une de ces soifs !) et me jette sur le reste de ma bouteille d'eau chaude. 10 minutes plus tard, le frère du cousin arrive avec un comis, tous deux les bras chargés de vêtements de tout type. Tous traditionnels. Boubous, ponchos en tissus, chemises, complets ... Tout s'empile dans la boutique devenue depuis longtemps trop petite. Mon choix se porte sur un complet traditionnel, fait d'un pantalon ample et d'une chemise s'évasant vers le bas. Mais le motif et la taille ne me conviennent pas. Qu'à cela ne tienne ! Vendeur et comis remballent les articles et s'éclipsent. 5 minutes plus tard, les revoilas, les bras disparaissant à nouveaux sous des complets traditionnels bleus de toutes tailles et de tous motifs. Ces gens sont vraiment commerçants ! Je fais mon choix, après de nombreuses hésitations et l'avis connaisseur d'un Georges hilare. Il faut reprendre la longueur du pantalon, vraiment trop longue. C'est que j'ai de petites jambes. Quand pourrai-je passer le chercher ? Non, non, il me suffit d'attendre ici, ce sera prêt dans un quart d'heure. D'accord. Je commence à comprendre. On ne ma lâchera pas tant que je n'aurai pas été entièrement satisfait. L'amis de la vendeuse, qui assistait depuis le début à toute la scène, choisit ce moment pour me montrer sa collection de colliers de hanche. Sûrement, ça irait à merveille à ma femme (je n'ai pas de femme), à votre mère (ah, là ...), à votre amie (bon, ok, ok). Georges conclut la vente en me disant que c'est sa participation à mes emplettes. Je ne peux accepter. Il insiste. Il est trop gentil, comment refuser ? J'accepte donc. Le temps de cette scène, et le vendeur revient, seul, cette fois. Le pantalon est fait. Comme je suis son parent (éloigné, mais cela a-t-il vraiment de l'importance ?), il me fait une ristourne. Je viens tout de même de laisser 2 jours de dépenses moyennes (25000 CFA). Bah ! J'économiserai ailleurs. On me loge, on me nourrit, à quoi donc servirait cet argent ? A ce propos, il est temps de rentrer, je suis attendu à la maison, Mme Assita Bado, femme de Georges, nous a préparé le repas.

Nous rentrons chez lui. Sur le bord d'une rue en terre, un portail en fert vert. Il s'ouvre sur une cour intérieure. Je suis accueilli par un chien (Rex) très affectueux et qui, après un grognement de pure forme, saute partout et essaie de me déchirer mon pantalon. Derrière le chien, je remarque que la cour est habitée par quelques poules et des chèvres. C'est l'Arche de Noé ! L'entré est sur la droite. Derrière la porte, un salon qui a dû autrefois être la cour d'entrée de la maison. Au fond, la cuisine. A gauche, un deuxième salon, 3 chambres et une salle de bains. Cossu. On m'a donné la chambre de l'aîné, Auguste. Le cadet, Kevin, 6 ans, m'accueille avec un grand sourire rempli d'un pain fourré. Il me fait penser à mon frère à son âge. A près les présentations d'usage, je dépose mes affaires et prend mes aises. Un apéritif de bienvenue m'attend : gin-américano. Corsé. Surtout par ces températures. Je le boirai lentement, voilà tout. Le repars arrive : riz sauce boeuf. excellent. Décidément, cette cuisine burkinabée semble de prime abord uniforme, et se révèle à l'usage très variée.

Cet après-midi, nous partons pour la vallée de Kou, une merveille, d'après Georges. Il avait raison. Après avoir franchi les 4 barages de la ville (douanes, police, taxes commerciales et gendarmerie), nous roulons sur une route en pente douce. Nous descendons. Au détour d'un virage, une immense vallée s'étendant à perte de vue s'offre à mes yeux. Il me tarde de voir ça de plus près. Bientôt, notre voiture traverse de larges étendues très vertes, presque des marécages. Georges m'explique que ces espaces étaient autrefois entretenues par les chinois qui leur ont apporté la connaissance de la plantation du riz. En effet, quelques kilomètres plus loin, ce sont des rizières à perte de vue. Incroyable. Samedi, je quittais Ouaga, ville rouge, étouffante et sèche, au bord du Sahel. Aujourd'hui, je hume l'humidité des rizières parfaitement irriguées et vertes. Quel contraste. Je comprend la fierté de Georges à me montrer cette vallée. Et ce n'est pas tout. Nous arrivons dans un petit village. Comme partout, on y trouve un large marché au bord de la route. C'est ici que ce concentre l'activité. Nous nous garons près d'une vendeuse de pastèques. Nous sommes en pleine saison de ce fruit. Et avec le soleil omniprésent, les pastèques sont juteuses et sucrées à souhait. Il y avait bien longtemps que je n'en avait mangées de si bonnes. Puis nous nous avançons le long du marché, pour arriver devant un chapelier. Justement, il me faut un couvre-chef. Après d'âpres négociations, je trouve un châpeau de saponais (je ne suis pas sûr de l'orthographe, mais j'ai fait répéter le mot plusieurs fois pour être sûr). Il ressemble à un châpeau chinois. Je demande confirmation : « Japonais ? – Non, saponais ! ». Fort bien. Il me va bien, n'est pas lourd malgré les apparences et laisse la tête bien aérée. Sitôt posé sur ma tête, tout le monde me regarde en m'affirmant qu'il me va très bien. J'hésite. Serait-ce hypocrite ? Apparemment pas. La suite me prouvera que c'est sincère. Avec mon ensemble traditionnel, il ne me manque plus que la couleur et l'accent pour être un véritable africain.

La journée tire à sa fin. Assita négocie avec force un litre de lait de vache bru auprès de femmes peules. Elles ne veulent pas être photographiées. Mais Georges insiste pour que je prenne quelques photos à la sauvette. D'accord, j'essaie. Le résultat n'est pas terrible, on dirait des photos de paparazzi. Tant pis, j'aurais essayé. La négociation se termine il est temps de rentrer, le soleil est déjà bas sur l'horizon.

Sur le chemin du retour, Georges s'arrête. Un gamin transporte un iguane mort. Nouvelle négociation. 700 CFA. « En ville, un iguane vaut environ le double. » me confie-t-il. Il a l'air content. Un peu plus loin, nouvel arrêt pour photographier (ou tenter de le faire) un superbe coucher de soleil. Il faut en profiter, les journées rouges de l'harmattan ne sont pas loin.

Il fait nuit. La température n'a pas eu le temps de baisser. Sur la route, on n'y voit rien. Circuler de jour tient déjà de la prouesse. De nuit, cela tient du miracle permanent. Les musulmans qui rentrent chez eux jeûnent depuis le matin et sont fatigués. Leurs réflexes s'en ressentent. Ici, une mobylette surgit de nulle part. Là, un enfant manque se jeter sous nos roues. Georges évite tout cela avec une apparente facilité, issue d'une très longue habitude. Sains et saufs, nous arrivons chez lui. Après le repas du soir, la journée se termine devant la télévision. Je suis comme chez moi.

Non. Je suis chez moi.